Aux débuts du site Nanarland, essentiellement à l'époque des chroniques de post-apos italiens façon Guerriers du Bronx, Nouveaux Barbares ou Rats de Manhattan, on a pas mal glosé sur les looks improbables dont les réalisateurs ritaux affublaient leurs acteurs et leurs figurants, donnant l'impression que les chefs costumiers avaient fait le tour des brocantes de Milan pour trouver ces fringues qu'ils avaient agrémentées de divers rebuts chipés dans les stocks d'anciens péplums, westerns ou films sur la seconde guerre mondiale. Bref, des sapes de récup' agencées un peu n'importe comment, juste pour donner une impression de dégénérescence post-apocalyptique. "Ouais, ça peut pas exister dans la vraie vie", disions-nous peu ou prou avec notre regard de types du début des années 2000.
Or, j'ai découvert, il y a peu le documentaire semi-amateur "80 Blocks from Tiffany's", un reportage de Gary Weis et John Bradshaw sur le New York de la fin des années 1970 (le docu date de 1979) et principalement centré sur deux gangs, les "Savage Nomads" et les "Savage Skulls" où le vidéaste part à la rencontre de ces gangers - souvent camés à mort, d'ailleurs - pour les faire témoigner de leur quotidien, de leur vision de la ville, de la vie, etc. Bien que certaines scènes soient des reconstitutions - et signalées telles quelles - ce n'est pas un mondo putassier et racoleur comme on a pu en tourner à la même époque, mais un authentique reportage qui évoque un peu une version trash de "Strip Tease".
Pour resituer un peu le contexte, il s'agissait alors du New York pauvre et insalubre de la fin des 70's - début 80's, lorsque la municipalité était l'une des plus corrompues ou impuissantes d'Amérique et la ville une des plus endettées de l'Occident. Une époque où les classes les plus aisées (et donc les plus imposables) avaient foutu le camp, avec pour conséquence une diminution drastique des budgets municipaux dévolus à l'entretien de la voirie ou aux programmes sociaux. C'était avant la grande réhabilitation du Bronx et de Brooklyn (ce Bronx en ruine qui sert de décor au film "Wolfen" mais qu'on peut aussi voir dans les premiers films de Scorcese type "Taxi Driver") où l'on voit des gamins piller des camions de livraison devant les yeux indifférents des flics et de la population ou raccorder sauvagement des fils électriques de l'éclairage publics pour alimenter leurs immeubles. Bref, c'était le New York franchement craignos avant que les new-yorkais ne se mettent à élire des maires "à poigne" (les démocrates Ed Koch et David Dinkins, puis les républicains Rudy Giuliani puis Michael Bloomberg - même si ce dernier est devenu "indépendant" depuis avant de soutenir Obama) avec les conséquences que l'on connaît: destruction et réhabilitation des quartiers pourris, tolérance zéro pour nettoyer les rues, purges dans la police et la bureaucratie municipales pour re-professionnaliser ces deux administrations, strict contrôle des armes - c'est d'ailleurs cette intransigeance sur le contrôle du port d'armes qui a coûté l'investiture républicaine à Giuliani pour la présidentielle de 2008 face à John Mc Cain - politique de "gentryfication" pour faire revenir les classes fortunées, la finance, les enseignes de luxe, les stars de cinéma et les bobos (les premières saisons de "Sex And The City" illustrent parfaitement le New York "gentryfié" de l'ère Giuliani) pour aboutir à la ville que nous connaissons aujourd'hui (à l'économie revivifiée, mais casse-gueule, puisqu'1% de la population représente 40% de l'impôt collecté et qu'ils suffirait d'un nouveau white flight de cette population pour revenir à zéro).
Et les gangs présents dans le documentaire? Ils sont morts. Et quand je dis "morts", c'est au sens premier du terme, puisque l'héroïne et le Sida ont fait des ravages parmi eux, laissant la place à d'autres gangs de rue plus "pro" et plus proche, dans leur fonctionnement, de la mafia que des espèces de Bronx Warriors vus dans le reportage. Et donc, justement, après cette longue digression, j'en viens justement à ça : les gangsters eux-mêmes. Une fois qu'on les voit, plus la peine de s'imaginer que les réalisateurs ritaliens se pétaient la tête au chianti avant d'écrire leurs scénarios car ils ne faisaient, en fait, que retranscrire ce qu'ils voyaient. Moi qui ne connaissais pas du tout le NY de l'époque, j'ai été assez surpris de voir, dans le documentaire, des blacks ou des latinos arborant des insignes nazis et écoutant du hard-rock ou des chants révolutionnaires sud-américains (le hip-hop n'apparaîtra que quelques années plus tard), un gangster noir se faire surnommer "Gestapo", des dealers portant des chaînes et des casques de waffen SS (par dessus leur coupe afro) et autres trucs qu'on croyait sortis de l'imagination de Castellari, Mattei et autres d'Amato.
Bref, ça dure environ 1h40 et c'est ici:
https://www.youtube.com/watch?v=DDb8Nr_gVcw