Titre : Reptilicus, le monstre des mers
Réalisation : Poul Bang, Sidney W Pink
Acteurs : Carl Ottosen, Ann Smyrner, Mimi Heinrich, Asbjørn Andersen et plein de figurants danois
Pays : Etats-Unis/Danemark
Catégorie : du fond des âges
Genre : Reptilus Ridiculus
Ah, les dinosaures, les terribles lézards, ces gigantesques et fascinants reptiles qui dominèrent la Terre durant 150 millions d’années et firent fantasmer plusieurs générations de gamins ! Ces créatures ont évidemment inspiré le cinéma et ce depuis ces débuts. De Gertie Le dinosaure à Sur la Terre des dinosaures, en passant par King-Kong, Godzilla et Un million d’années avant Jésus-Christ, le cinéma fut grandement inspiré par ces mystérieuses créatures et parfois fort bien inspiré. Mais le nanar fut également souvent le résultat de cette résurrection, comme en témoignent Le dernier dinosaure, La planète des dinosaures et autres Dinosaurs from the deep. Bref, entre le cinéma et les grands reptiles, c’est une longue histoire d’amour comme témoignera la notice consacrée au sujet de mon estimé collègue Plissken. Et Reptilicus est bien de ceux-là, un film qui, sans être révolutionnaire et tout en collant à son époque, cumule suffisamment de tares pour susciter l’intérêt de l’amateur de mauvais films.
Tout d’abord, une curiosité, le film est d’origine danoise (enfin, c’est une coprod avec les Etats-Unis, mais quand même). Il est en effet bien établi que dans la liste assez longue de films traitant des créatures préhistoriques, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne se sont largement taillé la part du lion, n’étant concurrencé que par le Japon et ses Kaiju-eigas (ainsi que, de manière plus relative, par la Tchécoslovaquie grâce aux efforts de Karel Zeman). Mais il n’y avait pas de raison pour que cette hégémonie ne soit jamais contestée. Donc, les Etats-Unis ont eu King-Kong, le Japon Godzilla, la Grande-Bretagne Gorgo et la Tchécoslovaquie l’arche de monsieur Servadac (et la France se console comme elle peut avec les créatures de Norbert Moutier), eh bien le Danemark aura Reptilicus. Mouais, bon, je ne veux surtout pas refroidir les ardeurs, mais avec un nom aussi ridicule, c’est déjà mal barré. C’est un peu comme si Les dents de la mer, s’était en fait appelé Squalus, vous immaginez. Mais bon, on ne va pas reprocher pour autant aux danois d’essayer autre chose que les sempiternels films d’auteur philosophico-éroticos pouet-pouet !
Une autre affiche où le monstre fait un peu dragon chinois
Une affiche italienne très classe!
Donc, le synopsis : En Laponie, une équipe de foreurs découvrent un morceau fossilisé et congelé d’une créature gigantesque. Le vestige du fond des âges est ramené à Copenhague au laboratoire du professeur Martens qui l’identifie comme étant une espèce de dinosaure et le conserve précieusement en chambre froide pour l’étudier. Je précise que l’on ne verra jamais plus de cinq personnes à la fois dans ce laboratoire censé être réputé et que ce dernier ne peut compter en guise de gardien que sur un seul vigile, un certain Peterson, dont les compétences laissent d’ailleurs à désirer. Nous y reviendrons ultérieurement. Mais le docteur Peter Dalby, assistant de Martens, provoque une catastrophe en laissant ouverte la porte de la chambre froide (enfin, plus ou moins, en fait on voit la porte toute seule tandis que le docteur dort, l’homme invisible devait être de passage) ce qui fait que le vestige n’est plus protégé. Alors là, que pensez-vous qu’il va se produire ? Celui-ci va se décomposer misérablement et sera perdu pour la science ? Ben, en fait c’est vrai, mais pas dans le film. Au contraire, cette action va permettre au morceau de chair inerte de se régénèrer et de reconstituer une créature vivante. Bon alors, je sais bien que les films de monstre de série B ne valent pas surtout pour leurs explications scientifiques, mais là, ma patience a quand même des limites et il ne faut pas exagèrer. Déjà qu’on essaie de nous faire croire que de la chair et de la peau d’une créature dinosaurienne ait put parvenir jusqu’à nous. Alors, je veux bien croire qu’en 1961, les connaissances en sciences naturelles étaient moins poussées qu’aujourd’hui mais ça m’étonnerait fort qu’elles l’aient été à ce point. Le film est ainsi rempli d’inepties de ce genre qui ferait hurler tout étudiant en première année de biologie. Ainsi, plus loin, un savant nous informe que le monstre serait un croisement entre un brontosaure et un amphibien, rien que ça ! C’est sans doute pour essayer de faire avaler le fait que le monstre en question ressemble à tout sauf à un dinosaure !
