Il n'est jamais facile de savoir comme aborder certains films étranges, d'autant plus quand il s'agit du traditionnel cadeau annuel offert par la Cinémathèque à l'occasion de la Nuit Excentrique. Et on ne peut pas dire que Jean-François Rauger nous ait rendu la tâche particulièrement facile en cette 9ème édition, avec la diffusion de l'inédit et quasi-inconnu "Brigade Anti-Sex", métrage belge de sexploitaiton au titre mystérieux et plein de promesses. Pour le coup, on peut dire que les promesses ont été tenues, même si ce n'était peut-être pas celles attendues, laissant en fin de séance un public certes profondément divisé entre les enthousiastes et les meurtris, mais uniformément abasourdi.
Un titre allemand qui a de quoi intriguer quant à la moralité de ce qui s'annonce.
Quelle peut bien être la nature de ce "Brigade Anti-Sex" pour avoir eu un tel effet sur une audience bien rodée comme celle de la Nuit Excentrique ? Intéressons-nous déjà à son primat narratif : découvrir le quotidien d'une section spéciale des forces de police, spécialisée dans la lutte contre les crimes sexuels. Une troupe d’élite qui n'obéit qu'à un seul homme, le guindé commissaire Jason - attention à bien prononcer son nom en articulant avec respect "Ja-Zon" ; on n'a pas ici affaire à un dommage collatéral de Beverly Hills ou à un adepte des vacances à Crystal Lake. Professionnel jusqu'au bout de son chapeau melon, le commissaire Jason n'hésite jamais à convoquer une assemblée exceptionnelle pour informer ses hommes qu'il n'a rien à leur dire. Dormez tranquille, brave gens, la police veille. Cela dit, tout n'est pas rose dans le plat pays (surtout dans un film en Noir & Blanc) car il existe bien quelques indomptables brutes qui parviennent à mettre temporairement en échec les forces vives de la Brigade Anti-Sex.
Le commissaire Jason, cousin germain de Popek.
Les fameuses forces vives de Jason dans une pose dont la classe suffit à elle seule à faire fuir les crimes sexuels.
Seule ombre à ce tableau masculin parfait : la femme.
Ainsi, Jason et ses hommes sont sur la trace d'un maniaque sexuel multirécidiviste et amateur de mocassins blancs qui profite sournoisement du refus des autorités outre-Quiévrain d'équiper les bords de route de toilettes publiques. Résultat, la riante plaine belge se retrouve vite décorée des cadavres de jeunes femmes qui, au lieu de connaitre le soulagement d'un bref arrêt pipi mérité, ont découvert à leurs dépens les jeux sexuels forts originaux de leur tortionnaire. L'homme est en effet un impuissant notoire qui compense ses faiblesses érectiles par son fétichisme automobile. OK, tout le monde sait qu'une voiture est l'exemple type du substitut phallique qui gonfle d'un orgueil turgescent le premier fan de tuning venu. Mais rares sont ceux qui vont jusqu'à tenter de faire l'amour à une femme avec un pot d'échappement. Surtout quand il est encore raccordé au véhicule.
Nous touchons là au premier point sensible de ce "Brigade Anti-Sex" : son tueur est en effet responsable de mises en scène des plus macabres et il n'est pas aisé de se nourrir d'un franc rire lorsqu'on regarde deux inspecteurs tenter d'arracher le corps d'une jeune femme encastré dans un levier de vitesse. D'autant que le réalisateur insiste à l'occasion sur la psychologie de son anti-héros, faisant longuement goûter aux spectateurs la saveur de ses pensées intimes les plus malsaines alors qu'il observe avidement la juvénile auto-stoppeuse qu'il vient d'embarquer, s'excitant à imaginer les sordides atrocités qu'il lui réserve tout en masturbant avec langueur son fameux levier de vitesse. Ambiance.
Le maniaque a les choses bien en main.
La victime a la chose bien dans le vagin. Hem, excusez, mais c'est pas facile de trouver des commentaires à ce genre de caps.
Un nouveau type de filtre à particules écologique ?
Certes, "Brigade Anti-Sex" n'est pas le premier film d’exploitation à s'intéresser ainsi à un tueur sadique ("Schizophrénia") ou à lorgner vers la sexualité craspec (le cinéma érotique nippon n'a jamais craché sur l'esthétique cinématographique du viol). Mais son originalité dérangeante est qu'il n'oppose aucune contre-partie évidente à la vision de son maniaque. En effet, le commissaire Jason et ses hommes ne semblent agir qu'en simple miroir du violeur, se montrant aussi impuissant que lui en n'étant jamais foutu de faire quoi que ce soit pour empêcher ses crimes. C'est bien simple, c'est le tueur qui téléphone systématiquement à Jason pour le tenir informé de ses derniers méfaits et lui indiquer où récupérer les restes. La police se contente de se rendre ensuite sur place pour profiter du spectacle laissé par le seul homme du film qui parvienne à tringler une femme. Les inspecteurs agissent avec une nonchalance proche de l'indifférence totale, ne cherchant jamais d'indice et ne montrant aucun respect pour la dignité des cadavres que certains intervenants n'hésitent pas à tripoter de manière salace ! On retrouve même un policier qui bronze tranquillement sur le capot d'une voiture avec un corps mutilé à ses pieds.
