"Dans les griffes du dragon d'or" est un nanar mineur, mais un nanar coup de coeur, ce qui lui vaut un traitement de prestige avec 1 chronique et 2 interviews. C'est un film que j'avais découvert avec l'ami Drexl avant même l'existence de Nanarland, à l'époque où on cherchait (déjà) les pires films à louer dans les vidéo-clubs. Si vous vous êtes déjà demandé comment certains films pouvaient être aussi catastrophiquement mauvais, on tient ici un cas d'école. Les témoignages sont édifiants et nous rappellent que la petite histoire du cinéma s'écrit souvent loin, très loin de l'imagerie glamour et du tapis rouge des festivals… Sur les quelques 70 chroniques de films que j'ai rédigées pour Nanarland, celle-ci est de très loin celle qui m'a demandé le plus de temps, du fait des entretiens à mener, retranscrire (le premier s'est fait par téléphone) et traduire, et l’iconographie assez riche pour illustrer tout ça. Les posts de ce forum étant limités à 60 000 caractères, j'ai d'ailleurs dû couper cette chronique en deux ! Comme sa longueur pose pour l'instant un problème technique pour sa mise en ligne sur le site, et que j'en ai marre d'attendre, je la poste sur ce forum. Bonne lecture !Dans les griffes du dragon d'or / L'ombre du dragon (Shadow of the Dragon)Etats-Unis / Canada. 92 mn. 1992. De Jimmy Williams, avec Robert Z'Dar, Gerald Okamura, Sandy Palm, Brian Big Mac McWhorter, Daniel Kong, Ewing Miles Brown, Donna Cherry, Trudy Adams, Al Guzman, Tommy Bull
Le genre : Docteur Toqué & Mister TocardAaaah, "Dans les griffes du dragon d'or"... un titre dont la poésie chante à l'oreille du spectateur la promesse d'1h30 d'exotisme opiacé aux confins de l'Orient éternel, d'aventures périlleuses et de mystères insondables comme le sourire du Bouddha.
Visitez Chinatown de nuit et partez à la découverte des mystères de l'Orient.Aux Etats-Unis, la deuxième moitié des années 80 a vu naître une petite vague de films centrés sur les agissements des triades chinoises ou des yakuzas japonais, sévissant généralement à New York ou Los Angeles. Dans le haut du panier, ce furent des films comme "L'Année du dragon" (Michael Cimino, 1985) ou "Black Rain" (Ridley Scott, 1989). En milieu de gamme, on trouve des titres comme le sympathique et azimuté "Les aventures de Jack Burton dans les griffes du mandarin" (John Carpenter, 1986) ou "Kinjite, sujets tabous" (John Lee Thompson, 1989), dans lequel Charles Bronson balançait au méchant des répliques aussi classes et subtiles que "
Si tu m'fais des embrouilles, j'te pète les rotules et tu pourras plus t'faire prendre en levrette" (tu nous manques Charlie !). En bas de l'échelle, on trouve tout un tas de bisseries routinières, comme "
Armés pour répondre" (Fred Olen Ray, 1986) et son casting très connoté, ou "Les Maîtres de la mort" (1988, Doo-yong Lee & Scott Thomas) avec Sam Jones et
Linda Blair. Et au fond de la poubelle, en raclant bien les croûtes moisies collées à la paroi, il y a de purs nanars comme "
Samurai Cop" (Amir Shervan, 1989) ou le "Shadow of the Dragon" qui nous intéresse ici, rebaptisé "Dans les Griffes du Dragon d'Or" en VF, sans doute pour créer la confusion avec "Dans les Griffes du Dragon Rouge" (un film avec
Dolph Lundgren et Brandon Lee, sorti un an plus tôt et qui surfe lui aussi sur cette petite vague de mafieux orientaux).
