Pour peu qu'on survole le sujet, le cinéma turc pourrait sembler uniquement constitué de rip-off des standards occidentaux dont les titres se contenteraient d'une nomenclature "Turkish quelque chose". Fouillez un peu sur le site et vous découvrirez du Turkish Tarzan, du Turkish Bruce Lee, du Turkish Dents de la mer, du Turkish Rambo et bien entendu, le désormais unanimement célébré "Turkish Star Wars". Il manquerait à la rigueur un bon vieux Turkish Godzilla pour croire avoir fait le tour de la question.
Il est évident que ces titres ne sont pas les originaux. Nos amis producteurs turcs s'inspiraient certes d'autant plus librement des grands films étrangers que ces derniers ne sortaient pas dans leur pays, mais ils n'allaient pas jusqu'à revendiquer leur pompage comme le premier Bruno Mattei venu. Tous ces préfixes turkishisant ne sont dus qu'aux habitudes prises par la communauté bis internationale lors de la (re)découverte de ces pépites exotiques. Avec parfois une bonne grosse louche de mauvaise foi.
Ainsi voudrait-on apparenter notre Turkish du jour au classique australien du post-nuke, invoquant dans les esprits des déserts arides traversés par des bandes de punks sauvages en quête de la moindre goutte d'essence. Mmmmh, moui, mais pour le coup, il va falloir remiser ces fantastiques attentes car de tout cela, rien de présent dans "Ölüme Son Adim" (alias "Last Step to Death"). Non, la seule connexion ostensible avec "Mad Max", c'est la tenue que porte le personnage principal lorsqu'il part en mission vengeresse : un manteau de cuir, une bandoulière de munitions et un pompeux au canon scié. Pas de Turkish Humungus ni de boomerang aussi létal qu'un frisbee dans "Piège Mortel à Hawaï".
Mais attendez, ce n'est pas une raison pour déserter ma chronique, la larme à l’œil et la truffe humide. Le cinéma turc n'a pas nécessairement besoin de photocopieuse à script pour produire du nanar de compét' ! Surtout quand il possède parmi ses trésors le réalisateur fou Çetin Inanç ("En Buyuk Yumruk", "Death Warrior", "Son Savaci", "Vahsi Kan", etc. Ca vous suffit ?) et l'inestimable star nanarlandaise Cüneyt Arkin, capable à lui seul de provoquer l'effondrement hilare d'un Sâdhu ayant fait vœu de morosité. Alors quand ces deux génies s'associent, il ne reste plus qu'à kiffer la life.
L'HOMME.L'HOMME.L'HOMME.Aaah, Cüneyt, ce regard de braise bleutée, ce charme inamovible, cette coupe de cheveux indémodable, ce sex-appeal légendaire, cette virilité digne d'un concentré de purée des morceaux nobles d'Alain Delon, cette incarnation auto-consciente de l'âme turque. Et surtout, ce style martial unique, insurpassable et quasi-indescriptible qui le fait ressembler à un crabe intoxiqué par un mélange de speedball, d'energy drink et de Ritaline. Un total contraste humain qui associe dans son profil officiel de 3/4 un sourire autant figé qu'il gesticule de grimace dès qu'il se bat, constituant ainsi un monument de la fascination filmique dont il est impossible de se lasser. Et ça tombe bien, "Last Step to Death" comporte son lot de séquences de baston voyant notre héros lyncher méthodiquement de pauvres sbires avec ses frappes atomiques à vitesse supersonique, accompagnées par un même et unique bruitage parvenant, ô miracle, à sublimer encore un peu plus cet acmé de la perfection guerrière. Et ce bougre de Cüneyt parvient à conserver intact le plaisir du spectateur, surprenant toujours par de nouveaux mouvements ou par des variantes de ses classiques dans des chorégraphies martiales d'une réjouissante naïveté (aaah, ce coup de ciseaux avec les bras !). Y'a pas à dire, mais on voudrait refaire la même chose à notre époque qu'on n'y arriverait pas. Si ça n'est pas une preuve de talent...