Un matériel de pointe et un personnel trié sur le volet: pas de doute, nous sommes dans un laboratoire scientifique danois de 1961!
D’ailleurs, le monstre, parlons-en. On le voit en action après qu’il se soit échappé en ayant tué Dalby. El là les mots manquent pour le décrire. Il est vrai que bon nombre de films de monstre sortis à cette époque ont passablement vieilli par leurs effets spéciaux, mais dans ce cas, les dits effets spéciaux ont dû prendre un sacré coup de vieux dés la sortie en salle. Immaginez un tuyau d’arrossage particulièrement rigide et recouvert d’une côte de maille, muni de chaussons pour enfants découpés en forme griffue en guise de pattes et d’une paire d’éventail en guise d’aile, puis faites-le avancer tant bien que mal dans des maquettes de ville. Voila, vous avez un parfait exemple de craignos monster propre à illustrer la définition elle-même de l’expression. Ajoutons à cela que la bestiole, à l’instar de son illustre homologue japonais, crache de l’acide mortel (à l’écran une immonde gouache verdâtre) qui a la particularité…de ne toucher personne. Si, je vous assure, à l’écran, vous ne verrez personne agonir de douleur ni même être blessé par le jet d’acide. Le monstre crache le jet et puis c’est tout. A la place, vous aurez droit à une séance de dégustation de quidam par la bête qui vaut son pesant de cacahuète. Inutile de préciser que chaque apparition de la bête bouste le quotient nanar du film, en fait, ce sont de loin les scènes les plus intéressantes, celles concernant les dialogues entre les personnages frolant souvent l’ennui. Bien sûr, la bête est insensible aux balles des mitrailleuses et aux obus des chars lancés contre elle, histoire de faire durer le danger. En revanche, elle craint le lance-flamme qui parvient à la juguler momentanément, allez comprendre. Le général en charge des opérations, comme tout bon officier américain qui se respecte, souhaite alors l’annéantir à coup de bombes, mais cela lui est impossible car chaque partie de la créature peut se régénèrer. Ne reste plus alors que la solution du poinson, soit envoyer un missile chargé de poison dans la gueule du monstre, ce qui nous donnera droit à un ultime effet spécial navrant et rigolo.
Graaaaouououhhhhh!!!!!!!
Coucou les pitits gnenfants, ze zuis caché!!!!!!!!!
Eh hop, un p'tit gueuleton pour la route!
Attention chéri, derrière toi, c'est affreux!!!! (tu m'étonnes, ils ne sont même pas sur le même plan!)
Pitié pour un pauvre craignos monster au chômage qui a crut en son film!
Tant que nous y sommes, parlons des personnages. Outre le fait d’être particulièrement stéréotypés (les scientifiques, le jeune premier, la fille du scientifique, le militaire) et globalement mal joués par les acteurs (je ne crois pas avoir vu une interprétation aussi monocorde), ils se signalent par leur inconsistance, pour ne pas parler de leur bêtise. Ainsi, on apprend vite que la bête peut être, sinon tuée, du moins blessée par lance-flamme. Pourquoi diable ne pas recommencer avec d’avantage de feu lors de son attaque suivante ? D’autant plus que le monstre se montre en plein jour et qu’il n’est pas difficile à viser. De plus, cela réduit le risque de régénération. Eh bien personne n’y pensera. On passera sur le fait que le laboratoir censé abriter la plus grande découverte scientifique et une créature potentiellement dangeureuse n’est gardée en tout et pour tout que par un gardien poltron et pas très futé. D’ailleurs, ce personnage de gardien, Peterson de son nom, est assez truculent. Seul protagoniste à avoir un peu de personnalité, il est censé incarné le personnage comique du film. Mais l’acteur en fait des tonnes et les gags tombent à plat de par leur simplisme incroyable. Surtout, le film rend le personnage très grotesque à tel point que cette image lui colle à la peau et qu’il est impossible de le prendre au sérieux par la suite, même lorsqu’il participe à des scènes dramatiques (notamment l’évasion du monstre). Le contraste est saisissant entre son cabotinage (pas le plus extraordinaire mais quand même assez consistant) et le non-jeu des autres acteurs. L’acteur, Dirch Passer, était un comédien danois très connu à l’époque et l’essentiel de la promo du film se fit sur son nom, à tel point que le titre faillit être « Dirch et le dragon ». Au demeurant bon comédien (il domine sans peine le reste du casting), il cabotine comme un diable et, s’il échoue à faire du personnage un véritable élément comique, il contribue cependant à donner un peu de vie et d’entrain à une histoire particulièrement stéréotypée et prévisible. La scène où il prend peur face à des anguilles et sonne une fausse alerte demeure assez croustillante tout en demeurant très téléphonée.