La jaquette française de chez FIP, qui copie-colle sans aucune justification la tête de Jorge Rivero !L'acteur mexicain Jorge Rivero dans "Fist Fighter", qui n'a évidemment rien à voir avec la choucroute.Pour ce qui est de l'histoire, on évolue donc ici sur un terrain d'autant plus connu qu'il a déjà été défriché, tondu et ratissé un grand nombre de fois. Ici, deux flics bedonnants de Los Angeles traînent leur charisme défaillant lors d'une enquête dans les milieux du crime martial. Dans leur ligne de mire, le trafic de drogue d'une entreprise d'import-export dirigée par un mystérieux ninja qui se fait appeler "Le dragon du Mékong". Nos héros découvriront que leur ennemi et eux partagent un passé commun lourd de terribles secrets, du temps où ils combattaient tous ensemble, là-bas, au Viêt-nam…
Avant toute chose, il me faut évoquer l'élément le plus marquant de ce film : ses héros. Nous sommes en 1992. Dans le cinéma populaire d'alors, en matière de charisme et de notoriété, on trouve en tête de classement des gros bras comme
Schwarzenegger ou
Stallone. Pas très loin derrière viennent les
Jean-Claude Van Damme,
Chuck Norris et
Steven Seagal. Puis, un peu en contrebas, ce sont des figures comme, mettons, Don "the Dragon" Wilson,
Joe Lara,
Gary Daniels ou
Michael Dudikoff. Beaucoup, beaucoup plus loin, on commence à apercevoir la moustache de
Robert Ginty, les paupières lourdes de
Chris Mitchum, les joues aérodynamiques de
Max Thayer, perdues dans la masse grouillante et bigarrée de centaines de justiciers boîteux, sosies contrefaits, semi-culturistes pachydermiques et autres tatanneurs du dimanche, luttant pour leur survie dans l'univers impitoyable des direct-to-video. Jimmy Williams et Sandy Palm, les héros de "Dans les griffes du dragon d'or", se trouvent eux au-delà de cette foule, complètement hors de vue. Imaginez un marshmallow et un caramel mou passés au micro-ondes, donnez-leur le premier rôle dans un mauvais polar de 3ème zone et vous aurez une vague idée du résultat.
Tony Baker (Jimmy Williams) et Brian O'Malley (Sandy Palm). Des flics comme on n'en fait (heureusement) plus.Nos héros en plein travail : deux gros boloss avec un steez pas très swagg (je précise ça à l'attention du petit Kevin de Maubeuge, alias "bogoss59", qui commençait à être un peu perdu avec "tou cé mot chelou que tu dis m'ssieur, tsé").Les erreurs de casting, les héros pas crédibles, on connaît ça. Il suffit de penser à tous ces grands maîtres ninjas ténébreux joués par des touristes occidentaux ahuris dans les productions
IFD. Là pourtant, on atteint un stade inédit. Le regard terne, le cheveu gras, le ventre mou et le maintien flasque, Jimmy & Sandy offrent une caricature grotesque de flics de choc. Imaginez
Paul Préboist dans "
Superflic se déchaîne" mais au premier degré, sans élément de comédie ! Jimmy est gras, râblé et courtaud, aussi sexy en marcel bleu électrique qu'une barrique de gros rouge à la Saint Jean. Pourtant, à côté de son coéquipier, la simple loi de la relativité lui donnerait presque une allure svelte, la foulée légère et le port altier. Parce que Sandy, lui, a carrément les épaules affaissées, l'air effondré dans son vieux costume, d'énormes valises sous ses yeux tristes, des bajoues de castor malade, et cette manie de tout le temps soupirer comme un vieux chien dépressif.
Jimmy Williams dans son fameux marcel bleu. Quel homme !Sandy Palm semble lui préférer le rouge. On vous laisse juge.Prends garde, crime ! Roquentin mène l'enquête !S'ils avaient la vingtaine au Viêt-nam, ils devraient logiquement avoir la quarantaine, sauf qu'ils en paraissent facile 10 ou 20 de plus. Attention, qu'on ne nous reproche pas de faire du jeunisme ! Après tout il existait à l'époque des séries mettant en vedette des enquêteurs du troisième âge, mais tous avaient leurs atouts. Colombo avait son style, dans "Arabesque" Jessica Fletcher avait de l'esprit et Derrick avait, euh… un public. Mais Jimmy & Sandy eux n'ont absolument rien, aucun charme, aucune plus-value. Le plus pathétique, c'est cette tentative désespérée d'émuler les innombrables duos de flics qui ont peuplé les écrans des années 80. Eux arrivent bien après la bataille, et nous composent une sorte de parodie involontaire de "Deux flics à Miami" devant laquelle on ne peut que rire.
Papy & Pipô, la terreur du crime."Dans les Griffes du Dragon d'Or" reproduit maladroitement tous les poncifs du mauvais polar. On arrête un homme de main ? Celui-ci est tué par son employeur avant d'avoir pu parler (quand le flic chargé de le surveiller explique qu'il s'était juste «
absenté pour la pause café », Jimmy & Sandy lui disent que tant pis, c'est pas grave… on croit rêver !). Pas grave en effet puisqu'on trouve dans la poche de la victime un paquet d'allumettes avec l'adresse d'un bar… l'enquête avance ainsi de cliché en cliché. Quand nos deux flics font le coup de feu, comme ce sont des vétérans du Viêt-nam évidemment il y a de la casse, et leur supérieur (
Robert Z'Dar) se fâche tout rouge dans la grande tradition du polar ricain des 80's : «
Six hommes tués, un blessé et une voiture incendiée, pourquoi faut-il qu'à chaque fois que vous êtes ensemble vous déclenchez la Troisième Guerre mondiale ?!? ».
