Heartbreak ridge (Le Maître de guerre), Clint, 1986
Un film jouissivement couillu, et qui n'est pourtant pas dénué de sensibilité. Avec une voix étonnamment rauque, Clint compose un vieux baroudeur ultra-décoré et plus que jamais irréductible face à un état-major qui le considère comme un fossile. L'atmosphère du camp de Marines autorise un langage particulièrement fleuri qui n'est pas sans rappeller les outrances de
The Gauntlet. Eastwood assure donc le spectacle d'un film bien codifié mais parvient pourtant à susciter une vraie empathie pour ses personnages, encore une fois en s'attardant sur les à-côtés de l'intrigue principale, c'est-à-dire en accordant l'attention nécessaire aux personnages qu'il met en scène. Si Mario Van Peebles amuse en rock star de pacotille, le couple que forment Clint et son ex-femme, tous deux représentants de la vieille école et qui en ont souffert, est tout à fait savoureux (il faut voir Clint lire Cosmopolitan dans son pick up) mais aussi vraiment touchant. Le final avec le retour des héros vers ces femmes qui les attendent est d'une chaleur qui n'est pas sans évoquer certaines ambiances fordiennes. Parvenir ainsi à proposer un film aussi viril et pourtant plein de coeur est assez étonnant et fait pour moi tout le prix de ce film. Dans la série des Eastwood mineurs, je le préfère d'ailleurs à
Firefox. Le protagoniste y a plus d'épaisseur.
Bird, Clint, 1988
Je ne l'avais toujours pas vu. Fabuleuse plongée dans une époque, dans un milieu, dans un corps, dans une tête. J'ai complétement oublié que j'avais affaire à du cinéma, c'est-à-dire à une oeuvre, résultant de l'association de toute une série d'éléments. Évidemment, si je prends de la distance je suis capable de reconnaître le magnifique travail sur l'ombre et les couleurs de Jack Green, la bluffante direction musicale de Lennie Niehaus, la finesse du scénario et des dialogues de Joel Oliansky, l'interprétation phénoménale de Forrest Whitaker (mention spéciale à Diane Venora dans le rôle de Chan Parker), la justesse de la mise en scène d'Eastwood, toujours proche de ses personnages. Mais en fait j'ai été complétement absorbé par l'ambiance du film et cette histoire, cette musique. C'est d'une fluidité parfaite. Et la dédicace finale aux musiciens du monde entier est d'une telle évidence, tant tout témoigne d'une ambition pleine de justesse et de sincérité. Jamais on ne tombe dans la quête du pittoresque facile ou de l'emphase mélodramatique. Un film profondément beau et magique.
White hunter, black heart (Chasseur blanc, coeur noir), Clint, 1989
Un film qui est particulièrement cher à mon coeur puisque c'est peut-être celui qui m'a révélé Eastwood en tant que grand réalisateur. De plus, j'adore les films sur Hollywood et celui-ci nous offre un portrait savoureux d'un réalisateur qui ne pouvait que plaire à Eastwood. Vérité et fiction se mélangent, c'est magnifique et troublant. John Wilson est autant John Huston qu'un nouvel avatar du héros eastwoodien. Le personnage qu'interprète Eastwood est certainement un de ses plus beaux rôles, loin de tout manichéisme mais avec une réelle subtilité. Son obsession d'ordre quasi mystique, mettant en péril l'existence d'une production est traitée tantôt avec humour tantôt avec une vraie gravité. Et puis bon, ce dernier plan, cette dernière réplique... vertigineux !
The Rookie (La Relève), Clint, 1990
Vu en salle à l'époque, un film à l'ambition ouvertement commerciale, qu'on pourra juger sévérement, mais que Clint parvient à rendre jubilatoire par sa seule présence ! Bien qu'il semble avoir passé l'âge, il endosse un nouveau rôle de flic aux méthodes bien rentre-dedans qui rend fou ses supérieurs, dont la mâle attitude s'affiche par sa façon d'arborer constamment un barreau de chaise au bec sans jamais avoir de feu. Ici pas d'enquête policière mais un vrai gros film d'action avec cascades en bagnoles spectaculaires, baston de bar et gunfight (Buddy Van Horn rules). J'ai été assez étonné du dynamisme de la mise en scène et du montage lors de ses scènes. Eastwood réalisateur a dans ce domaine fait de réels progrès depuis la poursuite moto/hélico de
The Gauntlet. La caméra est d'une belle fluidité, avec une photo signée Jack Green qui comme toujours se plaît à laisser les ombres dominer. Le film est en fait assez violent, malgré quelques punchlines toujours bien senties. Raul Julia est parfait en vilain machiavélique et qui pourtant ne cesse d'échouer dans ses plans à cause du personnage de Clint. Ce dernier passera d'ailleurs un chouette quart d'heure lors de cette
infamous scène de viol par l'intimidante Sonia Braga. Charlie Sheen quant à lui se débrouille très bien en fils à papa luttant contre ses démons (excellente scène de cauchemar qui ouvre le film). Son pêtage de plomb dans la dernière partie donne un bon peps au climax. Et puis il y a cette scène qui me rend toujours hilare où Sheen et Eastwood font un plongeon en bagnole du dernier étage d'un immeuble qui explose, et Clint qui engueule Sheen en lui disant "boucle ta ceinture !" !
Unforgiven (Impitoyable), Clint, 1992
Cette revoyure m'a confirmé qu'il s'agit là incontestablement d'un de ses plus beaux films, à la photographie absolument somptueuse, tant dans les intérieurs sombres et boisés que dans les extérieurs désolés.
Unforgiven est un déboullonage impitoyable à la fois des mythes de l'Ouest tels que popularisés par des décennies de western mais aussi de la figure même du héros eastwoodien. Le masochisme de l'acteur n'a sans doute jamais été aussi loin. William Munny est un homme vieilli, une véritable loque obsédée par la mort et la pourriture, rongé par les remords d'un passé sanglant. La violence est omniprésente, la mort est sale. Richard Harris en vieux beau est bien maltraité. Les légendes sont fondées sur des mensonges et des impostures. Gene Hackman compose un subtil vilain. Et puis il y a ce choeur de prostituées, femmes traitées comme des moins que rien et qui incarnent ces voix de l'Amérique qu'on entend pas. Ce sont elles qui mettront en mouvement l'action. Le thème musical de Lennie Niehaus, sobre et empreint d'une profonde tristesse, apporte une dimension nostalgique supplémentaire. Peut-être le seul western produit ces vingt dernières années qui mérite le statut de chef-d'oeuvre ?