Assurément, Cinéman est un film autre, jusque dans sa nanardise.
Car si même Drexl, l'auteur de la chronique, ne le considère pas comme un nanar, j'avoue l'avoir apprécié comme tel et je ne doute plus un instant de la véracité de l'anecdote de Philippe Clair selon laquelle Moix lui aurait dit qu'il considérait Par où t'es rentré, on t'a pas vu sortir comme un classique de la comédie française. Car j'ai apprécié Cinéman comme j'ai apprécié bien des comédies nanardes franchouillardes à savoir après destruction de tous mes neurones lors des dix premières minutes du film et passant par la suite constamment de l'ébahissement au rire nerveux. La seule différence c'est que chez Clair et consorts, ce sont les acteurs qui cabotinent et la mise en scène qui est inexistante alors que chez Moix, c'est exactement le contraire : le réalisateur cabotine comme un malade alors que les comédiens n'en foutent pas une rame.
Dès le départ, on sent qu'il y a quelque chose qui cloche. La première voix off spoile carrément tout le film puisque l'on apprend d'office qu'il s'est marié avec son héroïne, a eu un gosse et un chien donc on se doute qu'on n'aura pas un final à la Rose pourpre du Caire et donc que le personnage d'Anne Marivin ne sert strictement à rien, en plus d'être totalement incohérent, faisant tous les reproches du Monde à Cinéman mais passant quand même pas mal de temps avec lui, allant jusqu'à l'accompagner au ciné. Une petite scène expliquant qu'elle le trouve touchant ou autre n'aurait pas été de trop. Et je passe sur la première apparition de Dubosc dans un costume qui fait mal aux yeux (à l'image du décor) et alignant des name droppings cinéphagique aussi gratuits qu'inutile.
De la même façon, ces mêmes premières scènes font direct office d'aveu d'impuissance de la part de Moix puisqu'il se révèle incapable d'élever sa mise en scène au niveau des films choisis. Et c'est là le principal défaut du film, Moix se fracassant systématiquement contre les limites de son talent et échouant à diriger ses acteurs pour qu'ils entrent dans leurs rôles. Même quand il joue les pistoleros, les Tarzans ou Robin des Bois, Dubosc continue à faire du Dubosc et la mise en scène ne parvient jamais à s'adapter à chaque nouveau genre, filmant chaque séquences avec la même platitude et laissant à une B.O. à côté de la plaque le soin d'apporter une dimension "populaire" à l'ensemble. Ca devait être surréaliste pour l'équipe de tournage de voir Moix jouer avec des filtres de couleur (le principal aime les grenouilles donc hop, filtre vert !) ou tourner avec une pellicule d'époque hyper sensible hors de prix pour donner au tout un cachet qu'on ne retrouve sans doute même pas dans la première ébauche du scénario.
Parce qu'au final, Cinéman est une espèce d'aberration sur pattes, la déclaration d'amour au cinéma d'un gars qui, de toute évidence, n'aime même pas vraiment le cinéma. Dans sa caliméresque interview-bilan d'un désastre, Moix précise que pour préparer le film, il a passé des journées entières à la Cinémathèque, y regardant cinq films par jours. Et tout ça pour quoi? Pour un mélange gloubi-boulguesque de références à peine assimilées, d'hommages poussifs à des figures et des genres tellement ancrées dans la culture occidentale qu'on n'a même pas besoin d'avoir vu les films en question pour en avoir une image claire (Zorro, Tarzan, l'homme sans nom), le tout ponctué de répliques définitives sans aucun recul ni même point de vue personnel sur l'histoire du ciné ("c'est les droogies d'Orange Mécanique, le film le plus violent de l'histoire du cinéma" Première nouvelle...). Pourtant il y avait de bonnes idées et la matière à un bon détournement comme celui que fait le Jacques Tati de Jour de Fête dans la séquence de cinéma forain "la poste américaine". Ca fonctionne un peu avec l'évocation des destins des précédents cinémans mais déjà noyé dans la masse des idées non abouties servies par des acteurs moyennement concernés, le charme ne prend pas.
Au final, ce film aurait très bien pu avoir été écrit par un étudiant en première année de cinéma qui se fait sa culture avec "Les 100 films clefs du cinéma", dont la maladresse touchante devient exaspérante quand il en vient à donner des leçons et à mépriser tout avis différent de celui que lui a dicté Les cahiers du cinéma. Et c'est ce qui le rend nanar pour moi. Ce film est marrant comme il serait drôle de voir un prétendu champion du décathlon suffisant et exubérant se vautrer à toutes les épreuves, se prendre les pieds dans le tapis en partant et glisser sur sa savonnette en prenant sa douche. Le film n'est grotesque que par sa prétention à être une démonstration de force de la part d'un gars disposant d'une solide culture ciné et d'une parfaite assimilation des codes narratifs liés à chaque genre. Moix voulait faire le Kill Bill français avec mise en abîme digne de son statut de penseur philosophe. Il a fait Sidekicks. En pire.
Car non seulement Moix a échoué à pasticher différents codes cinématographiques mais même le reste ne tient pas debout, aussi bien les gags annexes, collés ça et là au petit bonheur sans aucun effort pour leur trouver une cohérence dans le plus pur style "autant que ça serve" (le sous-titrage, le passage en noir et blanc qui semble pompé sur le personnage flou de Harry dans tous ses états) que l'évolution du personnage qui, sans vraiment explication ni justification scénaristique passe d'un seul coup du stade de gros connard à celui de type prévenant. Ca vient sûrement du fait qu'en combattant le personnage de PEF, il a combattu son propre côté obscur, mais ça n'est jamais vraiment clair. Et pourquoi c'est Pierre Richard qui l'aide? Et pourquoi la broche se trouve dans un bouquin? Et pourquoi c'est en se piquant qu'il devient Cinéman? Et pourquoi c'est au contact de l'eau qu'il peut s'extraire des films? Ca n'est ni expliqué ni vraiment expliquable, à moins de s'appeler BHL et d'avoir un ascenseur au troisième sous-sol à renvoyer à la suite royale.
Au final, Cinéman est une véritable hallucination cinématographique, un film incompréhensible qui veut trop en dire tout en n'ayant rien à dire, ni sur l'art cinématographique, ni sur son statut de média de divertissement de masse, à l'inverse d'un Last Action Hero qui sur la même idée (un individu moyen entre dans un film et ça fout le bordel) délivre un vrai message tout en étant un excellent divertissement. Si Moix avait vu ce film, il se serait abstenu de faire Cinéman. Enfin, à la réflexion, rien n'est moins sûr...
_________________ Lawrence Woolsey, précédemment connu sous le pseudonyme de deathtripper21...
"Godfrey Ho a beau avoir trouvé des Kickboxeurs américains, le duel entre la mariée et la robe restera LA baston du film." Plissken
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