Le Capitaine Washington (Robert Z'Dar, malheureusement sous-employé).En apparence, Jimmy & Sandy sont donc des durs, mais en fait pour ce qui est des sentiments ils sont tout mous à l'intérieur (déjà qu'à l'extérieur…). Jimmy va ainsi se maquer avec Margie, chanteuse dans le fameux bar du paquet d'allumettes, tandis que Sandy vit avec Ellen, une ex-prostituée qu'il a demandée en mariage dans sa cellule de prison (la classe Sandy !). Justification scénaristique à l'appui, nos flics de choc et de charme filent ainsi le parfait amour avec des filles deux fois plus jeunes qu'eux.
Margie McGee (Donna Cherry, qui fut Miss California 84).Ellen O'Malley (Trudy Adams, vue dans les délicats "Gorgeous Ladies of Wrestling", "Powerful Women of Wrestling" ou encore "Space Girls in Beverly Hills").Loin d'être anecdotique, la romance entre Tony & Margie nous vaut notamment un somptueux montage en musique. Une séquence désarmante de naïveté, où les deux tourtereaux se baladent en roucoulant d'amour, partagent une glace, rient à gorge déployée, font semblant de manger des fleurs, regardent passer les bateaux, tout ça dans un montage légèrement accéléré, avec un grain différent du reste du film, ce qui laisse penser que ces scènes ont été tournées avec une caméra 16mm tournant en 16 ou 18 images par seconde (traduction : du matos léger qui permet de filmer plus facilement au milieu d'une foule quand on n'a ni autorisation de tournage, ni budget pour payer des figurants). Ce montage rappelle irrésistiblement une séquence analogue dans "
The Toxic Avenger", avec en fond la musique "Is This Love ?", sauf qu'ici, encore une fois, il ne s'agit pas d'une parodie.
"Dans les Griffes du Dragon d'Or" offre aussi une version de l'Orient tout droit sortie d'un vieux roman de gare à deux sous, en mélangeant indifféremment des éléments japonais, vietnamiens ou chinois. On a ainsi un ninja pratiquant le kung-fu qui idolâtre une statue khmer que veulent récupérer des Vietnamiens, réunis tantôt dans un temple thaï, tantôt dans un local décoré d'estampes japonaises ! Qu'importe, pour le spectateur ricain de base, tout ça fera sens (des niaks qui s'habillent comme des niaks, se battent comme des niaks, et vont dans des temples de niaks prier des divinités de niaks).
Tandis que s’écoule, avec le débit d’un fleuve asiatique pendant la mousson, un prodigieux flot d’absurdités narratives, les personnages orientaux du film profèrent sereinement des paroles comme «
Nombreux sont les yeux qui cherchent » ou «
Le Bouddha peut resplendir à nouveau », brefs des trucs que si toi ou moi on les dit on aurait l'air complètement con, mais là, dans la bouche d'un type aux yeux bridés, ça semble tout de suite vachement profond. Le comble est atteint avec la scène où l'impayable
Gerald Okamura fait office de détecteur de mensonge. Il prend les mains des héros dans les siennes, ferme les yeux, plisse le front et leur pose des questions d'une voix grave :
«
- Avez-vous pris la pierre précieuse dans le temple ?
- Euh… non.
- Mmmh… ces hommes sont bons, ils disent la vérité ! »
Gerald Okamura, habitué à ce genre de rôles.Côté casting, la présence dans une telle galère d'une figure aussi culte et populaire que William Smith relève de la prise d'otage. L'acteur interprète ici le méchant Eric Brunner, alias "Le dragon du Mékong", mais sa performance fait peine à voir tant l'homme n'est plus que l'ombre clopinante de ce qu'il fut autrefois. William Smith, mon petit Kevin, c'est un type qui a eu une putain de carrière, et aussi une putain de vie. Né en 1933, il grandit dans un ranch du Missouri, que sa famille devra abandonner suite au dust bowl (les grandes sécheresses qui ruinèrent le Middle West, coeur agricole des Etats-Unis). A 18 ans, il combat en Corée dans les rangs de l'US Air Force. Le fait qu'il parle couramment 5 langues (Anglais, Français, Allemand, Russe et Serbo-croate) l'amène à mener des missions secrètes pour la NSA et survoler l'URSS. Sportif accompli, il pratique le football américain à un niveau semi professionnel, la musculation et le culturisme, le kung fu, la boxe (palmarès de 31 victoires pour 1 défaite au niveau amateur), il est champion de bras de fer, champion de fouet, fréquente assidûment les compétitions de ski et de motocross. Il enseigne le russe à l'université de Californie, travaille comme pompier, cascadeur, prof de gym, maître nageur sur la Côte d'Azur, et a tenu en tout près de 300 rôles au cinéma et à la télé.
