Citer:
Un célèbre podcaster américain, connu pour ses sujets farfelus, se rend au Canada pour interviewer un vieil homme totalement fasciné par les morses. Leur rencontre va très vite dégénérer…
Bien qu'ayant toujours été fan de Kevin Smith (et même fan hardcore depuis qu'il s'est mis au Stand-up Q&A), c'est bien le dernier de mes metteurs en scène favoris dont j'aurais attendu un film comme Tusk, même après avoir vu et adoré Red State. Tusk, c'est ce que j'ai vu récemment qui se rapproche le plus de ce que l'on considère comme un film culte, à savoir un film qu'on adore ou qu'on rejette, mais devant lequel on ne peut pas rester totalement impassible.
Pendant longtemps, Kevin Smith a été un réalisateur "dont le style était de n'avoir aucun style", qui prenait son pied à filmer des dialogues (brillants qui plus est) dressant en filigrane un portrait de ce que l'on appelait dans les années 90 la Génération X. Mais après Jay&Silent Bob Strike Back, témoin de la montée en puissance du ciné indépendant à la Miramax juste avant la fin de règne, Smith était parti vers autre chose. Sans se renier, il avait à cœur de chercher à explorer de nouvelles pistes, la comédie pseudo-familiale (Jersey Girl), la comédie sentimentale potache à la Apatow (Zack&Miri), la comédie d'action (Top Cops)... Malgré les échecs publics et critiques de ses films, on sentait que, le temps d'une scène, un vrai metteur en scène cherchait à percer l'armure du porte étendart de la Génération Glande.
Et puis, sans prévenir, Kevin Smith a fait Red State. Un film foutraque, qui part dans tous les sens et qui dégomme à tout va. La Kevin's touch était toujours là mais servait un propos, un sujet qu'il attaquait de front, rappelant les plus grandes heures du cinéma d'horreur/angoisse à l'américaine par son ambiance pesante régulièrement contrebalancée par une note d'humour noir ou potache. Pour la première fois, Smith s'attaquait à un film où une mise en scène basique aurait tout foutu en l'air. Certaines scènes étaient trop longues, certains revirements un peu What The Fuck mais il croyait en son truc et l'a porté jusqu'au bout, avec une énergie et une férocité qu'on ne lui connaissait pas mais qui lui allait bien. Puis il annonça son souhait d'arrêter de réaliser des films (très bon moment de son dernier stand-up)... Avant d'annoncer une trilogie d'horreur à base de monstres improbables, trilogie qui commence avec Tusk. Et ça donne vraiment envie de voir la suite !
Justin Long (déjà génial dans Zack&Miri) joue donc Wallace un podcasteur vedette parti au Canada interviewer le Kill Bill Kid, un gamin devenu star du web après s'être coupé la jambe face caméra en faisant une démonstration de sabre. Mais quand il arrive sur place, c'est pour apprendre que le gamin en question s'est suicidé. Dépité, il va porter son dévolu sur Howard Howe, un marin en retraite, auteur d'une étrange annonce de colocation (Michael Parks, déjà dans Red State et acteur récurrent de Tarantino depuis Une nuit en enfer). Se rendant sur les lieux, notre héros va vite se retrouver avec une jambe en moins, face à un hôte carrément flippant qui nourrit une étrange fascination pour les morses...
De par son sujet, Tusk partait avec de gros handicaps. Ca aurait pu être totalement ridicule, mais ça ne l'est pas. Ca aurait pu être morbide au point d'en être malsain, mais ça ne l'est pas. C'est juste un film plus profond qu'il n'y paraît, et dont le côté glauque nous force à creuser l'analyse. En fait, avec Tusk, Smith continue sa mise à nu de l'univers geek, mais prenant le parti du portrait à charge. Car on assiste durant tout le film à la transformation physique puis psychologique d'un homme en animal jusqu'à un point où l'on ne sait plus vraiment s'il reste une part d'humanité en lui.
Or, le choix du personnage n'est pas anodin. Ca n'est pas juste une private joke qui a poussé SMith à faire de son héros un podcaster (l'idée du film est venu d'un hoax dont il parle dans un des Smodcast qu'il a fait pendant quatre ans avec son pote et producteur Scott Mosier). Ce film est une sorte de réflexion sur le comportement de tout un chacun sur le web. Wallace et son pote Teddy (tiens, Haley Joel Osment, y avait longtemps...), animateurs d'un podcast fièrement intitulé le Not-See Party, s'amusent non seulement du malheur des autres mais poussent la méchanceté gratuite jusqu'à aller interviewer le malheureux estropié chez lui pour booster leurs audiences. Mais Teddy reste relativement humain comparé à un Wallace devenant franchement malsain par moment. La déshumanisation que lui fait subir Howard Howe n'est donc que le reflet de la déshumanisation morale qu'il s'est infligé à lui-même, dans les deux cas jusqu'au point de non retour.
Mais s'il y a une lecture très premier degré du film, qui en fait une version plus fouillée de Human Centipede, le film fonctionne aussi dans son alternance de scènes flippantes et glauque avec d'autres franchement marrantes, notamment quand arrive en milieu de métrage le mystérieux Guy Lapointe, interprété par un comédien de taille qui n'avait pas été aussi bon dans le cabotinage sobre depuis bien longtemps (enfin dans ce que j'ai vu). N'ayant appris son identité qu'en écoutant le passionnant commentaire audio de Smith, je me garderai bien d'en parler plus en détail.
Ah oui au passage : Genesis Rodriguez, je t'aime !Bref, Tusk n'est pas un film que je ferai voir à tout le monde de peur qu'on me prenne pour un psychopathe mais c'est un sacré bon film, à la fois détonnant et parfaitement intégré dans la filmographie de Kevin Smith. Vivement les deux prochains films du triptyque !
La Bande-annonce :
https://www.youtube.com/watch?v=BCQJnOn0ru0