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Nikita)
LE JUSTICIER CONTRE LA REINE DES CROCODILES (Aka : THE DEVIL’S SWORD / KORAL LE JUSTICIER / LE JUSTICIER CONTRE LA REINE DES AMAZONES)
La chronique d’un film issu d’une culture radicalement différente de la notre est un exercice ardu et périlleux : le nanardeur enthousiaste, tout frétillant d’avoir fait une nouvelle trouvaille, ne risque-t-il pas de commettre un pêché d’ignorance en se moquant à bon compte de ce qui ne paraîtrait nullement nanar au public local? Ainsi, par exemple, la critique d’un film Indien («Bollywood») se heurte-t-elle à des conceptions du cinéma radicalement différentes de l’Occident au sous-continent Indien. Il faut pourtant se risquer à ce genre d’exercices, tant le monde regorge de films aussi obscurs (vu de chez nous) que frappadingues, et qui ne pourront que plonger le nanardeur curieux dans un abîme de délices : Star Wars turcs, Super-héros mexicains, légendes Indonésiennes : le cinéma regorge de trésors enfouis, propres à enchanter le cinéphile acharné comme l’amateur de ringardises sympathiques. Ainsi, l’Indonésie nous a-t-elle offert «La Revanche de Samson», moment de démence anthologique et pilier des chroniques de Nanarland. Inutile de dire qu’après la découverte de son existence, et enhardi par la vision du film, je n’allais pas tarder à expérimenter d’autres drogues dures originaires de Djakarta.
Le cinéma Indonésien a en effet connu, au milieu des années 80, une brève période d’exportation qui nous permit de découvrir dans nos salles quelques-uns des joyaux de son cinéma populaire. Si «La Revanche de Samson » est évidemment un must, je ne peux que conseiller à tout le monde « Le Justicier contre la Reine des crocodiles » qui, s’il ne va pas aussi loin dans le délire, nous offre tout de même de francs moments de rigolade et –mais oui ! – d’émerveillement devant la pure naïveté d’un cinéma brut de décoffrage. «Le Justicier.. » a en outre pour intérêt de mettre en vedette Barry Prima, LA star du cinéma d’action Indonésien des années 80 («Le Guerrier des ténèbres », «Le Commando du diable »), célèbre notamment pour son interprétation du rôle de Jaka Sembung, héros populaire de la lutte indépendantiste contre les Hollandais.
Notre héros.
Barry Prima interprète ici Mandala, le «Justicier» du titre, dont nous ne saurons pas grand-chose sinon qu’il parcourt le pays à cheval pour défendre la veuve et l’orphelin en bombant les pectoraux. Le distributeur français a eu d’ailleurs raison de le réduire, dans le titre, à sa qualité de justicier basique, car la définition du personnage ne va nullement au-delà : on aurait d’ailleurs pu mettre Lucky Luke à la place sans que ça change grand-chose.
Mandala va ici affronter, je le précise pour ceux qui n’auraient pas lu le titre, la Reine des crocodiles, une belle sorcière perverse et libidineuse qui terrorise la région en se faisant livrer en sacrifice les jeunes hommes du village, dont elle fera, une fois hypnotisés, ses esclaves sexuels. Ladite Reine a à sa disposition une armée bigarrée, dont le gros est composé de créatures abracadabrantesques, et dont on ne comprendra pas si ce sont des hommes déguisés en crocodiles, ou de véritables mutants homme-crocodiles. Des variations dans les costumes selon les scènes m’incitent à penser que la Reine a deux catégories de soldats, son armée regroupant les deux espèces précédemment cités. Non que cela change grand-chose tant les costumes sont ridicules : quelle que soit leur nature, le spectateur ne voit évidemment QUE de malheureux figurants portant des masques et des costumes de crocodiles, qui laissent apparaître leurs bras et jambes d’humains. Voir les hommes-crocodiles se déplacer par petits sautillements et par téléportations subites est un spectacle tout simplement hallucinatoire qui fera passer le spectateur le plus blasé dans une autre dimension.
En effet, le cinéma populaire Indonésien tel qu’il nous apparaît dans ce film ou dans «La Revanche de Samson » se caractérise avant tout par une chose : la démesure. Ici, on ne suggère pas, on montre ; on ne temporise pas, on ose ! Qu’est-ce qu’on ose ? Et bien, on nous exhibe dans la joie et la bonne humeur les scènes d’action les plus frappées du ciboulot qu’un cerveau humain ait jamais pu concevoir ! Ici, point de choses mesquines telles que réalisme et sens de la mesure : les adversaires se battent dans des flots de gore et usent de super-pouvoirs magiques à faire pâlir Les Quatre Fantastiques. Il suffit de voir, dès la première scène, le méchant monter sur un rocher, puis le rocher s’envoler et le transporter vers le but de sa mission, tandis que notre homme ricane en brandissant ses deux sabres, pour se retrouver plongés dans un univers de naïveté digne d’un comic-book des années quarante. A partir de ce moment et jusqu’à la fin, autant dire tout de suite que les bastons ne vont pas arrêter de s’enchaîner jusqu’à extermination des trois quarts du casting (enfin, de tous les méchants). C’est d’ailleurs ce qui participe grandement au charme de cet étrange OVNI : il va tout simplement à 100 à l’heure, sans jamais souffler ou presque, au rythme des échanges de baffes, des combats d’arts martiaux (horriblement mal dirigés), des duels au sabre et des tours de magie. On se croirait presque dans un train fantôme hors de contrôle !