William Smith: The Man.Dans les années 70 il joue très souvent des rôles de dur à cuire, de cowboy farouche, de méchant de Blaxploitation (5 films), de biker avide de castagne (notamment dans "
Les Machines du Diable", où son gang de deux roues et lui sont envoyés par l'Armée affronter les Viet-congs !), et joue aussi les premiers rôles dans des films d'horreur et de SF comme "Bébé vampire" ou "Invasion of the Bee Girls". Dans les années 80, il se bastonne avec Clint Eastwood dans une des scènes de bagarre les plus longues et les plus cultes du cinéma ("Ça va cogner"), se fait embaucher par des pointures comme Coppola ("Rusty James") ou John Milius, qui lui fait jouer un Soviétique dans "L'Aube rouge", et le père d'Arnold Schwarzenegger dans "Conan le barbare". Et puis peu à peu, l'âge venant, il rejoint la triste cohorte de ces has been à l'aura déclinante, et se compromet dans une ribambelle de nanars aux titres ronflants comme "Cybernator", "
Hell Comes to Frogtown", "Legend of the Roller Blade Seven", "Manosaurus", "The Erotic Rites of Countess Dracula" ou "Zombiegeddon". Dans "Dans les griffes du dragon d'or", William Smith semble avoir déjà fait le deuil de son amour-propre et livre une interprétation empâtée par l'alcool (lire nos interviews plus bas), traversant ses scènes comme un navire sans gouvernail, et c'est quand même bien triste. Lui qui incarnait autrefois la force brute et virile, à travers d'innombrables rôles de machos bagarreurs au physique de mâle alpha, offre désormais le triste spectacle d'un vieil homme hagard, sans vigueur et sans substance. Fait pas bon vieillir…
Le méchant Eric Brunner (William Smith) soliloque avec une statue en balsa. Notez que si son visage est horriblement brûlé, sa moustache, elle, est toujours en place !Outre
Robert Z'Dar,
Gerald Okamura[/color], le fantôme titubant de William Smith et nos deux saucisses ventripotentes de héros, "Dans les Griffes du Dragon d'Or" fait aussi figure d'écrin molletonné pour toute une galerie de tronches 24 carats. Sbires au regard flou, hommes de main patibulaires, voyous grimaçants… c'est un véritable festival de gueules comme on n'en voit que dans ce genre de productions. Je ne sais pas où le directeur de casting est allé recruter tout ce beau monde mais je lui tire mon chapeau.
De vraies gueules de cinoche zédard.Un signe qui ne trompe pas : la présence de Conrad Brooks, une valeur sûre du nanar, déjà vu dans "Glen ou Glenda", "La Fiancée du Monstre", "La Nuit des Revenants", "Plan 9 From Outer Space" mais aussi dans "F.AR.T. the Movie".Dire que "Dans les Griffes du Dragon d'Or" pue l'amateurisme et l'incompétence résonne comme un doux euphémisme. Scénario anémique, dialogues ringards, bagarres lymphatiques, péripéties molles du genou, cascades minables, fusillades cacochymes… Les mots manquent pour décrire la pauvreté de cette petite affaire, auprès de laquelle le pire téléfilm allemand semble un feu d'artifice d'inventivité et de savoir-faire. Dès les premières minutes du film, le ton est donné : on nous balance quelques stock-shots de la guerre du Viêt-nam, puis on enchaîne sur une poignée de soldats dépareillés qui avancent dans une forêt même pas tropicale. Certains portent un casque, d'autres une casquette, et l'un… un bonnet.
Ceci est un jeune et valeureux G.I. en mission au Viêt-nam.Au début on est attentif au moindre détail, on scrute la misère de décors réduits à leur plus simple expression. Il y a cette paillasse censée figurer un des plus importants temples d'Asie, avec sa statuette en polystyrène et ses quelques breloques, il y a ce commissariat à moitié vide, cette boîte de nuit... bon Dieu, même l'entrepôt fait cheap ! On répertorie les faux-raccords, on analyse l'absence de logique d'un montage balourd, la mise en scène cotonneuse. Et puis passées les 20 premières minutes on ne fait même plus attention aux erreurs de continuité, à une règle des 180° constamment méprisée, aux regards caméra d'apprentis comédiens livrés à eux mêmes, aux cadrages indignes des reportages d'un stagiaire de télé locale, à une photo dégueu shootée en Derrick-Color, et aux innombrables scories de ce polar martial exceptionnellement mauvais.
