Bela Lugosi meets a Brooklyn GorillaTitre alternatif : Le Gorille de Brooklyn
Catégorie : Comédies pouet-pouet
Genre : singeries en tous genres.
Année : 1952
Pays : Etats-Unis
Durée :1h15
Réalisateur : William Beaudine
Avec : Bela Lugosi, Steve Calvert, Duke Mitchell, Sammy Petrillo, Charlita… .
On en a vu des rencontres insensées : Dracula contre Frankenstein, Bruce Lee affrontant le Gay Power, Kiss et des fantômes… j’en passe et des pires. Pourtant, on en arrive encore à être surpris lorsqu’on tombe sur quelque chose d’aussi atterrant que Bela Lugosi face à un gorille venu de Brooklyn, confrontation qui eut pourtant lieu dès 1952 quand des producteurs peu avisés décidèrent de mettre sur pied cette farce où le bon goût ne sera pas le seul à finir KO.

Reconnaissons tout de même que ce long-métrage aurait pu bénéficier d’un titre moins saugrenu. Devant s’appeler “White Woman of the Lost Jungle”, il ne doit son nouveau nom qu’à la suite de deux événements. Le premier étant la présence au générique de Bela Lugosi, les concepteurs décrétant que puisse qu’on avait réussi à lui mettre la main dessus, il serait dommage de ne pas capitaliser sur la présence de ce grand nom du cinéma, d’autant que la ressortie de son Dracula avait remporté un certain succès. L’autre raison se veut nettement plus cocasse et intervient lorsque Jack Broder, producteur exécutif, décida de valider le titre définitif sur le simple fait que celui-ci semblait amuser son fils de dix ans, lequel était d’ailleurs régulièrement consulté sur les différentes décisions à prendre durant le tournage. Une anecdote plutôt atypique, et qui en dit déjà long sur ce qui nous attend.

Elle à l’air de rien cette image, pourtant elle résume assez la perplexité du spectateur à la vision de ce machin.
Mais rentrons dans le vif du sujet. Tout commence quand deux hommes sont retrouvés sur une île par les membres d’une tribu locale. Alors que nos zigues sympathisent avec les autochtones, ils découvrent que non loin de là, un mystérieux docteur profite de l’isolement de son château pour poursuivre d’étranges expériences. Ni une ni deux, nos saltimbanques décident de s’installer chez lui, sans se douter que le charmant bonhomme voit en eux des sujets parfaits pour tester un sérum transformant les hommes en gorilles.

Amis lecteurs, gare à vous ! Si vous vous rendez dans un manoir sinistre, que le portier est inquiétant et le maître des lieux encore plus, il ne faudra pas venir vous plaindre si vous finissez en cobaye. Depuis le temps, vous devriez être au courant.

« This is the jungle » nous assène la voix-off. Merci pour la précision, je me croyais au rayon plantes exotiques de mon Jardiland.
Vous l’aurez compris, le scénario aurait tout aussi bien pu être celui d’un film d’horreur mais n’est en l’occurrence qu’un alibi pour justifier une enfilade de numéros comiques. L’atoll où échoue nos héros s’appelant Coca-Cola, inutile de vous dire que ça va gazer niveau calembours. Mais le haut du pavé est surtout tenu par des pitreries visuelles aussi fines qu’un bloc de parpaing. Blagues antédiluviennes, quiproquos de fond de tiroir, on ne peut pas dire que les auteurs aient beaucoup d’imagination et on en vient à se demander si le script possédait ne serait-ce qu’une blague écrite ou si tout fut improvisé sur l’instant par des comédiens livrés à eux-mêmes. Un sentiment en outre renforcé par la présence du réalisateur William Beaudine, surnommé «one shot » en raison du fait que toutes les scènes qu’il filme semblent être tournées en une seule prise. Cette réputation, partiellement erronée, ne sera de surcroît pas démenti par ce long-métrage où l’on insistera impuissant à des erreurs de montages et de mise en scène très grossières, voyant apparaître dans le cadre la doublure de Bela Lugosi ou encore des acteurs en train de pouffer en arrière-plan. Pourtant, on n’accablera pas entièrement William qui fait ce pour quoi il est payé à savoir tourner un film avec un minimum de temps et d’argent. De ce point de vue, on peut même dire que Beaudine s’en tire à merveilles puisqu’il bouclera le tout en 8 jours avec un budget ne dépassant pas les 100000 dollars. Une de ces performances qui devait consolider son statut de yes man prolifique (près de 400 films sur l’ensemble de sa carrière) mais rarement concerné par la qualité.


