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 Sujet du message: L'âge de monsieur est avancé - Pierre Etaix, 1987
MessagePublié: 05 Fév 2013 16:33 
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Bon Pote de Godfrey Ho
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Inscrit le: 09 Jan 2006 12:54
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Localisation: Aux Studios MIRACLE :"Si C'est Un Bon Film,C'est Un MIRACLE!"
On se souvient tous de l’imbroglio judiciaire qui rendit l’œuvre complète de Pierre Etaix totalement invisible pendant près de 20 ans et qui trouva un dénouement heureux en 2010 avec la récupération des droits d’exploitation de l’œuvre par son auteur, donnant lieu à la sortie d’un superbe coffret regroupant l’intégrale de son œuvre.

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Intégrale ? Pas tout à fait. Une œuvre au moins manque à l’appel (1), le susnommé L’âge de monsieur est avancé (oui, moi aussi je suis ébahi par la coïncidence incroyable de cette adéquation entre le titre du topic et son contenu...). Première pièce de théâtre écrite par Etaix au début des années 80, son succès à La comédie des Champs Elysées dans une mise en scène de Jean Poiret avec François Périer, Caroline Cellier et Bernard Haller amena FR3 à lui en proposer une adaptation filmée qui sortit sur les écrans français à la toute fin de l’année 1987. Si les éléments que j’ai à ma disposition sont assez limités, il semblerait qu’il s’agissait à la base d’un téléfilm qui eut droit à une distribution en salle, à moins que ça soit l’inverse. Un film très agréable à regarder mais très difficile à résumer et à définir. Je vais quand même m’y essayer...

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Le film commence dans les coulisses d’un théâtre. Les comédiens se maquillent, le public s’installe, tout le monde s’active en coulisses et le régisseur, Jean Carmet, frappe les trois coups. Le rideau s’ouvre sur une scène vide. Apparait l’auteur, Pierre Etaix, qui commence à écrire sa pièce, dans laquelle un auteur commence à écrire sa pièce. Au fur et à mesure qu’il plante le décor, à savoir le bureau de l’auteur, celui-ci se matérialise sous nos yeux, dans des trucages à la Méliès (auquel Etaix rendra hommage deux ans plus tard dans un court-métrage avec Christophe Malavoy). Jusque-là c’est clair : ce que l’auteur écrit est la pièce que l’on regarde en ce moment et l’auteur dont il parle, c’est lui-même.
Il continue à écrire. « soudain... Euh... soudain... Le téléphone sonne ». Et son téléphone sonne. L’auteur répond : « Allô, oui... (...) Non, j’ai décidé de ne pas céder à la facilité du dialogue téléphonique au cours duquel le comédien répète ce que son interlocuteur est censé lui dire afin que le public (qui n’entend pas ce que l’interlocuteur dit tout simplement parce que qu’il n’y a pas vraiment d’interlocuteur) sache ce que le soi-disant interlocuteur dit à l’acteur ». On a donc affaire à une pièce où le personnage est à la fois auteur et personnage puisqu’il décide en tant que créateur des événements tout en s’y prêtant en tant que personnage et se permet de se moquer en tant que personnage/auteur des conventions théâtrales auxquelles il cède en tant qu’auteur. Vous voyez ?

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Extrait de la pièce jouée en 1988 avec Raymond Avenière, Catherine Dery et Bernard Marbaix

On connaît ce vieux truc usé de film racontant l’histoire d’un auteur qui n’arrive pas à écrire et qui va vivre une histoire étonnante qui va finalement lui rendre l’inspiration puisqu’il lui suffira de raconter ce qu’il a vécu au cours du film. C’est l’idée de cette histoire sauf que la fin est mise au début, la pièce s’écrivant alors même qu’elle se déroule. Et d’une phrase à l’autre, chacun des trois personnages, du régisseur/majordome Carmet à l'auteur Etaix en passant par la femme de l'auteur Nicole Falcan va passer du statut d’acteur à celui de personnage, d’individu capable de prendre des décisions et de s’émanciper du bon vouloir de l’auteur à celui de pantin victime du manque d’imagination de son créateur. Mais cela se fait sans rupture de la narration et on passe de l’un à l’autre au détour d’une scène, voire d’une phrase. On se sait vite plus si l'auteur écrit une pièce classique, une pièce mettant en abîme l'écriture de pièce ou si c'est encore plus complexe. Et comme aucun des personnages n’est épargné par ce revirement constant de point de vue et d’attitude, cela donne des dialogues savoureux du type de celui entre l'auteur et le régisseur :

« Avez-vous une idée de titre pour ma pièce ?
-Quelle pièce ?
-Celle que je suis en train d’écrire et que nous jouons en ce moment...
-Moi je ne joue pas, je suis régisseur. Mais si vous la jouez, c’est qu’elle est déjà écrite...
-Alors je ferais semblant d’écrire une pièce déjà écrite et qui a déjà un titre ?
-Forcément puisqu’il est sur les affiches du théâtre, sur le programme...
-Alors c’est quoi le titre ?
-L’âge de monsieur est avancé !
-C’est pas parce que je ne me rappelle pas du titre que c’est dû à mon âge...
-Non, c’est ça le titre...
-Mais ça veut rien dire ! »