Ceci est un haut lieu du bouddhisme.Ceci est un mannequin en mousse.Ceci est un stock-shot.Des effets spéciaux marqués du sceau de l'artisanat.Plan 1 : un mouchard tente d'alerter la police.Plan 2 : un sbire cabotin lui règle son compte à la dynamite.Plan 3 : la cabine téléphonique se transforme en boîte en carton, et le mouchard en poupée grossière.Evidemment, le scénario est bancal et très lacunaire, ou très lacuneux c'est comme vous voulez (je veux dire que c'est gavé de
plotholes mon p'tit Kevin, du vrai travail de boloss). Le réal n'a visiblement aucune idée quant à la façon de conduire son récit et se repose, en ultime recours, sur ce bon vieil artifice de la voix off pour faire avancer le schmilblick. L'enquête doit avoir l'air longue et compliquée, alors on filme nos héros qui marchent interminablement dans différents quartiers, interrogent la faune des bas-fonds de Los Angeles (genre un type en jean avec une mulette qu'avait pas l'air net), on les voit plisser les yeux et se gratter le menton, au détour d'un dialogue on mentionne un indic à Chicago, puis un bar près de la frontière, à Tijuana (ça n'apporte pas grand chose mais Jimmy devait trouver que "bar à Tijuana" et "près de la frontière" ça sonnait bien dans une enquête, même si la séquence a vraisemblablement été tournée dans un quartier Latino de Los Angeles). Et puis, pour clore le montage de cette séquence, Jimmy déclare brusquement à Sandy : «
Tu vas aller au dojo, j'ai entendu dire que les ninjas s'y entraînaient ».
Le fameux dojo où, paraît-il, des ninjas s'entraîneraient…A ce stade là, vous vous serez sans doute posé, comme nous l'avons fait, cette question légitime et élémentaire : pourquoi ? La réponse est toute simple. "Dans les Griffes du Dragon d'Or" a été conçu par et pour Jimmy Williams, l'interprète de Tony Baker. Jimmy Williams est présent à tous les postes : réalisation, production, interprétation, montage, direction artistique, prises de vue, cascades... y a même son petit-fils qui traîne sur le plateau : mémé Josephine ne pouvait pas le garder car elle produisait et scénarisait le film avec pépé. Et son coéquipier, le flaccide Sandy Palm ? Et bien il est co-producteur du film. Tout s'explique.
Le jeune Robert Shaun Williams dans le rôle du petit garçon égaré. Pas d'inquiétude, pépé Jimmy est juste à côté.C'est moi qui paye et c'est moi qui réalise alors c'est moi qui décide que je s'rai un super flic casse-cou et sexy qu'aurait fait le VIETNAM ! Et toi Sandy, si tu mets des ronds on dira qu't'es mon coéquipier qu'aurait lui aussi fait le VIETNAM, et ensemble on s'rait trop forts ! Et même qu'on vivrait avec des p'tites pépées blondes et bien roulées ! Allez Sandy, lâche des ronds, fais pas ton radin… Allez-euh Sandy, comme ça on peut jouer à la bagarre contre les Chinetoques !Jimmy Williams a commencé sa carrière d'acteur comme figurant non crédité sur des productions de premier plan ("Blue Collar" de Paul Schrader, "Raging Bull" de Martin Scorsese ou "Osterman Weekend" de Sam Peckinpah). Par la suite, il tient des rôles à peine plus consistants, et uniquement dans de pures bisseries ("Surgikill" d'
Andy Milligan, "
Samurai Cop", et pas moins de 7 films de Fred Olen Ray). Finalement, il doit attendre de passer lui-même à la réalisation pour obtenir son premier "grand" rôle.
Une photo prise le 31 mai 2013 au Nuart Theatre de Los Angeles, à l'occasion de la projection du fantabuleux "Samurai Cop" d'Amir Shervan, en présence de membres de l'équipe. De gauche à droite : le directeur photo Peter Palian, Jimmy Williams (qui jouait juste le rôle d'un officier de police non crédité au générique !), Douglas Dunning (le responsable acquisitions de Cinema Epoch, qui distribue le film), Gerald Okamura, et Mark Frazer. Jimmy Williams a également co-produit et joué dans "Killing American Style", du même Amir Shervan, dans lequel apparaît aussi Sandy Palms. (Source photo : viewerdiscretionadvised.net)Pour étayer cette hypothèse d'un film entièrement conçu comme un piédestal à la gloire de Jimmy Williams et de son copain Sandy Palm, il fallait les témoignages de quelques personnes ayant travaillé sur "Dans les Griffes du Dragon d'Or", alors votre serviteur s'est retroussé les manches et, grâce à la magie d'Internet et des réseaux sociaux, a contacté deux figures de ce somptueux nanar. Pour celles et ceux qui ont déjà vu ce film (j'en connais au moins… 4), la lecture de ces deux entretiens est indispensable. Pour le lecteur lambda et pressé, qui picore le web avec jamais moins de 10 onglets ouverts dans son navigateur, ce sera peut-être un peu long et fastidieux (clairement too much pour les neurones du p'tit Kevin, qui de toutes façons a déjà dû décrocher). Mais pour tous ceux qui se sont déjà demandés un jour, en parcourant les pages de ce site, comment il était possible de faire des films aussi mauvais, ces témoignages offrent un éclairage édifiant. Commençons avec Thomas Bull.
