JACK TILLMAN a écrit:
Question : vous avez encore souvent des reproches au sujet des chroniques mises en ligne ? Je ne vais pas sur les réseaux sociaux, donc je demande.
Alors, honnêtement, de moins en moins. Et plus on avance dans le temps, moins on est sur des exemples précis (et parfaitement défendables pour certains), et plus on est sur le maintien envers et contre tout d'une prise de position "de toute façon j'aime pas Nanarland et puis c'est tout".
On ne vas pas se mentir, au départ, il y a eu de vraies, grosses erreurs de casting dans les chroniques de Nanarland. Une des toutes premières chroniques du site étant... Massacre à la tronçonneuse

(chronique promptement retirée du site ! pour ma défense, je n'étais pas encore là

). Par la suite, on nous a reproché de cataloguer des réalisateurs comme Joe D'amato ou Jesus Franco "réalisateurs nanars". Ou de rire bêtement en mettant tous les films bis italiens dans le même panier (ce qui est faux bien sûr). Bon, clairement le site a démarré comme le gentil délire de 5 étudiants, se marrant à rire de mauvais films, souvent avec une certaine mauvaise foi. Et puis le site a grandi, évolué, gagné en légitimité. Et les critiques ont été moins nombreuses. Drexl m'avait raconté qu'un jour, dans un festival, il s'était présenté comme membre de l'équipe Nanarland auprès d'un journaliste de Mad Movies (à l'époque où Drexl ne travaillait évidemment pas pour le magazine). La réponse fut, en gros et de mémoire : "au début je ne vous aimais pas, je trouvais que vous étiez des petits cons qui aimaient juste se moquer des films. Et puis après j'ai vu vos interviews et j'ai révisé mon jugement."
Il y a toujours (et il y aura toujours) des personnes réfractaires à Nanarland, et je le comprends parfaitement, et ça ne me pose aucun souci. Mais ce qui est amusant, c'est de constater en creusant un peu qu'il y a souvent chez les "anti-Nanarland" de la jalousie, du fait de la popularité de Nanarland. On nous a même joué le couplet façon Oncle Ben du "avec votre grande visibilité, vous avez des grandes responsabilités, et à cause de vous, maintenant les gens du grand public voient tous les films de genre italiens, mexicains ou philippins à petit budget comme des gros nanars"
Ce qui est amusant aussi, c'est le niveau assez hallucinant de contradiction qu'on trouve parfois. On peut être d'accord avec nous sur 99% du contenu d'une chronique, mais le fait de qualifier un film de "nanar" est une ligne rouge absolue, qui nous démarque idéologiquement et fait office de repoussoir. Si on prend par exemple quelqu'un comme David Didelot : je l'aime bien, je n'ai jamais lu son fanzine Medusa mais j'ai aimé son bouquin sur Bruno Mattei et celui sur la collection de livres Gore, il a fait un boulot énorme. Quand il parle de Mattei, il a volontairement banni les termes "nanar" ou "navet" qu'il déteste. C'est son choix, je le comprends, pas de problème. Mais on sent bien qu'au fond il aime les films de Mattei pour les mêmes raisons que nous, pas parce que ce sont des chefs-d'oeuvre du 7ème art.
A titre d'éclairage, pour que vous compreniez le sentiment de contradiction dont je parle, je vous copie-colle son avis sur le livre Nanarland tome 2 :
Citer:
"Nanarland - Le Livre des mauvais Films sympathiques 2 : Electric Bogaloo", Ankama Editions, 2016.
Les mecs ne manquent pas d'air quand même : en ouverture du livre, la bande à Nanar balance les citations non circonstanciées de quelques facebookeurs détestant la nanardie, ou agacés tout simplement... avec noms à peine camouflés desdits "haters". Les passants réguliers du réseau reconnaîtront ces "salauds" ; les méchants "coupables", eux, en riront… ou pas. Troisième degré génial ? Cynisme au cube ? Réponse ironique du berger à la bergère ("vous haïssiez le volume 1? Ben voilà le tome 2 dans votre gueule !") ? Dédramatisation rigolarde d'un débat qui agite le marigot bisseux (le bien-fondé, ou non, du concept même de "nanar") ? Ça provoque grave quoi, du moins ça le voudrait, comme un impayable Yann Barthès (lol), comme un Laurent Ruquier hilare (mdr), ou comme un François Forestier bissophile (ptdr). On ne peut pas plaire à tout le monde certes, même si "TéléObs" a bien aimé.