Hurlant à la lune à chaque coup de pilon sur un maraud...
Grimaçant consciencieusement face à l'abjecte ignominie...
Ventilant ses aisselles humides en pleine action...
Mais aussi prenant avec un nécessaire recul l'ironique sel de la vie...
Mais je cause, je cause, et je n'ai toujours pas abordé la raison pour laquelle la machine Cüneyt se met ainsi en route. Cela dit, je dois avouer que malgré le bienvenu sous-titrage anglais du film, je n'en ai pas bien cerné tous les enjeux. Déjà, je ne saurais vous dire quelle est l'activité exacte de son personnage, nommé Kagan : sorte d'homme de Bien, malin et roublard, pseudo-mercenaire justicar ne supportant pas les dealers d'héroïne frelatée à qui il applique la bonne vieille loi du Talion, version je te tire des balles de fusil au ras des tempes pour te convaincre de manger goulûment ta propre poudre. Animé par des idéaux qui ne crachent pas non plus sur des rentrées d'oseille, il loue pour l'occasion ses services à un consortium pharmaceutique et constitue dans la foulée une équipe de foudres de guerre pour aller récupérer un scientifique kidnappé par les forces du Mal après qu'il ait découvert un remède sensass' contre la leucémie (une description pas si éloignée des méthodes des labos, finalement).
Un assassin de la jeunesse en pleine libation éthylique...
...corrompant les bonnes mœurs de la femme turque.
Mais il suffira d'un regard mi-charmeur mi-désapprobateur...
...pour que l'odieux goûte à la saveur du mortel vice qu'il a lui-même propagé.
C'est donc ça le conseil d'administration d'un laboratoire pharmaceutique turc ?
Pour ce faire, il fait appel à son vieux pote Ali (Yildirim Gencer) avec qui il reprend contact grâce à cette bonne vieille blague qui consiste à se grimer en vieux barbu et à menacer son ami avec un fusil qui s'enraye à chaque tentative de mise à feu. Attention, humour pour public averti. Évidemment, ces deux-là s'entendent larrons comme cochons (oui, ça ne veut rien dire) ; la preuve, ils se font tourner entre eux leur clope après chaque latte. Enfin, il suffit de compléter l'équipe... avec une femme ! Et oui ! Et pas n'importe qui car la donzelle passe son temps libre à faire des concours de buveurs de bière au milieu d'une foule de moustachus en sueurs qui ont tôt fait de tenter de la violer en réunion lorsqu'elle réclame son gain. Tout ça, sous l’œil goguenard des 2 potos. Ah mais c'est qu'on sait s'marrer dans le coin, et avec une petite ambiance érotique, s'il vous plait. En effet, le réalisateur semble obsédé par la culotte de la dame, profitant de la rixe généralisée pour nous offrir de jolis plans de sa culotte ! Quand il ne se contente pas de faire de dérangeants zooms sur son entrejambe, là même où son jean lui rentre bien dans la chair. Un vulgaire rarement vu dans ce genre de productions ; pour le coup, titrer le film Turkish 3615 Ulla n'aurait pas dépareillé.
Mais qui est donc cet étrange vieillard à l'attitude menaçante ?
Ah mais ce bon vieux blagouzeur de Cüneyt qui se gausse !
Oui, tout le monde se gausse en se secouant la panse !
Même ce sbire inconnu se gausse à gorge déployée.
Tiens, un concours de beuverie sur table.
Avec Leyla (Emel Tümer) qui enfile les choppes d'un œil torve...
...avant de connaitre les joies toutes masculines de la 3ème mi-temps.
Sous le regard coquin de Kagan et Ali qui décidément, n'en finissent plus de se gausser.
Heureusement, tout finit bien avec une p'tite mousse.
