A l'annonce de la programmation de la NEVIII, j'avais acheté sur le site de l'INA le procès de Henri Tisot au Tribunal des Flagrants Délires. Puisqu'il partageait l'affiche de ce film avec Luis Rego, avocat attitré du Tribunal, je me disais que, peut-être, il serait fait mention du film au cours de l'audience. Eh ben ça n'a pas manqué. Et avec complaisance, encore. Le résultat c'est un de mes procès préférés où la langue de bois est au vestiaire mais où tout se passe dans une ambiance vraiment sympathique. On revient sur les casseroles de l'accusé sans chercher à blesser ou mettre mal à l'aise et l'accusé/invité joue le jeu avec une bonne dose d'auto-dérision. Je vous ai donc retranscrit ici quelques passages spécialement dédiés au film qui m'a laissé hébété dans la file d'attente de la cafétéria de la cinémathèque, dans la nuit du samedi 31 mars au dimanche 1er avril tandis que derrière moi, Wilsonleyack répétait, le regard braqué sur les quelques pièces qu'il tenait dans sa main: "Mais c'est vrai : l'argent, C'EST ROND !"
Voici donc cette retranscription. Bien sûr, il y manque les intonations, le rire du public et des participants mais j'espère que vous l'apprécierez quand même. Personnellement, après avoir écouté l'intégralité du procès, je trouvais ce monsieur Tisot extrêmement sympathique...
CLAUDE VILLERS : L'AUDIENCE EST OUVERTE! HUISSIER APPELEZ ! L'HUISSIER: LE MINISTERE PUBLIC CONTRE HENRI TISOT ! CLAUDE VILLERS : ACCUSE LEVEZ-VOUS ! HENRI TISOT : Je suis à peine assis qu'on me fait déjà lever... PIERRE DESPROGES : Ah, commencez pas à râler ! CLAUDE VILLERS : VOS NOM, PRENOMS, AGE ET QUALITE? HENRI TISOT : Tisot, Henri, Augustin, Jean, Laurent, Louis. J'en ai cinq de prénoms. Euh... 1er juin 1937 à la Seine sur mer. Qualité? Comédien.
(...)
CLAUDE VILLERS : [Après avoir joué Néron], vous avez continué dans ce domaine avec un film qui tient beaucoup au cœur de votre défenseur (Luis Rego) et qui s’appelait Le Führer en Folie. Film où quand même il faut le dire, comble de l’abomination peut-être, Eva Braun était jouée par Alice Sapritch... Et vous avez dit à propos de Hitler, dans ce film qui est un des grands moments du cinéma français : « Quand je pense qu’il pouvait hurler et se démener devant le micro pendant des heures sans être exténué... Moi au bout de vingt minutes j’étais exténué, sans voix, il est très difficile à singer. » Et à l’époque, le 27 avril 1974, vous avez déclaré à Paris-Match que vous comptiez sur ce film burlesque pour redorer votre blason. HENRI TISOT : Oui, je me suis mis le doigt dans l’œil... Ou plutôt le bras d’Hitler jusqu’au coude... CLAUDE VILLERS : Quelques jours plus tard dans un autre journal, vous avez déclaré "Ce film demeure la honte de ma vie". HENRI TISOT : Oui mais malheureusement, on peut pas l’effacer... PIERRE DESPROGES : Moi je crois que c’est un peu par flemme que vous avez imité Hitler. Avec De Gaulle vous êtes obligé de lever les deux bras tandis qu’avec Hitler vous étiez obligé d’en lever qu’un... Feignant ! CLAUDE VILLERS : Je dois dire qu’il y a quand même une constante parce que vous avez également interprété Louis XVI dans la série télévisée La Fuite à Varennes... HENRI TISOT : Ah oui ça par contre j’en suis très fier. Disons que Louis XVI effacera aux yeux du public, j’espère, Hitler... LUIS REGO : Ah c’est pas sûr ! (...) HENRI TISOT : [Je fais surtout du théâtre] Au cinéma, personne ne veut de moi... CLAUDE VILLERS : Y-a-t-il un producteur dans la salle ? HENRI TISOT : Mais je dis ça sans acrimonie. Et quand on a voulu de moi, ça ne m’a pas réussi, n’est-ce pas maître ? LUIS REGO : Hein ? Euh... On en parlera tout à l’heure. CLAUDE VILLERS : Oui car il faut rappeler que l’avocat commis d’office avant de se trouver dans la noble profession judiciaire avait été commis d’office dans le même film que Henri Tisot, Le Führer en Folie... Je crois qu’il en sera question plus tard. PIERRE DESPROGES : MONSIEUR le führer, s’il vous plaît ! CLAUDE VILLERS : Oui, c’était un chef d’état, quand même. (...) CLAUDE VILLERS : Je voudrais rappeler que [le premier témoin appelé à comparaître, l’accordéoniste Aimable] a été le partenaire de l’avocat commis d’office... LUIS REGO : Ecoutez, je suis pas l’accusé aujourd’hui... CLAUDE VILLERS : ... dans le film Les Bidasses en Folie. C’était il y a déjà quelques années avec un groupe qui s’appelait Les Charlots, c’est cela... LUIS REGO : Euh écoutez, je peux pas me défendre là, aujourd’hui... CLAUDE VILLERS : Décidément, pauvre cinéma français...