Encore un triangle amoureux impossible? Nan, un film de monstre nul qui meuble!
Une vidéo promotion pour le tourisme au Danemark? Nan, un film de monstre nul qui meuble!
Festival Dirch Passer!
Ajoutons que le film donne pas mal dans le remplissage de métrage, témoin cette scène de visite de Copenhague par le jeune premier Svend et la fille du professeur Karen qui nous offre un magnifique panorama touristique de la capitale danoise durant une dizaine de minutes. Ou encore les scènes de discussion particulièrement oiseuses dans des bureaux. Bref, ce sont bien toutes les tares du mauvais film de monstre de l’époque que l’on retrouve dans cette œuvre. Bon, alors, arrivé là, je devine toute de suite ce que vous allez me dire : « Ouah l’autre hé, mais c’est normal que ça ait mal vieilli, c’est le propre des films de monstre préhistorique de cette époque d’avoir des effets spéciaux datés, des personnages stéréotypés et des scénarios remplis d’idées cons », ce à quoi je vous répondrais que, d’abord c’est faux et ensuite, n’insulte pas les films de monstres préhistoriques des années 1950-1960 ou alors ça va mal se passer entre nous parce que moi, j’les aime bien ces films qui ont bercé mon enfance. Rien qu’à titre d’exemple, « Le monstre des temps perdus » d’Eugène Lourié, sorti huit ans auparavant, a de biens meilleurs effets spéciaux, un scénario plus solide et des acteurs convaincants. Alors oui, lui aussi a vieillit, mais il a su se bonnifier avec le temps et est devenu un monument du cinéma de genre bis (au point même d’être référencé dans Gremlins 2 de Joe Dante) ! Pas Reptilicus qui était déjà daté à sa sortie en salle et est resté au stade de la ringardise délectable.
Vous pouvez d'ailleurs juger sur pièce!
Bon les gars, ne nous faisons plus d'illusion, c'est foutu: notre dignité a trépassé!
Où est-il ce salaud de réalisateur, que je le flingue?!
Signalons enfin qu’il existe deux versions du film, une anglaise que j’ai pu consulter et destinée à l’international, et une autre danoise, comportant des scènes supplémentaire dont une romance entre Karen et Svend, une séance de vol du Reptilicus (il le faut !) et un numéro de comédie musicale avec Peterson (IL LE FOOOOOOO !!!!!!!!). Sidney W. Pink croyait sincèrement au succés de son film et laisse ce dernier sur une fin ouverte à une séquelle. Séquelle qu’il tenta de mener à bien 40 ans plus tard, en tentant de surfer sur la médiatisation du Gozilla de Roland Emmerich en 1998 (également un four soi dit en passant). Il ne put hélas mener à bien son projet et mourut en 2002 avant de le voir concrétiser. Voila un réalisateur qui avait de l’optimisme jusqu’au bout. Ce fut également la seule tentative d’incursion du cinéma danois dans le genre très prisé des films de monstre destructeurs de villes, laissant désormais le champ libre aux américains et aux japonais, et retournant aux sempiternels tourments des pensums intello-porno-trashs à la Lars Von Triers. C’est fort dommage car un résultat aussi prodigieusement ringard laissait espérer bien des continuations. Vivement le remake américain (par Roland Emmerich ?) !
Note : 3,5/5
Cote de rareté : Pas évident. La version américaine a été éditée en DVD en 2003, la version danoise en 2002.