Le métrage finit de sombrer dans le sordide absolu alors que les hommes de Jason passent leur temps à sortir les plus effroyables commentaires possibles sur les victimes, démontrant leur désintérêt total pour les femmes qu'ils sont censés protéger. Le mauvais goût s'incarne dans des répliques comme "
c'est marrant ces petits seins froids" ou dans ce transport de corps par les ambulanciers qui se chuchotent "
doucement, elle peut encore servir", Sans parler des sous-entendus sur l'évidente participation des victime à leur propre viol, entre le "on ne peut pas se retrouver enfilée là-dessus sans s'être laissée faire" et le "elle a dit non mais elle a bien dû aimer ça".
Un mode relationnel que n'aurait pas renié Richard Harrison. Notez le visage empreint de gravité du commissaire Jason, seule aide que les victimes pourront attendre de lui.
Tiphany, l'inspecteur qui souffre d'une impuissance symbolique à conserver son cigare en bouche (systématiquement volé par son comparse Orlando).
Cette dernière considération est parfaitement illustrée par l'attitude de la Brigade Anti-Sex alors qu'elle récupère une victime amochée mais encore en vie. Première réaction de l'inspecteur Tiphany lorsque la femme reprend conscience sur les lieux mêmes du crime : lui donner son numéro de téléphone pour lui faire goûter au véritable plaisir de la bite... ce qui finit par arriver, à peine 1 semaine après les faits et alors qu'elle est encore hospitalisée ! Retenez donc la leçon sur la méthode pour se mettre une vierge sortie du couvent dans son lit : un viol sauvage au levier de vitesse suivie d'une petite tape réconfortante sur l'épaule. Heureusement, l'intervention du commissaire Jason ruinera les efforts du bellâtre. C'est d'ailleurs le seul acte sexuel du film que Jason parviendra à empêcher... Le seul où les deux partenaires étaient consentants ! Et pas pour rien car il s'agira de proposer à la victime de jouer le rôle d'appât pour attirer à nouveau le tueur !! Amis de la victimologie, sachez que Jason vous emmerde bien profond.
Le commissaire Jason en pleine réflexion métaphysique sur la folie des Hommes. Ou sur la blanquette de veau servie ce midi à la cafétéria de la préfecture de police, difficile de savoir.
L'amour à la forêt.
Le spectateur est donc confronté à un univers glauque de bout en bout, sans aucune planche de salut à laquelle s'agripper pour respirer un peu d'air. L'ensemble du casting se comporte avec les femmes comme devant un bout de viande, traitant les vivantes à l'égal des cadavres et chosifiant les corps pour les réduire à leur plus simple rôle d'excitant sexuel. La parole, par trop humanisante, leur est d'ailleurs souvent interdite, que ce soit lors du monologue intérieur du maniaque qui couvre la voix de sa victime ou tout simplement en agressant une muette (qui a l'air simplette par ailleurs, sans trop savoir si c'est de composition ou non). Paradoxalement, même l'infirmière de second plan se révèle aussi détraquée que le reste de ses congénères, exprimant son plaisir à tartiner de pommade la vulve meurtrie de sa patiente et regrettant son départ de l'hôpital !
Sans préjuger de la personnalité du réalisateur/scénariste, on peut tout de même s'interroger sur sa structure psychique et sur l'existence d'authentiques traits de perversité, la cohérence symbolique du script et l'efficacité systématiquement malsaine des répliques paraissant trop parfaites pour avoir été imaginées de toutes pièces par quelqu'un construit sur un registre normo-névrotique.
Même la campagne belge est glauque.
Une jeune femme dont on devine le désir insatiable dans son regard lubrique, à qui on intimera l'ordre de s'effeuiller le plus lentement possible. Ce qu'elle fera, au grand dam des spectateurs.
Un vague look-a-like de François Morel, ce qui a de quoi intriguer quand on sait qu'à la réalisation, le pseudonyme Joseph W. Rental cache en fait un certain François-Xavier Morel dont ce serait là le seul méfait.
