Après Scarface, me voici dans le monument ciné du poids lourd d'en face, monsieur De Niro qui est étonnamment méconnaissable de jeunesse dans ce film. Il ressemblerait presque à un croisement entre Daniel Auteuil et Stuart Smith, avec une pincée de Dupontel sur la fin. Bon, ces blasphèmes étant proférés, que dire de plus de ce film culte ? Qu'il est toujours agréable de retrouver à l'écran le New-York dépotoir urbain et sa faune nocturne aussi déjantée qu'inquiétante (aaah, les macs), sa violence banale (le braquage !), ses filles à tous les coins de rue, ses ciné porno (avec pop corn !)... Et magnifique Harvey Keithel en pimp hippie, m'évoquant là aussi un sosie d'un autre grand nom du cinéma, Tommy Wiseau.
Travis y transporte son âme en peine, sa haine de soi qu'il projette sur les autres pour se donner une contenance misanthrope, faute de mieux, sa drôle de quête d'une rédemption qui semble plus constituer un motif d'habillage de ses élans suicidaires (le rapport aux armes à feu est d'ailleurs bien illustré dans ce qu'elles peuvent apporter de réconfort et de sentiment de maitrise à un tel personnage en déshérence qui a d'ailleurs besoin de s'équiper en quantité grotesque qui finira pas se retourner contre lui). Il voudrait faire quelque chose de beau pour compenser sa laideur intérieure, mais se montre particulièrement malhabile, que ce soit dans les choix de ses sorties ciné ou dans sa vision très simpliste de la prostitution ; et à défaut de beau, il lui reste le spectaculaire équivalent suicidaire (l'assassinat) mais là aussi, quel maladroit derrière cette façade de gros dur you're talking to me ! Sans doute est-ce dû à sa rupture au monde (et à lui-même), une société qu'il ne comprend plus et qu'il ne peut désormais regarder qu'à travers son rétroviseur/filtre. Le film ne se veut pas très explicite sur l'origine des failles de Travis même si le contexte politique incite à les attribuer aux méfaits traumatiques du Vietnam (une façon de dénoncer l'indicibilité de ses conséquences sur les USA ?).
Un film glauque donc, dont la fin m'a paru très étonnante et de prime abord plutôt déplu, avant que je la reconsidère comme un probable fantasme de réussite du personnage, l'utilisation du rétroviseur rendant les événements vaporeux, avec ce mystérieux plan final qui laisse le spectateur plein d'interrogation.
C'est en écrivant cet avis que je m'aperçois de la force de Taxi Driver. Car si au visionnage, l'aspect contemplatif, l'attitude confuse de Travis ou certains choix de réalisation m'ont par moment laissé mitigé, sa relecture d'ensemble a posteriori offre une cohérence psychologique et thématique très appréciable et lui confère une véritable puissance cinématographique. Bien entendu, De Niro a toute sa part dans ce fait, avec son jeu tout simplement possédé, bien loin de sa future évolution de carrière (cela dit, tous les acteurs sont très bons).
A revoir pour en apprécier tout le jus, donc.