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Pierre Etaix dans le rôle de l’auteur

Mais la situation va se complexifier avec l’arrivée de Nicole Falcan, la femme de l’auteur de la pièce, qui est aussi la femme de l’auteur dans la pièce. Constatant que dans la pièce, l’auteur s’est réservé le bon rôle et les bons mots (« Oh regardez-le, il est tout content, il a fait son mot ! »), elle va alors prendre sa place à son bureau et écrire la suite de la pièce. Ce faisant, elle découvre via des lettres cachées que son mari a une maîtresse et il va devenir impossible de déterminer si c’est dans la vie que la femme découvre l’existence de la maîtresse ou si c’est quelque chose qu’elle a écrit en temps qu’auteure pour que le comédien qui joue le mari devienne à son tour le personnage méprisable de l’histoire. Déjà que sur scène, on ne s’y retrouvait plus (les comédiens pas plus que le public) mais la mise en scène du film va encore ajouter un degré de complexité à l’ensemble, sans jamais trahir l’idée originale.

Paradoxalement, cette nouvelle dimension qui fait échapper le film à toute classification définitive, c’est entre autres l’ajout d’éléments propres au théâtre. Car au jeu du « où commence la vie, où s’arrête l’œuvre ? » vient s’ajouter ici la question « est-ce une captation théâtrale (on filme une représentation avec réactions directes du public), du théâtre filmé (pas de public mais aucun changement de mise en scène ou de narration) ou une adaptation d’une pièce aux standards cinématographiques (pas de public, des décors multiples, des extérieurs...) ? ». Eh bien ce film c’est à la fois une captation, du théâtre filmé et une adaptation, mais aucun des trois en même temps. On passe de l’un à l’autre constamment.

Pourtant ce qui sembler prédominer d’emblée, c’est l’aspect « captation ». Les premiers plans du théâtre le laissent croire tout comme le découpage en trois actes avec fondu au noir et le décor : les murs de la pièce où se situe l’action ne sont que des charpentes inachevées d’un décor théâtral. De plus, régulièrement, on a droit à des plans du public, comme dans une captation. Mais ce public ne se fait entendre que quand il apparait à l’image. Il ne réagit pas aux mots d’esprits, n’applaudit pas. Il est utilisé par Etaix comme une nouvelle façon, absente de la pièce, de se moquer des conventions théâtrales et la répercussion qu’une œuvre jouée sur une scène a sur son public. Ainsi, quand les comédiens se lancent dans un long dialogue sur l’infidélité, voit-on une spectatrice regarder son époux d’un air soupçonneux, accusateur. De la même façon, chaque fois que la pièce joue sur un effet convenu, on a droit au même plan d’une spectatrice qui se tourne vers son mari en disant « ah, tu vois ! ». On pense forcément à Tati, avec qui Etaix a fait ses armes au cinéma, notamment en tant que gagman et assistant réalisateur sur Mon oncle.

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En définitive, je dirais que ce film est une réussite pour la même raison que tant d’autres sont des échecs, à savoir le fait qu’il a carrément et volontairement le cul entre trois chaises. Mieux, ce refus témoigne de la maîtrise par Pierre Etaix de la mise en scène de théâtre, de la réalisation de cinéma et est suffisamment au fait de leurs dissemblances pour parvenir à passer de l’une à l’autre le temps d’un plan. Par exemple, il se plaira à alterner les adresses au public de façon théâtrale, accompagnant ses mots d’auteurs d’une gestuelle et d’une diction archétypique puis cinématographique via un regard caméra. D’autres choix sont à la fois beaucoup plus simples et très efficaces comme ce plan fixe ou, après avoir admis qu’il n’était pas le régisseur mais bien un comédien qui jouait le rôle du régisseur, Jean Carmet est sommé par Pierre Etaix d’aller chercher le vrai régisseur. On est donc logiquement dans le monde réel puisque les comédiens se présentent comme tel. Mais alors que le dialogue reprend entre Etaix et sa femme, la caméra reste sur Jean Carmet qui sort de scène, se retourne et attend sans bouger le moment où il devra retourner sur scène dire la suite de son texte (« le régisseur n’est pas là »).

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Ajoutez à ça des moments où Etaix s’autorise le temps d’un plan séquence un tournage en décor naturel au milieu d’une séquence ou cette autre où il revient à ses premières amours en composant un court numéro de clowns avec costumes avec Jean Carmet, le décor principal laissant la place à un chapiteau de cirque et ça vous donne un film ludique et très divertissant, qui tire une partie de sa force de l’inadéquation entre le fond et la forme puisqu’au texte très alambiqué répond une mise en scène qui refuse les effets et reste particulièrement sobre. Je crois franchement que si la mise en scène avait été plus délurée, le film aurait complètement perdu son spectateur puisque la complexité ludique des dialogues et situations nécessitait justement une sobriété dans la réalisation permettant de se concentrer sur un non-sens passant essentiellement par les dialogues.