Et puis les amateurs savent que les goûts autochtones en matière de pin-up sont sans doute la seule bonne raison d'interdire l'accès de l'Europe à la Turquie. Si Emel Tümer a un charme certain (une fois son maquillage de poids lourd retiré), Çetin Inanç ne valorise pas vraiment ses atouts en filmant avec insistance ses cuisses capitonnées par la cellulite que les séquences de lever de jambe font sans cesse remuer. Ou comment tuer toute la mise en scène sexy sur laquelle "Last Step to Death" semble pourtant compter pour attirer son public. Quant aux autres bimbos, elles sont au moins aussi frelatées que l'héroïne du début de film, évoquant le douloureux souvenir du combat pseudo-saphique de "En Buyuk Yumruk".
Collection lingerie 1983.
Un plan aussi fin et léger qu'un baklava.
P'têt que le réal' cherche à savoir si elle a bien le cul net... Hem.
Ça devait être sympa les calendriers pour routier en Turquie.
Et quand bien même on voudrait dépasser ces simples considérations plutôt machistes (oui, oui, je dois assumer), qu'il faudrait tout de même contextualiser au cinéma d’exploitation et à ses travers, pour s'intéresser à l'aspect pseudo-féministe du scénario qui met une femme au même niveau que ses comparses masculins au sein de ce commando de la mort, la désillusion phallocratique ne tarde pas à montrer le bout de son nez. En effet, lorsqu'il s'agit de désigner le chef de mission, on lui rappelle avec un joli sourire que ce n'est pas là un poste pour elle, car "
c'est une femme". La preuve, son personnage a beau posséder des titres de championne de rallye, cela ne l'empêche pas d'embourber la bagnole dans la gadoue et de devoir mouiller le maillot pour l'en sortir (montrant ainsi ses arguments pulmonaires au mâle avide mais respectueux d'une certaine pudeur). Quand elle ne se prend pas une balle dans le cul, tirée par le fieffé coquin d'Ali qui ne cache pas son envie de lui coller un autre type de munition dans le fondement (les ravages de l'alcool, mes enfants !). Ou pire, qu'on ne se sert d'elle que comme simple appât sexuel à gredins, histoire de lui faire connaitre sa deuxième expérience de viol collectif du film. Mais tout ça dans la bonne humeur, heureusement.
Oui, elle peut mettre des coups de genoux dans des gredins sans montrer sa culotte.
Et manier une arme à feu dans son petit haut moulant.
Mais elle sert surtout à capter l'attention des bordées de moustachus...
...et à pousser la bagnole hors de la fange boueuse.
Sous la supervision amusée du mâle en chef.
Brefle, une fois notre trio de la terreur en route, le film va se résumer à une succession de vannes de bon aloi lors des séquences de dialogue, à l'emploi d'un running gag voulant que Cüneyt prenne toutes ses décisions à pile ou face (un gimmick repris d'un film de Hill & Spencer) et bien entendu au démasticage en règle des légions de sbires qui ont le malheur de passer dans le coin, y compris lorsqu'ils sont dans un autre film. Le stock-shot reste en effet un petit plaisir qu'il serait idiot de se refuser, surtout quand il s'agit de faire intervenir dans le récit des mitrailleurs de la guerre du Vietnam planqués dans un bunker (et que la pellicule de ces extraits soit entièrement jaune ne devrait pas poser de souci). La BO n'est de toutes façons pas épargnée par ces petits habitudes : quand ce n'est pas le score de "New-York 1997" qui passe faire coucou, les musiques paraissent n'être qu'un mélange remixé de "Rambo" et de "Ghostbusters".
Rentrez vos filles et vos sbires, la dream team est dans la place.
Des sbires à chapeaux.
Un sbire atteint d'une conjonctivite bilatérale foudroyante.
Des sbires en plein tourisme.
Plus atypique, un sbire épouvantail d'entrainement !
