Stryker a écrit:
Je pensais à ça aussi. Mais le fait est que certains doivent savoir d'où il tire son argent.
Je suis toujours étonné par la genèse de The Room quand Wiseau dit que ce projet remonte à loin. L'absence de maturité du résultat final donne plutôt l'impression que ça a été torché en 15 minutes alors qu'il dit que ça fait des années qu'il y pensait.
D'après Greg Sestero, Tommy Wiseau aurait écrit une bonne partie du script après avoir assisté à une séance du
Talentueux Mr. Ripley (le remake de
Plein Soleil). Sestero et un ami à lui avaient déjà vu le film et la fixation maladive que faisait Ripley sur le personnage de Jude Law les avait estomaqués tant elle leur rappelait le rapport très étrange entre Wiseau lui-même et Sestero : Wiseau était fasciné par cet Américain pur jus et beau gosse, le truc qu'il ne serait évidemment jamais, et tentait souvent de l'imiter en douce.
Du coup, ils ont recommandé le film à Wiseau qui, en rentrant, s'est installé pour écrire et a pondu une histoire impliquant un Johnny et un Mark, en référence à "Mark" Damon, l'acteur qui jouait Ripley dans le film d'Anthony Minghella. Ça a sorti Wiseau d'une longue période où il était déprimé et amorphe.
En fait, un chapitre sur deux du film comporte en épigraphe une citation du film (les autres chapitres citent à la place
Boulevard du crépuscule, autre film sur une relation abusive).
Donc c'est effectivement un script torché en quelques heures (et de 80 pages plutôt que 800...), même si les thèmes qui y sont traités font écho à des trucs sur lesquels Wiseau avait dû cogiter depuis des années, sans trouver jusque là d'angle potable. Après, il a vaguement tenté de remodeler le script pour qu'il y ait des voitures volantes ou que Johnny soit un vampire, mais on l'en a dissuadé.
Pour la petite histoire, j'ai moi-même été confronté à un mec, qui avait fait fortune dans un secteur totalement différent, et qui était lui-même un Tommy Wiseau/Norma Desmond (le personnage de Gloria Swanson dans Boulevard du crépuscule) en puissance. Il avait écrit un script pour l'amélioration duquel il demandait la collaboration de gens hyper-qualifiés. Le problème était bien entendu que le script en question était un truc puéril dont le personnage principal était un double on ne peut plus transparent de lui-même.
Et pourtant, le type avait été à la tête d'une grande entreprise, et il semblait avoir toute sa lucidité sur d'autres questions.
Mais voilà, l'aura du cinéma fait perdre tout sens du relativisme à certains. Wiseau, c'est bien sûr un cas extrême qui n'a finalement pas besoin de cinéma pour cela, mais, à mes yeux, le retentissement de
The Room s'explique aussi par le fait que beaucoup de monde, à un degré ou à un autre, éprouve une fascination pour le milieu du cinéma, la célébrité, la reconnaissance artistique. Même juste à un degré infime.
The Room, c'est au fond un mythomane qui s'aveugle pendant des mois en se disant qu'il est en train de faire un truc qui a de bonnes chances aux Oscars. C'est notre propre rapport à l'industrie cinématographique qui se retrouve poussé à l'extrême. Si ça se trouve, on me file quelques millions de dollars et une bonne dose de coke (Wiseau semble carburer au naturel, ou se sniffer lui-même, moi j'aurais besoin de poudre pour avoir les couilles d'écrire et de réaliser un premier film en croyant toutes mes intuitions), je ne ferais pas forcément beaucoup mieux que ça ou
Le Jour et la Nuit de BHL. J'éviterais peut-être quelques pièges de débutant, mais je ne ferais pas pour autant un film potable.