Des figurants aussi crédibles en sauvages qu’Alphone Beni en skieur est-allemand.

Notez que les gars sur la droite sont aussi censés être des indigènes. A moins qu’il s’agisse de musiciens arrivés ici sans aucune justification. On ne serait plus à une bêtise près.

Le chef du village en fait des tonnes. Ce n’est rien à côté de ce qui va suivre.
Alors que tout va à vau-l’eau, Bela Lugosi fait ce qu’il peut pour ne pas trop perdre la face. Affichant parfois quelques sourires en coins ou des moues affligées, Bela semble tout à fait conscient de la panade dans laquelle il s’est fourré et en profite pour surjouer son personnage de savant fou avec un plaisir communicatif. Profitant à fond d’une partition lui permettant de nous servir une parodie de ses grands rôles passés, Bela se lâche complètement, si bien qu’on est loin d’assister à la prestation purement humiliante d’un homme qui en était réduit à tourner dans ce genre d’âneries pour payer sa cure de désintoxication. Certes, la fatigue, l’âge et l’addiction à la morphine de Lugosi font parfois ressembler ce film a un cruel chant du cygne, lui qui ne devait plus apparaître que dans des zéderies comme «La fiancée du monstre » avant de définitivement tirer sa révérence à peine quatre ans plus tard. Pourtant, et semblant trouver là une bouffée d’air frais dans une période difficile, Bela nous montre surtout que s’il faut vraiment passer sous les fourches caudines, autant le faire avec classe et autodérision. Bravo l’artiste.

Bela fait le show ! Pour la petite histoire, sachez que ce film fait partie de ceux que regarda Martin Landau pour préparer son rôle dans le « Ed Wood » de Tim Burton. Un visionnage qui a manifestement marqué l’acteur, au point de déclarer qu’en comparaison, les films d’oncle Eddy étaient dignes « d’Autant en emporte le vent ».
Non, si Monsieur Lugosi est un seigneur, il lui faut des bouffons. Et c’est là qu’intervient le drame. Voulant surfer sur le succès des vedettes de l’époque, Dean Martin et Jerry Lewis, les concepteurs décidèrent de donner les premiers rôles de leur métrage à Sammy Petrillo et Duke Mitchell, un autre duo comique, poussant le bouchon jusqu’à intégrer certaines références aux films de Martin et Lewis à l’intérieur du film. Une volonté de flirter avec les limites du copyright qui se confirme avec les interprètes. Car ne se contentant pas de jouer dans le même registre, Mitchell et Petrillo sont avant tout les copies carbones des originaux, proposant une reproduction éhontée de leurs attitudes à l’écran, avec plus ou moins de bonheur. En effet, si Mitchell joue avec retenue, expression polie pour signifier qu’il est a demi absent et montre de gros problèmes de justesse dès qu’il faut faire autre chose que draguer et pousser la chansonnette, que dire de la prestation apocalyptique de Sammy Petrillo. Gesticulant à la manière d’un bonobo pris de crises hémorroïdaires, geignant comme un gosse attardé à qui on vient de piquer sa sucette, Petrillo est une aberration, un monstre sortie des enfers, donnant à son public l’envie de se couper les veines avec des couteaux rouillés plutôt que d’en subir davantage. Possédant qui plus est une voix nasillarde proprement insupportable, on comprend mieux pourquoi Jerry Lewis chercha à faire détruire toutes les copies du métrage et voulu intenter un procès à Petrillo sous le prétexte que son jeu se rapprochait trop du sien. Plus que le plagiat, Jerry cherchait avant tout à préserver le monde d’un acte terroriste abominable. D’ailleurs, on l’en remercie, ce long-métrage et les menaces de poursuites qui s’en suivirent devant marquer la première et dernière apparition du tandem à l’écran, les renvoyant dans les night-club dont ils n’auraient jamais dû sortir.


Dean Martin, lui, savait très bien qu’il n’était pas nécessaire de menacer Duke Mitchell d’un procès pour ruiner sa carrière. Publier ces deux photos aurait suffi.