La conclusion du film ne fait que confirmer cet état d'esprit
[attention, spoilers] : après avoir donné à la brigade tous les indices possibles pour réussir à se faire stopper dans son escalade de la violence automobile, le tueur finit par recevoir une balle... dans le sexe. La police ne vient donc que justifier l'impuissance génitale de leur alter ego avec une castration physique plutôt que mentale et le délivrer ainsi de ses tourments narcissiques. Tout cela avec un immense respect car comme le dit le commissaire Jason lui-même : "
il faisait presque partie de la famille". Cela avant de déposer tendrement une fleur sur son corps, témoignant là d'un hommage auquel nulle femme victime n'aura jamais droit.
La Brigade Anti-Sex se recueille sur la dépouille de leur sadique préféré. Après tout, ce sont des hommes comme lui qui leur assure un revenu (et l'occasion de pécho de la survivante).
On ressort donc de la vision de "Brigade Anti-Sex" avec l'envie pressante de prendre une bonne douche afin de tenter de se débarrasser de la sensation tenace d'avoir l'âme souillée. Et c'est sans doute là une réussite involontaire de son auteur que d'être parvenu à faire au moins virtuellement ressentir à ses spectateurs ce que pourrait être un viol. Bon, d'un autre côté, je me demande bien quel public était ciblé à l'époque de sa diffusion cinéma car vous aurez compris qu'en matière d'érotisme et d'émoustillement, mieux vaut aller voir ailleurs.
La preuve, voici un plan-nichon blafard.
Le film s'obstine à ne jamais montrer le visage du tueur, laissant croire à un possible twist final (genre c'est un des inspecteurs le responsable)... Mais non, quand on le découvre, il n'y a aucun retournement de situation. Et comme l'affiche le spoile carrément (un argument érotique pour attirer le chaland ?), et bien je ne me gêne pas non plus.
Mais alors pourquoi chroniquer un tel film sur Nanarland ? Les raison sont multiples. Déjà, il me paraissait important de conserver une trace de son existence, "Brigade Anti-Sex" étant tout de même une pellicule véritablement inédite et digne de la définition de l'OFNI excentrique (notre camarade Captain Beyond l'ayant très justement qualifiée de "
Godard schizo-priapique pour lycéens dégénérés"). Que les 400 de la salle Langlois ne se le soient pas enquillés pour rien et que nul ne puisse oublier leur dévouement cinéphilique. Et surtout, il fallait tenter d'en élaborer quelque chose de sensé et ne pas laisser à l'état brut le sentiment de malaise ressenti lors de sa diffusion.
Et puis, il faut reconnaitre au film qu'il offre de nombreux instants de pure folie qui finissent par emporter le rire. Jason avec son flegme absolu, son look de dandy, sa Bentley astiquée avec méticulosité et ses problèmes cardiaques à conserver secrets sauf le jour de sa mort (dixit lui-même) est un personnage déjà bien rigolo en soit, mais quand en plus il bénéficie de la capacité surnaturelle de se téléporter où bon lui semble (la magie du hors-champs), et surtout là où on ne l'attend pas, on sombre dans le surréalisme le plus fendard. Quant au sordide sur lequel j'ai beaucoup insisté, son accumulation excessive et le caractère totalement imprévisible des répliques toutes plus glauques les une que les autres finissent par s'auto-annuler et perdre en impact. D'ailleurs, l'inventivité du tueur dans son modus operandi a de quoi déchainer les débats techniques débiles sur la faisabilité de ses passages à l'acte. Alors on rit. Peut-être est-ce là quelque mécanisme de défense pour se distancier de ce à quoi l'on assiste, sans doute sur un humour vraiment très noir. Mais c'est tout de même un rire et c'est sans doute la meilleure chose à opposer à un film comme "Brigade Anti-Sex".
La téléportation hors-champs dans les bois, un pouvoir que Jason partage avec son cousin Voorhees.
Et puis je vous le demande : dans quel autre film on peut voir la victime d'un viol au pneu ?
Titre : Brigade Anti-SexAlias Die Porno-Bestie
Pays : Belgique
Année : 1970 ?
Durée : 1h27
Catégorie : Érotique/Crime et Délits
Genre : Enclenche la 2nde si tu veux me faire jouir
Réalisateur : François-Xavier Morel (alias Henri Xhonneux/Joseph W. Rental)
Acteurs : Larry Brown, André Brunet, Brock Curtis, Lacqueline De Meester, Monique Guelton, To Katinaki, Christian Maillet, Marie-Paule Mailleux (tous seraient des pseudonymes)
Note : ?Cote de rareté - 7/Jamais SortiJe vous l'ai dit, ce film est une pure rareté, dont on n'a même pas retrouvé trace de l'affiche originale. Il ne semble exister que la bobine ciné originale, sans notion de sortie vidéo où que ce soit. Comment ça "Dieu merci" ?