Tommy Bull, acteur, réalisateur de seconde équipe et chorégraphe des combats sur le film.Réalisateur de seconde équipe, chorégraphe des combats et interprète du bras droit du méchant dans "Dans les Griffes du Dragon d'Or", Tommy Bull est un personnage plutôt intéressant. Fils de boxeur, il a lui même remporté quelques titres dans le noble art dès l'âge de 17 ans, mais s'est surtout consacré aux art martiaux. Il est 9 fois champion du monde de kung-fu dans un style un peu confidentiel (Wa-Lu, originaire de Thaïlande), a remporté quelques belles victoires dans des compétitions de kickboxing diffusées sur les chaînes du câble aux Etats-Unis, avant de prendre sa retraite sportive en 1994. Il a également exercé le métier de chasseur de primes, et participé à la très populaire émission "America's Most Wanted". En tant qu'acteur et réalisateur de seconde équipe, il a notamment travaillé avec Robert Clouse ("Force Five"), participé à deux films italiens tournés coup sur coup en Floride ("Karate Warrior 2" de Fabrizio De Angelis et "Cop Target" de Umberto Lenzi), et croisé la route de pas mal d'acteurs appréciés ici (
Richard Norton, Benny Urquidez,
Gerald Okamura, Ted Prior,
Robert Ginty,
Charles Napier, Don "the Dragon" Wilson, Eric Lee,
Gary Daniels, Malcom McDowell, Charles Napier,
Robert Z'Dar, Joe Estevez ou encore
David Carradine). Il garde un très mauvais souvenir de sa participation à "Dans les Griffes du Dragon d'Or", et son témoignage apporte un éclairage assez cru sur les conditions de tournage.
Comment avez-vous été amené à travailler sur "Dans les Griffes du Dragon d'Or"?Tommy Bull : «
J'étais en Floride, je travaillais sur la série "2 flics à Miami", et j'ai profité d'un break pour aller passer une audition en Californie pour un film d'action produit par Concorde Pictures [Nanarland : la firme de Roger Corman]. Sur place, j'ai fait la rencontre de Jimmy Williams. Jimmy m'a parlé d'un film qu'il avait en préparation, et m'a proposé d'y tenir l'un des rôles principaux, ainsi que le poste de réalisateur de seconde équipe. Je n'avais aucune info sur ce projet, et pas la moindre idée que ça donnerait un film aussi mauvais, mais je lui ai donné mon accord. Quelque temps plus tard, je reprends donc un vol entre la Floride et la Californie, sans scénario entre les mains, j'arrive à l'aéroport et là il y a un vieux type qui vient me chercher, Sandy Palm, et qui m'apprend qu'il joue lui aussi dans le film. Il me fait monter dans une sorte d'épave roulante qui fume de partout, m'annonce qu'il m'emmène aux studios, directement sur les lieux de tournage, et il me tend le scénario pour que je puisse y jeter un oeil, alors que sa vieille bagnole est noyée dans un épais nuage de gaz d'échappement et que je n'y vois absolument rien. Et me voilà donc, à essayer de comprendre de quoi parle le scénario pour ne pas arriver complètement démuni sur le plateau de tournage, et à cause de la fumée j'ai du mal à respirer, et encore plus de mal à distinguer le texte que j'ai sous les yeux. Et je me souviens avoir alors demandé à Sandy "[i]Ok, qu'est-ce qu'on fait quand on arrive, par quoi on commence, qu'est-ce qui est prévu ?" Et lui : "
Oh je sais pas, ce sera à toi de voir une fois sur place." C'était l'anarchie, j'avais jamais vu un truc pareil. C'est là que j'ai compris que ça allait être un sacré défi.[/i] »
Comment s'est passé le tournage?Tommy Bull : «
C'était rude, y avait pas d'argent, une vraie misère. Les conditions de tournage étaient tellement rudimentaires que j'ai dû composer 65 plans avec, en tout et pour tout, une antique caméra qui avait au moins 50 ans. Je me suis efforcé de faire du mieux que je pouvais avec ce que j'avais, et je n'avais pas grand chose, parce que le budget était proche du néant, c'était comme tourner un film amateur. C'est l'épouse de Jimmy, Josephine Williams, qui faisait à manger pour toute l'équipe, et la pauvre était incapable de cuisiner, c'était une catastrophe. En fait je n'avais qu'une envie c'était de me barrer. Une fois sur place, quand j'ai vu la direction que