Oubliez Freddy Krueger. Voici le nouveau maître de vos cauchemars.

Tires Bela. On dira tous que c’est un accident.
Ce qu’il y a de plus consternant dans toute cette histoire, c’est que les meilleurs acteurs s’avèrent être les primates, qu’ils soient vrais ou faux. En premier lieu, on retrouve un chimpanzé bien connu, puisqu’il s’agit d’un des nombreux interprètes du rôle de Cheetah dans les Tarzan avec Johnny Weissmuller. Rebaptisé Ramona, sans doute pour préserver sa réputation, notre mammifère réussit l’exploit de voler la vedette à la plupart de ses camarades humains. D’une justesse terrifiante, il n’a rien à envier à son comparse costumé, Steve Calvert qui montre une fois de plus l’étendu de ses qualités. Comme souvent, le rôle qu’il tient est particulièrement ingrat puisque non seulement on ne voit pas son visage, mais qu’en plus il n’est même pas crédité au générique. Il n’empêche qu’en un sens, une certaine justice lui est rendue lorsqu’il apparaîtra dans la dernière partie du film pour jouer l’alter ego simiesque de Duke Mitchell, alors transformé en ce fameux « gorille de Brooklyn », et qu’il parviendra en cinq minutes à afficher un potentiel comique plus élevé que nos deux pitres sur toute la durée du film. Une prestation d’une mise en abyme vertigineuse où on verra donc un homme déguisé en singe jouer un singe se comportant comme un homme. En attendant, c’est surtout dans son sens de l’anonymat que Calvert nous montre son talent en prouvant qu’apparaître masqué à cela de pratique qu’on n’est jamais formellement reconnu pour avoir participé à un tel forfait.

Malin comme un singe, j’vous dis.


Images édifiantes. Un Steve Calvert en costume joue mieux qu’un Sammy Petrillo sans.

Plus besoin de chercher le meilleur interprète, vous l’avez sous les yeux.
Si les cas des acteurs sont entendus, il faut ajouter que le film n’a pas porté chance aux autres participants, lesquels n’ont jamais vraiment laissé leurs empreintes dans l’histoire du cinéma. A vrai dire à part Herman Cohen qui put continuer une gentille carrière dans la production ou William Beaudine qui enchaîna encore une pelleté de films (le zouave devait en remettre une couche dans les rendez-vous improbables avec « Billy the Kid vs Dracula » et « Jesse James meets Frankenstein’s daughter »), peu de monde est ressorti indemne de ce qui ne fut pas un four complet mais encore moins un franc succès. Ainsi, s’il peut être vu comme un petit film d’exploitation obsolète, « Bela Lugosi meets a Brooklyn Gorilla » reste avant tout une abjection à la non-drôlerie terrifiante. Réalisé à l’arrache avec des interprètes en perdition, il a des chances de provoquer l’apoplexie chez les personnes n’étant pas averties des frasques de Sammy Petrillo. Néanmoins, nul doute qu’il réussira au moins à plaire aux amateurs de vieilleries pour réussir, enfin, à trouver son public. Et finalement, n’est elle pas ici la plus belle des rencontres ?

« Hey Duke, regardes ce type, il te fait pas penser à quelqu’un ? »

« Mais si ! Le gars qui joue les monstres… . »

« Ça serait pas attends… oui voilà : Boris Karloff !
- Merde Sammy, j’espère vraiment pour toi que tu le fais exprès ».
Wolfwood 2/5
Cote de rareté
Disponible en France chez Bach Films sous le titre « Le Gorille de Brooklyn », le dvd se trouve pour presque rien sur certains sites de vente en ligne, ou peut être chez votre revendeur le plus proche. Si vous n’êtes pas très chaud pour risquer l’investissement, il ne vous reste plus qu’à attendre une diffusion sur Ciné Fx, c’est bien la seule chaîne à ce jour qui aura les cojones de diffuser ce truc (et même en prime time, des vrais fous).

Liens utiles :
La bande-annonce :
http://www.archive.org/details/bela_lug ... yn_gorillaUn entretien avec Herman Cohen, producteur du film, qui en dit plus sur l’avant, le pendant et l’après tournage :
http://www.hermancohen.com/interviews-cohen3.htmlDuke Mitchell nous en pousse une
… de chanson .
