J'ai beaucoup apprécié cette expérience ciné fort originale. Il est difficile de parler du contenu du film car s'il est certes plutôt évanescent, l'attente dans laquelle est plongée le spectateur me semble un élément vraiment intéressant qu'il serait donc idiot de ruiner. On pourra se contenter de savoir qu'on s'intéresse ici au parcours d'une jeune femme, à 3 étapes de sa vie, enfant adolescente, puis adulte, qui segmentent ainsi le métrage. Le point commun qui lie ces parties m'a paru être le rapport à la sexualité et à son corolaire, la mort. On est ici dans du pur Eros et Thanatos, même si le propos n'est jamais asséné avec lourdeur.
Après, il faut bien avoir conscience que le film frôle l'essai expérimental : quasi-muet, avec des effets de réalisation parfois extrêmes (y'a un passage Spectrum X

), une absence totale d'explications, bref, il faut accepter de se laisser porter. Mais personnellement, j'ai trouvé que cela valait vraiment le coup. En effet, Amer se consacre à un travail sensoriel poussé, avec une mise en avant très importante du son, d'un visuel presque brut, et tente même de partager des sensations tactiles. Cela m'a fait penser aux vidéos de Strange Days où l'on peut revivre le vécu subjectif de l'encodeur, avec ce paraplégique qui se shoote aux vidéos d'un mec qui court sur la plage, submergé par la joie de sentir ses pieds dans le sable humide. Amer, c'est un peu ça par moments (la séquence où la jeune héroïne marche avec du vent qui fait battre ses cheveux et sa robe).
J'ai beaucoup aimé le premier segment, assez angoissant voire cauchemardesque, avec cette identification à l'enfant qui permet de revivre ses propres terreurs infantiles devant cette maison à l'ambiance morbide (ç'a m'a rappelé quelques souvenirs d'il y a bien longtemps). Le deuxième segment m'a également plu, c'est celui qui offre le plus en matière de sensualité, on sent la puberté à fleur de peau, prête à exploser dans une sensorialité potentiellement dangereuse. J'ai un peu moins accroché à la 3ème partie, un peu trop longue et plus classique dans son approche (un effet volontaire afin de monter un affaiblissement des sensations avec l'âge ?), même si elle propose tout de même des éléments intéressants (en plus, y'a plein de bruits de cuir dont je suis hyper fan depuis que j'ai découvert Cruising... J'en viendrais à me demander si je suis pas un fétichiste refoulé

).
En tout cas, j'en suis ressorti troublé comme rarement, avec la sensation d'être encore imprégné de ce que j'avais pu vivre (j'avais même la voix qui tremblait légèrement). Voilà vraiment un film que Paul Waztlawick pourrait penser destiner au cerveau droit, tant il fait appel à la compréhension analogique et figuratif, sans qu'il faille chercher à le rationnaliser ; en même temps, c'est aussi un film très psychanalytique, on est quasiment en mode association libre devant, et les thématiques sont très riches (Eros et Thanatos comme je le disais plus haut, scène primitive, projection fantasmatique...), voilà vraiment le genre de film dont on a envie de pouvoir discuter à distance, après l'avoir doucement digéré.
Je n'ai même pas parlé de l'influence du cinéma italien sur le film, qui l'avait amené à être vendu comme un hommage au giallo, mais c'est parce que c'est un élément qui, bien que flagrant à l'écran (couleurs, ambiance, musiques), m'a semblé vraiment secondaire.
J'ai eu de la chance de le voir au cinéma, dans des conditions qui facilitaient d'autant plus l'immersion sensorielle. C'est un privilège rare du fait de son faible nombre de copies sur le France. Mais que ceux qui le peuvent et qui sont prêts à expérimenter quelque chose de différents n'hésitent pas à aller découvrir ce film qui, je pense, risque de me trotter dans la tête pendant encore quelques temps.