prenaient les choses, je n'avais plus envie de faire ce film, mais je m'étais engagé et je suis quelqu'un qui tient parole, alors je suis resté. Le tournage en Californie s'est poursuivi par intermittence pendant plusieurs mois, et comme en parallèle je continuais à travailler sur d'autres projets en Floride, j'ai enchaîné plusieurs aller-retours pour tout mener de front, ce qui s'est très vite avéré épuisant. Et le pire c'est que je n'ai jamais été défrayé. Jimmy m'avait garanti une part de 35 000 $ sur les recettes, mais je n'en ai jamais vu la couleur, et au final j'en ai été de ma poche pour faire ce film. Je me suis tellement investi sur ce tournage, pour la simple et bonne raison que j'avais mon nom au générique, j'ai bossé littéralement 20 heures par jour pour arriver à boucler ce film pour Jimmy, pour arriver à produire quelque chose de bon à partir de quelque chose de très mauvais. C'était une expérience cauchemardesque, vraiment. »
Vous êtes également crédité comme chorégraphe des combats. Il y a pas mal de sbires et d'hommes de main dans le film, parmi eux certains semblaient s'y connaître un peu en arts martiaux, d'autres… pas vraiment !Tommy Bull : «
Pour la grande scène de baston à la fin du film, on avait 50 ou 60 types qui devaient s'affronter dans une même séquence. En tant que réal de seconde équipe, j'ai fait de mon mieux pour qu'on voit un maximum d'entre eux à l'écran, mais c'était un peu perdu d'avance, avec cette grosse caméra qui était plus vieille que mon père, et seulement une nuit de tournage pour tout préparer, régler l'éclairage, chorégraphier les combats etc. Pour réunir tous les combattants dont on avait besoin pour cette scène, on avait organisé une audition, et peut-être 200 lascars se sont pointés au studio. Pas mal d'entre-eux nous ont joué du pipeau, en nous affirmant qu'ils s'y connaissaient en arts martiaux, et il s'est vite avéré qu'ils n'y connaissaient rien. Du coup je me suis focalisé sur les 4 ou 5 gars qui avaient vraiment des compétences martiales, et ça m'a bien aidé parce qu'avec eux c'était plus facile de mettre au point les combats. Il y avait notamment Gerald Okamura, un Asiatique avec qui je me bat et qui me tue dans le film. Je crois qu'il était Maître dans un certain système de kung-fu, c'était quelqu'un d'adorable... mais pas un très bon comédien ! »
Tommy Bull et Gerald Okamura sur le plateau de "Dans les Griffes du Dragon d'Or" (plus précisément, sur le parking des studios Movie Tech, situés à Hollywood).Tommy Bull : «
Il y avait aussi un autre Asiatique, un p'tit freluquet dont j'ai oublié le nom [Nanarland : Daniel Kong]. Dans le film, son personnage est censé être un combattant aguerri, mais dans la vraie vie il ne connaissait rien aux arts martiaux. Qu'est-ce qu'il était mauvais ! A tel point qu'à un moment donné j'ai dû prendre son jeans, l'enfiler sur mes bras, avec une paire de baskets sur mes mains, pour faire croire à l'image que c'était lui qui portait des coups de pieds. C'est vous dire ! Bien sûr nous n'avions que très peu de temps pour tout mettre en boîte, et cette scène de baston générale - qui devait être un climax grandiose dans le scénario - et bien à l'écran elle a l'air minable. Et le pire dans tout ça c'est que Jimmy Williams n'était même pas là, alors que c'était son film ! Et quand il était là, il avait toujours une bouteille d'alcool à la main… »
Tommy Bull essaye de faire adopter à Daniel Kong une posture correcte (image tirée d'une vidéo faite pendant le tournage).La scène telle qu'on la voit dans le film.Des souvenirs de William Smith et de Robert Z'Dar?Tommy Bull : «
J'ai fait un autre film avec Robert Z'Dar par la suite, à la Nouvelle Orleans, ça s'appelait "Fatal Pursuit" (encore un mauvais film), et dans celui-là j'avais des scènes en commun avec Robert. Ce n'était pas le cas dans "Dans les griffes du dragon d'or", où Robert n'avait que quelques scènes de dialogue dans des bureaux, et rien qui ressemble de près ou de loin à une scène d'action. J'ai dû le croiser peut-être une fois dans le studio, c'est tout.