Et en bonus, quelques plans culottes pas du tout gratuits.
Tout pourrait ainsi couler sans problème jusqu'à la fin, mais les amateurs de rebondissement n'ont pas été oubliés. Pour une raison assez obscure, les commanditaires de la fine équipe commettent finalement la pire erreur qui soit : trahir Cüneyt qui va donc être obligé d'en faire une affaire personnelle, surtout quand pour faire pleurer sous les chaumières, le scénariste n'hésite pas à mettre en péril la bonne santé de son meilleur pote de la vie. Plus aucune arme n'est alors interdite et c'est avec délectation que l'on voit utiliser arcs, couteaux de cuisine, pains de dynamite, cartouches explosives et même une séquence de torture employant la méthode de la baignoire, tout ça pour faire cracher à un pauvre homme de main des informations que Cüneyt possède déjà... avant de l'achever par noyade !! Si Guantanamo cherche encore quelques interrogateurs talentueux, ils savent à qui s'adresser.
Faut dire que le PDG du labo était filmé de manière trop biscornue pour être honnête.
Oui, là, c'est encore plus clair qu'il était du mauvais côté du Cüneyt.
L'utilisation de l'arc est bruitée avec le même sample utilisé dans toute l'industrie cinématographique turque, l'incontournable "pfuit".
Vous noterez la pénétration optimale des flèches.
Un simple canon, certes, mais chaque tir anéantit une génération entière de sbires.
Et on comprend mieux pourquoi quand on découvre la déflagration.
Perso, je ne m'en lasse pas.
Mais le maniement des couteaux est également l'occasion de quelque belle figure faciale artistique.
Des sbires qui sont loin d'avoir le compas dans l’œil.
Un bon bain au moins une fois par semaine.
"Last Step to Death" s'avère donc naviguer dans le haut du panier de la filmo d'un Cüneyt plus iconique que jamais, irradiant son charisme flamboyant à la moindre de ses apparitions. Voici donc une fort plaisante turkisherie qui trouve sa force dans l'alliance entre les bonnes vieilles techniques éprouvées du nanar de là-bas, dis, avec certaines nouveautés vulgos plutôt intrigantes (même si Çetin Inanç aviat déjà laisser deviner un certain goût pour la transgression), le tout sans aucun temps mort entre ses bastons survitaminées, ses fusillades explosives, ses gags désolants et ses sbires inimitables en veux-tu en voilà. Et comme un illuminé du web (un certain JackBauer... Un adepte de la torture donc) s'est mis en tête de proposer les sous-titres de nombre de productions turques afin de permettre à la communauté internationale de goûter la saveur nanarde des dialogues et scripts, il n'y a vraiment plus de raison de résister aux charmes de l'orient.
Des poses de bad ass.
Une p'tite inspi La Femme Scorpion.
Des effets spéciaux qui ne peuvent pas vieillir.
Une réalisation audacieuse.
De la sensualité pas du tout racoleuse.
Un respect pour la tradition militaire.
Que demande le peuple ?
Cote de rareté : 4/ExotiqueEst-il encore utile de vous faire croire qu'on peut trouver par les voies officielles un tel chef d’œuvre exotique ? Les true pourront toujours arpenter les ruelles d'Istambul dans l'espoir de dégotter un hypothétique VCD ou ils pourront partir en Grèce en quête d'un antique vidéoclub qui possèderait la VHS du film.
Une VHS grecque.
Attention à ne pas confondre le film avec cet homonyme, ça serait dommage.
Titre original : Ölüme Son Adim
Titre international : Last Step to Death / Turkish Mad Max
Pays : Turquie
Date : 1983
Durée : 1h17
Catégorie : Pur et Dur
Genre : petites culottes et Cüneyt
Réalisateur : Çetin Inanç
Acteurs : Cüneyt Arkin, Emel Tümer, Yildrim Gencer, Nazan Ayaz
Note : 4/5