Dans la foulée, je me suis regardé la version commentée du film, version sans doute enregistrée avant la sortie de Cinéman en salles, sans quoi j'imagine que le ton aurait été différent.
En résumé, les deux mots qu'on y entend le plus souvent sont "hommage" et "humilité", par ailleurs régulièrement dans la même phrase. On y apprend donc que les choix esthétiques de couleurs criardes autant sur les costumes que dans les décors sont un hommage à Douglas Sirk et que le doublage foireux renvoie directement au néo-réalisme italien et plus précisément à Fellini. Sauf que dans les deux cas, le problème est le même : OK, Fellini tournait ses films sans prise de son directe mais il avait un sens de l'image et une capacité à créer une perte de contact avec la réalité qui avait pour effet collatéral soit de totalement détourner l'attention de l'absence de synchronisation soit de faire participer cette désynchro à l'irréalité ambiante. Ca aurait pu marcher avec Cinéman mais on obtient exactement l'effet contraire : c'est un élément parmi d'autres qui rend la séance douloureuse pour le spectateur non averti (et j'imagine que ça devait être encore pire à voir sur grand écran...).
Pareil pour "l'hommage" à Sirk, qui m'avait totalement échappé lors du visionnage du film mais qui colle avec ce que je disais dans mon message précédent : dans Cinéman, Yann Moix prétend rendre hommage au cinéma mais ne fait que prouver qu'il n'a rien compris au cinéma qu'il prétend aimer. Parce que non, pour "sirkiser" (comme il dit) son film, il ne suffit pas de jouer sur les couleurs. Il faut un certain type de comédien (et Dubosc n'est pas Rock Hudson), une certaine mise en scène, un certain type de cadrage, une certaine musique et là, les choix picturaux prennent tout leur sens. Et ce problème va de pair avec son soi-disant choix de laisser Franck Dubosc "dubosquiser" le personnage de Cinéman et les films dans lesquels il s'incruste. Il aurait fallu un vrai sens de la mise en scène, de l'image, de la direction d'acteur, et surtout un vrai scénario pour que ça marche. On n'a franchement rien de tout ça, juste un réalisateur bien plus inspiré dans sa première réalisation qui laisse un comique rejouer ad nauséam son personnage fétiche de gros beauf suffisant (alors qu'il peut être un excellent comédien).
Derniers éléments du commentaire qui m'ont un peu fait tiquer : le retour de la tendance de Moix à passer de la pommade aux personnalités influentes, qu'on retrouve ici quand il se perd en propos laudatifs sur l'interprète de la jeune fille qui envoie bouler Dubosc au restaurant et qui n'est autre que la fille de Guy Bedos (par contre pas un mot sur d'autres seconds rôles pourtant bien plus présents à l'image) et surtout le seul vrai moment où il avoue une erreur mais où il fait un peu de la peine, sur le coup : pour la séquence Robin des Bois, il avait choisi d'utiliser une pellicule ultra-sensible à la lumière (comme pour le film avec Errol FLynn), avait habillé ses personnages en conséquence avec des costumes bien flashy et il va tourner ça... en Belgique. Loin de moi l'idée de critiquer la météo du Plat Pays mais quand on veut tourner une scène où le soleil est primordial, on va pas s'installer dans une forêt belge...
Et dernier détail dont il ne parle pas mais qui m'avait échappé lors de mon premier visionnage : de la même façon que le film enchaîne les références ciné sans véritable lien entre elles, témoignant moins d'une véritable cinéphagie que d'une cinéphilie de salons mondains où l'on adôôôôôôôre Rossellini et l'on s'encanaille en matant You Can't Stop The Music, la grande majorité des séquences de cinéma des premiers temps est directement issue du fonds Lobster sorti en DVD sous la forme de compilations Retour de Flamme (le Alice au pays des merveilles muet, la danse serpentine...). Pourquoi s'immerger à fond dans l'histoire du septième art et faire ses propres découvertes quand on peut en une journée se mater un coffret spécialement conçu à cet effet et qui jettera de la poudre aux yeux du spectateur lambda?
Au final, si certains films se font involontairement le reflet de leur époque, Cinéman est peut-être le parfait reflet de la cinéphilie telle qu'on la pratique entre gens de goût, à savoir à grand renfort de name dropping adjectivé ("c'est très rohmérien, ne trouvez-vous pas?") mais tout en restant en surface de peur d'être démasqué, s'autorisant juste parfois une légère atteinte au bon goût communément admis pour le seul plaisir de se sentir exister ("Eh bien moi, j'ai beaucoup aimé le dernier Mocky !").
_________________ Lawrence Woolsey, précédemment connu sous le pseudonyme de deathtripper21...
"Godfrey Ho a beau avoir trouvé des Kickboxeurs américains, le duel entre la mariée et la robe restera LA baston du film." Plissken
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