(...)
JEAN-MARIE PROSLIER (second témoin) : En ce moment, je fais du baratin dans un théâtre... CLAUDE VILLERS : Oui, au théâtre des nouveautés, vous jouez actuellement avec Alice Sapritch, encore elle... (...) Le procureur (Desproges) va être jaloux après. C’est son rêve de jouer avec Alice Sapritch... JEAN-MARIE PROSLIER : Eh ben je lui livrerai alors. En deux colis.
(...)
PIERRE DESPROGES (dans son réquisitoire) : Comment, monsieur Tisot, avez-vous songé à singer monsieur Hitler dans Le führer en folie, qui fut par ailleurs un film d’une grande beauté formelle et d’un exquis bon goût ? On y voyait notamment madame Sapritch terrorisant les S.S. en leur montrant son c... son derrière. LUIS REGO : Moi aussi ! PIERRE DESPROGES : Oui, c’est vrai...
(...)
LUIS REGO (dans sa plaidoirie : On ne peut pas douter deux secondes que Tisot n’était pas de bonne foi en acceptant de jouer ce rôle. La preuve, un journal très important que j’ai pas le droit de citer titrait « Il refait une seconde carrière en se faisant peur à lui-même ». Authentique. Dans ce même journal, il est dit qu’il avait perdu dix kilos pour jouer ce rôle. Vous vous rendez compte qu’il jouait Hitler mais c’était Auschwitz pour lui ! Je me permettrais de faire remarquer à la cour que pour une fois j’ai un témoignage personnel vécu sur l’accusé puisque moi-même je tenais un rôle dans ce film comme vous l’avez dit tout à l’heure. Etant donné qu’avant d’être avocat au barreau bidon des flagrants délires… VILLERS ET DESPROGES : Comment ça « bidon » ? LUIS REGO : ... j’ai fait des métiers très variés dont « acteur de films comiques en folie » (...). Je peux vous assurer que cet homme a souffert. Il passait des heures entières à faire le salut hitlérien. J’en témoigne : il a tellement voulu s’imprégner de la méchanceté du führer que dans une scène où il se faisait poursuivre par des bergers allemands S.S., il a poussé la conscience professionnelle jusqu’à se laisser mordre. Bien sûr, on a aidé un peu quand même... Mais il a été mordu pour de bon. Il faut dire que c’était un film où y avait pas beaucoup de moyens. Déjà, les acteurs avaient envie de mordre mais alors les chiens c’était terrible ! (...) Quand on pense que mon client a dit qu’il comptait sur ce film pour redorer son blason... Cet homme est sincère ! Il a souffert comme le Christ pour imiter Hitler... CLAUDE VILLERS : Comme le Christ ? LUIS REGO : Presque ! Le seul tort qu’il a peut-être mon client c’est de dire qu’il a honte. Car ce film qui faisait pas dans la finesse avait un petit mérite : il montrait un Hitler très con ! (...) Monsieur le président, je n’ai jamais eu l’occasion de dire à mon client que je ne suis pas fier d’avoir joué dans Le Führer en Folie mais de là à avoir honte, il faut pas déconner. Je plaide non coupable ! CLAUDE VILLERS : Nous allons tout de suite... HENRI TISOT : Je voudrais, si je puis me permettre monsieur le président, mon défenseur a été merveilleux et il a raison parce que... il faut jamais cracher dans la soupe. Et j’ai un peu craché dans la soupe parce que quand même j’ai touché le chèque du film !
CE JEUDI 25 SEPTEMBRE 1980, HENRI TISOT SERA DECLARE NON COUPABLE A TROIS VOIX CONTRE DEUX.
_________________ Lawrence Woolsey, précédemment connu sous le pseudonyme de deathtripper21...
"Godfrey Ho a beau avoir trouvé des Kickboxeurs américains, le duel entre la mariée et la robe restera LA baston du film." Plissken
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