Bien entendu, lesdites scènes d’action sont remarquables par leur incroyable hénaurmité : les adversaires se décapitent à qui mieux mieux, se lancent sans prévenir des rayons lasers qui sortent de leurs mains, (obtenus par grattage de la pellicule), utilisent les armes les plus baroques (dont un chapeau décapiteur !). On est parfois en plein cartoon : dans une des scènes les plus aberrantes du film, une méchante sorcière est coupée en deux dans le sens de la hauteur, se recolle aussitôt, et continue le combat.
Le scénario tente une dimension shakespearienne, car le principal homme de main de la méchante Reine (celui qui vole sur des cailloux) est un ancien ami du héros, qui a eu le même maître que lui mais est passé « du côté obscur ». Petit essai de dramatisation du conflit, qui ne va pas plus loin, car toute tentative d’écriture des personnages est aussitôt étouffée par le rythme infernal de l’action.
Le méchant.
C’est précisément cette absence totale de mesure qui laisse pantelant le spectateur Occidental. Comme il a été dit au début de cette chronique, on s’interroge parfois sur le fossé culturel qui pourrait nous empêcher d’apprécier cette œuvre au premier degré, mais le relativisme est ainsi fait que l’on ne dispose souvent que de ses propres repères. Et force est de constater que pour le public non-Indonésien, le film, s’il n’atteint pas les dimensions éléphantesques de «La Revanche de Samson », est une véritable mine de perles nanardes. Il faut voir Mandala, dont le Maître a été blessé par les méchants, être obligé de lui amputer les deux jambes, puis lui sauver la vie en lui préparant une décoction à base de champignons explosifs ! Le même Mandala trouver enfin l’épée magique qui lui permettra de vaincre le mal, et la sortir de son fourreau tandis qu’elle étincelle comme dans une pub de Monsieur Propre. Outre les fameux homme-crocodiles, le film nous offre aussi un magnifique démon-cyclope (le gardien de l’épée) qui fera date dans l’histoire des craignos monsters en mousse.
Le cyclope.
Cependant, comme je l’ai dit plus haut, le film est moins nanar que «Samson », qui tirait beaucoup de la présence de ce sympathique gorille de Paul Hay dans le rôle-titre. Barry Prima, tout bellâtre musclé qu’il soit, assure tout de même un minimum de crédibilité à son rôle, bien que ses limites de comédien apparaissent dès qu’il doit faire autre chose que bomber le torse ou défier l’ennemi du regard (rassurez-vous, on ne lui demande que rarement de forcer son talent). Ajoutons pour les nanardeurs aguerris qu'il ressemble à Mark Gregory (en meilleur comédien, quand même) ce qui n'aide pas à le prendre au sérieux une fois qu'on a repéré l'air de famille. La relative cohérence du film en fait tout de même un objet de curiosité, dont la naïveté même est source de fraîcheur, si l’on excepte des effets gore typiquement indonésiens.
La Reine des crocodiles.
On notera également une tonalité « féministe » inattendue chez un film venant d’un pays musulman. Si l’on excepte la Reine - attiffée comme une drag-queen imitant Dalida! - qui transforme les jeunes hommes en objets sexuels, le film s’offre un beau personnage d’héroïne en la personne d’une jeune femme à qui la Reine a volé son fiancé et qui secondera Mandala, participant elle-même volontiers à des bastons effrénées. Remarquons aussi plusieurs scènes «érotiques » centrées sur la Reine qui partouze dans son palais, et qui contribuent (avec les scènes gore) à faire penser que le film, malgré la profonde naïveté de son histoire, n’était pas destiné au jeune public. Evidemment, la morale est sauve, puisque ce sont les méchants qui font des cochonneries, car le sexe c’est mal (petit alibi hypocrite qu’on retrouvait aussi dans «Samson»).
Viens t'battre, sale croco!
Vous l’aurez compris, «Le Justicier contre la Reine des crocodiles» tient largement les promesses de son titre cartoonesque et constitue, notamment par son premier degré inébranlable, une authentique curiosité nanardesque, à découvrir de toute urgence ! Le bonus étant constitué par une musique au synthétiseur propre à plonger tout mélomane dans des spasmes d’agonie, et tout nanardeur dans des frissons de bonheur ! Amateurs de bizarreries cinématographiques, à vos solderies !
LE JUSTICIER CONTRE LA REINE DES CROCODILES
Année : 1984
Nationalité : Indonésie
Genre : Les méchants, on va en faire des sacs à main !
Catégorie : Aventures et péplums
Réalisateur : Ratno Tinoer (ou El Badrun, selon les sources)
Avec : Barry Prima, Gudhy Sintara, Advent Bangun, Enny Christina, Rita Zahara, Kusno Sudjarwadi, Kandar Sinyo
Nikita : 3
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