CAMP 731Titre original : Hei tai yang 731
Titre alternatif : Men behind the sun
Réalisateur : Tun Fei Mou
Pays : Hong Kong
Année : 1988
Genre : Historique / Horreur
Durée : 1h44
Acteurs principaux : Wang Gang, Wu Dei Yao, Mei Zhao Hua...
De 1932 à aout 1945, les Japonais établirent sur ordres de l'empereur Hiro-Hito un camp top secret, connu sous le nom d'Unité 731, dans la province chinoise du Manchoukuo. Dirigé par le scientifique de renom Ishii Shiro, ce camp avait pour but de mettre au point des armes bactériologiques avec lesquelles les Japonais espéraient gagner la guerre. Durant plus de treize ans, des expériences médicales et bactériologiques franchissant allègrement les limites de l'horreur y furent pratiquées par des scientifiques et médecins militaires japonais sur des cobayes humains, dans un premier temps des droits communs et des "suspects" extraits des prisons mandchoues, puis des milliers de civils Chinois arrêtés pour "espionnage" par le Kempetai, des Coréens, des soldats soviétiques et mongols capturés lors des batailles de Khalkin Gol (1939), des Russes blancs réfugiés en Chine depuis la révolution, des prisonniers de guerre américains, britanniques et philippins, des paysans mandchous arrêtés arbitrairement aux alentours du camp dès que les Japonais avaient besoin de "viande fraiche"... Suite aux bombardements d'Hiroshima et de Nagazaki et à l'invasion de la Mandchourie par les troupes soviétiques, les Japonais évacuèrent le camp, détruisant toutes les preuves et les bâtiments, gazant et incinérant les derniers prisonniers survivants. Seuls les Soviétiques organisèrent un procès pour certains membres de l'Unité 731 (qui furent toutefois condamnés à des peines très légères, une mansuétude qui fut également appliquée par les autorités staliniennes aux criminels de guerre allemands ou roumains du front européen). Aucun de ces bourreaux ne fut en revanche inquiété par les Américains qui, bien au contraire, recrutèrent les vétérans de l'Unité 731 (dont Ishii Shiro lui-même) afin qu'ils leur communiquent les résultats de leurs "recherches" et qu'ils dirigent de semblables expériences à Fort Derrick durant la fin de la guerre de Corée...
Tous ces faits historiques peu connus, toujours non-reconnus par le gouvernement japonais, sont fidèlement rappelés dans ce film d'exploitation hong-kongais appartenant à la Catégorie III et qui déclencha à l'époque une polémique, toujours vivace sur le net. J'avoue que lorsque j'ai visionné le film par curiosité et sans rien savoir de cette controverse, je m'attendais à un bon film, je savais juste qu'il était réputé gore mais je ne savais rien de sa réputation sulfureuse. Et en fait, je l'ai vu comme un bon film historique, certes ultra-violent et très choquant, mais absolument pas médiocre ou zédard. Aussi je fus très surpris de lire ensuite les avis très négatifs le décrivant comme
"racoleur", "propagande outrancière et nationaliste", "très médiocre", "mal joué", "mal fichu", bref, comme une sinistre daube d'exploitation pure jus et décérébrée (sauf un
article de Psychovision.net qui rejoint totalement mon avis). Personnellement, je ne suis pas du tout d'accord. Il y a effectivement quelques séquences un peu moyennes et une scène scandaleuse de snuff animalier (typique du cinéma de Hong Kong des 80's), mais pour le reste il ne s'agit en aucun cas d'un film gore lambda avec enchainement ininterrompu d'atrocités grandguignolesques. Il y a une histoire, des personnages, des enjeux dramatiques, et les scènes gores sont davantage au service du récit que l'inverse, même si l'on peut reprocher un coté un peu foutraque au scénario. En fait, ces moments gores occupent une place peu importante du métrage, la première scène vraiment trash survient d'ailleurs au bout d'une bonne vingtaine de minutes.
Le film s'attache davantage à dépeindre le point de vue et les cas de conscience d'un groupe de nouvelles recrues arrivant au camp au début de l'année 1945, de très jeunes adolescents (la plupart des bourreaux de l'Unité 731 étaient âgés entre 14 et 18 ans), qui parlent dans la première scène de leur chagrin d'enfants quand ils ont du dire au revoir à leur mère en quittant le Japon, et qui vont découvrir peu à peu quel genre de mission on attend d'eux. Ces enfants, fanatisés par un bourrage de crânes et une discipline de fer, participeront, sous les ordres d'officiers inhumains, à des actes d'une brutalité inouïe et se révolteront d'ailleurs à un moment. Contrairement à ce que beaucoup de critiques prétendent, il ne s'agit donc pas de
"propagande nationaliste et haineuse décrivant tous les Japonais comme des monstres" puisque les héros sont des Japonais qui réagissent plutôt mal à ce conditionnement extrême. Sous prétexte que le réalisateur est chinois, le film serait fatalement de la propagande nationaliste... Les autres personnages sont Ishii Shiro, ses officiers, les épouses de ceux-ci et les prisonniers qui tentent sans succès de s'échapper pour communiquer au monde extérieur les preuves de ce qui se passe dans le camp. Contrairement à ce qui est souvent avancé, les acteurs ne sont pas mauvais, et l'ensemble des personnages bénéficie d'un minimum de psychologie.