En revanche, William Smith et moi avions de nombreuses scènes en commun, puisque je jouais son bras droit. Un jour on s'est embrouillés et j'ai dû le remettre à sa place. Le truc c'est qu'il buvait pas mal en dehors du plateau. Ce jour-là, j'étais en train de mettre au point une scène de combat entre lui et le petit Asiatique - celui dont je vous disais qu'il ne connaissait rien aux arts martiaux. C'était la dernière scène du film, l'affrontement final entre le gentil et le méchant, devant cette grande statue de Bouddha, à l'issue duquel le petit Asiatique devait tuer William Smith. Le problème c'est que le p'tit Asiat' était catastrophique, et c'est là que je me suis retrouvé à enfiler mes bras dans un jeans, avec des baskets sur les mains, et à donner des coups sur la poitrine de William Smith pour faire croire que l'acteur lui donnait des coups de pieds. C'était tellement ridicule qu'au bout du compte, je me suis dit que le plus simple c'était encore que la grosse statue de Bouddha tombe sur William Smith et le tue avant même le début du combat ! Parce que bon, sinon c'était franchement pas crédible : vous avez un type qui doit faire 30 kilos tout mouillé et ne sait de toute évidence pas se battre, et ce gars-là est censé terrasser cette brute de William Smith, qui a toujours joué les gros durs au cinéma ? Le public n'aurait jamais gobé ça. Bref, pendant que je réglais cette séquence, William Smith buvait du whisky dans sa caravane, et quand il a débarqué sur le plateau, il était soûl. Le caméraman et moi étions en train de composer un plan, et Smith se tenait dans le champs de la caméra, nous bloquant la vue, et il avait l'air de mauvaise humeur. Je lui ai dit "[i]Ecoute, j'essaye de faire mon boulot" et il est parti au quart de tour, "[i]Qu'est-ce qu'il y a, t'as un problème !?", et il a commencé à s'énerver et à me traiter de noms d'oiseaux. J'ai tout arrêté et je lui ai dit "
Bouge ton cul et suis moi dehors, tout de suite", et une fois dehors je lui ai dit "
Si jamais tu me reparles sur ce ton, je t'éclate la tronche". Il s'est lentement incliné devant moi, en titubant un peu, je lui ai dit de retourner sur le plateau et de faire son putain de boulot, et c'est ce qu'il a fait. Après ça je me suis très bien entendu avec lui.[/i] »
Tommy (au centre), réalisateur de seconde équipe sur "For Life or Death" (1996), avec Richard Norton (absent sur cette photo) et Gerald Okamura.Au générique de "Dans les Griffes du Dragon d'Or", on retrouve Jimmy Williams à quasiment tous les postes : réalisation, production, interprétation, scénario, montage, direction artistique etc. En fait on a parfois le sentiment que ce film n'est qu'une vaste entreprise égocentrique, conçue entièrement à sa gloire. Quelle est votre opinion à ce sujet ?Tommy Bull : «
Vous venez de mettre dans le mille en disant ça ! Jimmy Williams a fait exactement ce qu'il a voulu, comme il l'a voulu, dans le seul but de devenir une star. Bien entendu, quand il m'a proposé de bosser avec lui, je ne me doutais de rien. Pour financer leur film, Jimmy Williams et Sandy Palm ont baratiné un riche docteur - ils lui ont raconté qu'ils étaient cinéastes, qu'ils étaient en train de monter un super projet etc. Je crois qu'au départ ils ont obtenu de lui 75 000 dollars, de quoi démarrer le tournage. Combien ils lui ont soutiré par la suite, je n'en ai aucune idée : ils n'en parlaient jamais avec moi et eux seuls doivent connaître le budget global du film. Jimmy Williams n'avait pas la moindre idée quant à la façon de faire un film, ni le moindre talent d'ailleurs, mais il désirait néanmoins percer dans l'industrie du cinéma. Ce n'était pas un bon comédien, ni lui ni Sandy Palm, et ils connaissaient que dalle au cinéma d'action. Ils naviguaient à vue, sans avoir la moindre idée de ce qu'ils faisaient. La seule chose qu'ils savaient avec certitude à mon avis, c'est que le docteur qui avait investi de l'argent dans ce film ne reverrait jamais son fric. Mais ça Jimmy s'en fichait ! Il voulait juste percer comme acteur, se faire un nom, il avait l'égo nécessaire pour ça, mais bien sûr rien de tout ça n'est arrivé, tout ce qui s'est passé au final c'est que le docteur a perdu de l'argent, parce que je suis persuadé qu'il n'a jamais récupéré sa mise. C'est vraiment un truc qui me débecte à Hollywood, tous ces types qui se prennent pour des cinéastes, qui prennent de l'argent à des gens, et puis qui font leur film sans se soucier de l'intérêt des investisseurs. A ce niveau-là, le tournage de "Dans les Griffes du Dragon d'Or" m'a vraiment servi de leçon. J'étais écoeuré par l'insouciance et le manque de professionnalisme de Jimmy Williams, et depuis cette mauvaise expérience j'ai appliqué cette règle d'or dans ma carrière : quand un investisseur avec qui je travaille me confie son argent, mon boulot c'est de protéger cet argent et de travailler au maximum de mes compétences pour m'assurer qu'il réalise un profit. C'est une question d'honneur. »
Nos deux interviewés Tommy Bull et Bill Mills, tournant des plans qui seront utilisés pour la séquence d'intro du film.Le résultat dans le film, avec Tommy Bull qui effectue des katas en ombres chinoises pendant que les crédits défilent à l'écran.[la suite de cette chronique dans le post ci-dessous...]