En conclusion, j’avoue n’avoir que rarement éprouvé autant de plaisir à me perdre dans les méandres d’une œuvre artistique interrogeant le processus créatif et le principe de l’autofiction. Le film passe comme une lettre à la poste, on s’amuse et c’est seulement après le visionnage qu’on se rend vraiment compte qu’il regorge d’idées et de trouvailles que l’auteur ne cherche jamais à trop appuyer (comme quoi parfois l’humilité de son auteur est le meilleur allié d’un film). Je ne ferais pas une thèse sur ce film mais c’est très bien écrit, bien mis en scène, les comédiens s’amusent vraiment beaucoup et ça se voit, surtout Etaix qui se plait à imiter avec un naturel confondant la diction de Sacha Guitry (tout comme la structure de la pièce mari-femme-amants-bons mots un brin misogyne renvoie à celle des pièces de Guitry). En voyant ce film, on ne peut pas non plus s’empêcher de penser au premier film de Guitry, Le roman d’un tricheur et à l’inverse s’il fallait citer un film postérieur à celui d’Etaix qui semble s’en inspirer directement, alors ça serait Les clefs de bagnole de Laurent Baffie. http://www.dailymotion.com/video/x923j7_les-clefs-de-bagnole-bande-annonce_shortfilms?search_algo=2#.UREo-mdrOSo

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Allez, en bonus, un reportage d'époque sur le succès de la pièce originale : http://www.dailymotion.com/video/xa8mgc_theatre-des-champs-elysees-paris-19_creation#.UREidGdrOSo

(1) Pour être plus juste, il manque aussi pour que toute l’œuvre d’Etaix soit complète son film « J’écris dans l’espace », dernière réalisation du monsieur, premier film réalisé (en 1989) pour être projeté à la Géode via le procédé Omnimax, ce qui me fait demander si nous pourrons un jour avoir de nouveau accès aux films projetés à la Géode dont le très réussi « Les ailes du courage » de Jean-Jacques Annaud ainsi que quantité de documentaires passionnants. J’imagine bien qu’à cause du format, c’est un peu délicat de les sortir en DVD/Blu-ray mais est-ce vraiment impossible ?

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Lawrence Woolsey, précédemment connu sous le pseudonyme de deathtripper21...

"Godfrey Ho a beau avoir trouvé des Kickboxeurs américains, le duel entre la mariée et la robe restera LA baston du film." Plissken


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 Sujet du message: Re: L'âge de monsieur est avancé - Pierre Etaix, 1987
MessagePublié: 06 Fév 2013 10:48 
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Nanar un jour, nanar toujours
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Inscrit le: 07 Avr 2007 0:13
Messages: 3337
Merci pour ce compte-rendu très détaillé et qui donne envie.

On dirait du Charlie Kaufmann, mais avec Jean Carmet. La classe.

_________________
"But you say : Oh, when love is gone, where does it go ? And where do we go ?" (Arcade Fire - Afterlife)

Je n'aime pas Scorsese (c'est la raison pour laquelle je n'ai jamais vu aucun de ses films). (Elessar - sujet Le loup de wall street)


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 Sujet du message: Re: L'âge de monsieur est avancé - Pierre Etaix, 1987
MessagePublié: 07 Fév 2013 5:41 
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Docteur es nanarologie
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Inscrit le: 08 Mars 2007 9:48
Messages: 1749
Localisation: West from Germany
Merci, l'Effeuilleur de la Mort ! J'imagine que c'est une drôle d'expérience de voir ce film complexe, une expérience dont vous reviendrez transfiguré - au sens figuré. Ca me fait penser au film Le Magnifique de De Brocca 197, où Bébel est à la fois auteur et agent secret.

Et ça me fait aussi penser à ce que l'on ressent lorsqu'on va au théâtre : ces acteurs là devant nous, la plupart du temps ils sont dans leur personnage, mais il leur arrive de montrer qu'ils ont conscience du public, donc qu'ils sont là aussi en tant que spectateurs de leur propre jeu, et c'est peut-être ça l'essence du théâtre, qui ne se retrouve pas dans le cinéma.

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Faut régler cette situation au plus vite, ce qui veut dire définitivement.
(Le boss dans Laser Force.)

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 Sujet du message: Re: L'âge de monsieur est avancé - Pierre Etaix, 1987
MessagePublié: 07 Sep 2014 13:09 
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Apprenti Nanardeur

Inscrit le: 07 Sep 2014 13:06
Messages: 1
Nicole "Falcan" n'existe pas ! Elle s'appelle Nicole Calfan. Voir ici :

http://www.imdb.com/title/tt0094400/?ref_=fn_tt_tt_1


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