Venons-en à l'aspect véritablement polémique du film, à savoir les scènes des expériences médicales. Elles sont d'une violence et d'un sadisme traumatisants à ne pas mettre devant tous les yeux, c'est sûr, mais en même temps rien n'est inventé et ces abominations ont toutes réellement été commises par des scientifiques convaincus d’œuvrer pour le bien de la science et qui prenaient des notes en analysant toutes ces horreurs sous un angle purement scientifique, ce qui est montré dans le film. Et absolument rien n'est épargné au spectateur : une jeune femme a les bras soumis à un froid extrême puis ses avant-bras gelés sont plongés dans de l'eau tiède, avant que le médecin montre à ses élèves comment un seul coup de couteau peut ainsi en arracher toute la peau et la chair, la victime hurlant devant eux. Ça a vraiment eu lieu. Un homme nu est enfermé dans une cellule de compression, les médecins observent alors derrière un hublot l'homme hurler de douleur, s'effondrer à plat ventre sur le sol en déféquant, son corps gonfler, puis ses intestins lui sortir par l'anus. Ça a vraiment eu lieu. D'autres prisonniers se voient inoculer des virus pour être disséqués vivants. Un enfant, vivant, a l'abdomen ouvert au scalpel, son cœur et ses autres organes sont alors extraits sans grand soin et mis dans des bocaux, puis son corps en morceaux est évacué vers le four crématoire. Ça a vraiment eu lieu. Des prisonniers sont crucifiés dans une plaine, les observateurs japonais à bonne distance font alors larguer des bombes explosives libérant sur les malheureux des puces infectés qui les font mourir dans d'atroces souffrances. Tout ça a réellement eu lieu et les effets spéciaux sont tous d'un réalisme extrême. Autant dire que durant ces scènes, on n'est pas à l'aise et il y a de quoi avoir la gerbe. D'ailleurs, certaines scènes sont choquantes et efficaces sans recourir aux effets gores (la scène du bébé étouffé sous la neige, sa mère serrant par la suite dans ses bras un coussin qu'elle prend pour son nourrisson).
La grande force de ces séquences gores est qu'elles sont filmées exactement comme n'importe quelle autre scène du film. Aucun effet de mise en scène
"racoleur", aucune musique, la réalisation est au contraire très sobre et glaçante, l'horreur absolue fait partie intégrante de cet univers au même plan que les scènes de dialogues, si bien qu'on ne les voit pas forcément toujours venir. On est donc face à un film très perturbant, mais qui n'est pas tel que sa réputation le laisserait croire. Le réalisateur cherche-t-il à choquer pour choquer ? Ou nous délivre-t-il un message ? Ou un peu des deux ? Certes, Tun Fei Mou a un lourd passif dans le Cat III sadique et provocateur. Mais en fait, le message dénonciateur, que beaucoup de gens ont tendance à voir comme un simple alibi, occupe bien plus de place que les scènes chocs et le film décrit vraiment l'ensemble de la vie dans ce camp 731, avec une fidélité historique et un aspect quasi-documentaire. Et en même temps, il s'agit aussi d'un pur Cat III qui se complait à créer une ambiance profondément morbide et étouffante. Ce qui soulève la même polémique et la même question que les films sur la Shoah : peut-on réellement raconter dans une œuvre de fiction l'histoire de l'Unité 731 de façon fidèle et en allant au cœur du sujet sans sombrer dans un cinéma d'exploitation jugé racoleur et hard-core ? Une œuvre "grand public" ou du moins ne tombant pas sous le coup de l'interdiction aux moins de 18 ans peut-elle réellement aborder un tel sujet sans édulcorer la réalité ? Et si la réponse est non, y a-t-il donc des sujets historiques qu'on ne peut pas porter à l'écran ? Bien sûr, le film a des défauts, quelques passages un peu ridicules ou forcés (le prisonnier embroché sur le drapeau nippon à la fin), la séquence du chat dévoré vivant par des rats qui sont par la suite cramés sans aucun trucage est vraiment honteuse et de surcroit inutile, un certain manque de moyens se fait parfois sentir et les intentions du réalisateur sont ambigües, mais toujours est-il qu'après avoir vu ce film, on a une image assez juste de ce que pouvait être le quotidien dans ce camp de l'horreur totale. En gros, c'est un pur film d'exploitation au contenu très malsain mais où on apprend des choses vraies révoltantes sur une page d'histoire peu connue.
A noter que le film eut droit à deux suites réalisées par Godfrey Ho et que le réalisateur Tun Fei Mou tourna ensuite un film du même genre sur le massacre de Nankin sorti dans certains pays sous le titre
"Men behind the sun 4". L'Unité 731 a fait par la suite l'objet d'une autre film,
"Philosophy of a knife" d'Andrey Iskanov en 2008, que je n'ai pas vu et qui est apparemment plus un documentaire avec des images d'archives.