The Wire, ça ne se raconte pas. Ca se vit.
Bon, alors en gros.
La série a été créée par David Simon, journaliste au Baltimore Sun et auteur de deux ouvrages : Homicide - A year on the killing streets où il a passé un an comme stagiaire à la brigade criminelle de Baltimore et The Corner où il s'est immergé dans un quartier pauvre, haut lieu de la distribution de drogue, pour chroniquer la vie de ses habitants hauts en couleur.
A celà il faut ajouter le parcours de l'autre auteur de la série, Ed Burns, ex-policier de Baltimore qui avait notamment travaillé dans les années 90 dans une task force réunissant police de Baltimore, DEA, FBI et IRS et qui était chargée de cibler spécifiquement l'un des gangs de la ville dans une enquête de longue haleine pour laquelle, pour une fois, la ville et le gouvernement avaient mis les moyens.
La première saison est largement inspirée de ces trois expériences. On y suit l'enquête d'un groupe de policiers de Baltimore chargé de mettre à bas justement un gang de trafiquants et revendeurs de drogue très bien organisé. Pour y parvenir, ils vont notamment employer des écoutes téléphoniques, d'où le nom de la série (The Wire pour wiretap, autrement dit "mise sur écoute").
La force de la série (au-delà de l'intrigue policière par ailleurs très bien ficelée), c'est qu'elle nous montre les deux facettes du miroir : les flics d'un côté et les dealers de l'autre. Elle démonte avec beaucoup de rigueur le fonctionnement des deux institutions (la police et le gang) : du côté de la police, les bonnes volontés sont sans cesse découragées par une hiérarchie frileuse, obsédée par son budget, ses statistiques et le besoin de ne pas faire de vagues, ainsi que par la fainéantise, la nullité et la bêtise avérée de certains policiers.
De l'autre, elle montre l'univers des dealers de drogue, les rouages internes et les règles non-écrites du gang, montrant en particulier l'absurdité d'un système qui réclame une loyauté absolue mais ne la récompense jamais.
Ca c'est la toile de fond. Devant, il y a, comme je le dis plus haut, une histoire policière super bien fichue et très réaliste (nos flics passent un temps fou à planquer pour rien et à remplir de la paperasse).
Après cette première saison, la série se poursuit en élargissant son regard à de plus en plus d'aspect du fonctionnement de la ville. La critique sociale est de plus en plus présente à mesure que la série progresse et s'ouvre au milieu des dockers, à celui de la politique, explore plus en détail le fonctionnement de la hiérarchie policière, dénonce l'absurdité des politiques actuelles de lutte contre le trafic de drogue, démonte les rouages de la politique municipale, fait une charge violente contre le système scolaire avant de finir par une vision particulièrement pessimiste de l'état de la presse en Amérique. Le tout sans jamais perdre de vue nos flics ni nos dealers du début.
Oui, ça fait beaucoup, c'est même peut-être la seule faiblesse de la série : à force d'introduire de nouveaux thèmes, de nouveaux personnages sans presque jamais laisser tomber les anciens, The Wire finit par n'avoir plus assez de temps à consacrer à chacun. Notez toutefois que le tout reste assez facile à suivre, si vous avez des sous-titres parce qu'autrement entre l'argot du ghetto et le jargon des flics, même en étant une brute en anglais vous n'y arriverez pas (pas mal d'Américains n'y sont pas arrivés eux-mêmes, ce qui explique en partie la décevante audience de la série).
Maintenant il faut parler du coeur de The Wire, ce qui rend la série si fantastico-géniale : les personnages.
Ils sont fantastice-géniaux. The Wire, avant d'être une critique sociale, avant même d'être une série policière, c'est une galerie de portraits. Flics, dealers, hommes politiques, hommes et femmes de la rue sont représentés avec une justesse et une richesse incroyable. Les acteurs sont tous exceptionnels et font vivre un casting haut en couleur de personnage inoubliables. Depuis les personnages principaux jusqu'à certains qui n'apparaissent que dans deux ou trois épisodes, en passant par la pléthore de second rôles, ils sont tous traités avec subtilité et justesse et on s'y attache très très vite.
Jimmy McNulty, Cedric Daniels, Lester Freamon, Shakima Greggs, DeAngelo Barksdale, Avon Barksdale, Stringer Bell, Omar Little, Brother Mouzone, Wallace, Bubbles, Bill Rawls, Herc & Carver, Bunk Moreland, Roland Pryzbylewski, Stan Walcek, Jay Landsman, Marlo Stanfield, Dennis Wise, Bunny Colvin, Bodie Broadus, Proposition Joe, Frank Sobotka, Tommy Carcetti...
Pour l'instant vous n'avez aucune idée de qui ils sont, mais je vous promets qu'après avoir vu The Wire, vous ne les oublierez jamais. Pour vous donner une idée, le rôle de la jeune tueuse Snoop est jouée par... une vraie tueuse qui a passé 8 ans en prison après un meurtre lié au trafic de drogue commis lorsqu'elle avait 14 ans. L'acteur André Royo joue Bubbles, un indic/junkie qui connait la ville sur le bout des doigts. Lors d'un tournage, il a été approché par un vrai junkie qui lui a proposé la moitié de son fix en lui expliquant "qu'il avait l'air d'en avoir plus besoin que lui".
The Wire, c'est de l'or en barre.
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