Soyons honnêtes cependant : le bouquin tape carrément à l'œil, excite les glandes salivaires, genre bonbon acidulé dans son emballage flashy. Et comme pour l'opus 1, l'habillage VHS met dans le mille (sans compter la touche Melki pour la couv') : belle idée n'empêche, au diapason d'une nostalgie ambiante qu'exploite savamment l'équipée Nanarland. C'est joli, c'est vrai, et c'est foutrement bien ficelé : chapitrage habile du bouquin, titrage rigolo, accroches incitatives, choix de films improbables qui passeront sur la sellette (mention spéciale à la partie "Enfances souillées"), illustrations volontairement laides, articles découpés comme un talkshow ou un post FB, et ce pour aller vite, vite ! à l'essentiel (?) (la meilleure réplique, la meilleure scène...).
On l'aura compris : je n'habite pas à Nanarland, et c'est peu de le dire. L'évocation ultra cynique d'un cinoche prétendument mal branlé et rapiécé ne me fait pas bander, et m'arrache rarement le sourire. Pas vraiment sectateur d'un cinéma bis boboïsé (je ne perçois pas l'explication du Monde dans un mini giallo), je n'apprécie pas plus la dérision absolue érigée en grille critique, cet l'ultime avatar d'un scepticisme généralisé et d'un présentéisme fat. Tout est dans le ton ici, et dans le ton, tout n'est pas bon : les mecs ont certes le sens de la formule (assassine, amusante, paradoxale) et l'œil aiguisé ; mais justement, le jeu de massacre consiste bien souvent à réduire le film au détail qui tue, à la séquence ratée, au dialogue pourrave ou à l'acteur nullard… pour flinguer l'ensemble illico presto. A ce petit jeu, "Les Guerriers du Bronx" et "Parole de Flic" sont donc décrétés nanars… Discutable quand même. Comme "Les nouveaux Barbares" ou "Santo et le Trésor de Dracula"… Comprenne qui pourra. Pas moi en tout cas.
Bon, après tout, chacun son trip, et dans le genre "c'est tellement naze que c'en est bon !", Nanarland n'a pas beaucoup de concurrents, et a même beaucoup de fans. Ma foi… On peut toujours considérer l'entreprise comme une porte d'entrée, une introduction ludique à l'immense univers du cinéma bis : en ce sens, les entretiens qu'a mis en ligne le site éponyme sont carrément intéressants (Mike Monty, Alberto De Martino, Greydon Clark, Luigi Cozzi…), comme les encarts informatifs dans leurs livres : autant de petits prologues incitant le quidam à la découverte de Claudio Fragasso par ici, Erwin C. Dietrich par là, ou Weng Weng par ailleurs. Et puis le site offre une richissime banque d'images : les gars ont chiné la VHS rare, ont scanné des centaines de jaquettes : chapeau. On ne va pas cracher dans cette soupe et faire la fine bouche. Mais voilà, sourd trop souvent à mes yeux cette cruelle ironie qui - même par compassion, même par affection - transforme un film en machine à ricanements, en turbine à vannes. C'est probablement l'époque qui veut ça : on est revenus de tout désormais, on connaît les codes par cœur, et l'on se croit donc plus intelligents que le film, autorisés à tout démonter… mais le sourire aux lèvres.
OK, on m'objectera que tout ça c'est de l'amuuur en fait, que je n'y comprends goutte, ou que je me complais dans la bissophilie sectaire et pisse-froid. Possible finalement, mais tant pis. Je n'étais déjà pas trop Charlie ; je suis encore moins Nanarland, voilà tout.
Ce que je trouve marrant, c'est qu'on sent que le même livre, avec un contenu identique mais sans le terme "nanar" dedans et sans le label Nanarland, il l'aurait tout de suite beaucoup plus apprécié. Alors que bon, moi je n'ai pas boudé mon plaisir en lisant ses livres, même en sachant très bien qu'il ne nous aime pas. Les querelles de clocher c'est pas trop mon truc. (sa conclusion "Je n'étais déjà pas trop Charlie ; je suis encore moins Nanarland" m'a quand même troué le cul... il nous souhaite de subir un attentat ou quoi ?).
Pour répondre plus directement à ta question Jack : les critiques des bisseux intégristes, il y en a de moins en moins. C'est souvent une génération antérieure à celle de Nanarland. La génération fanzines. Présente sur Facebook. Maintenant les critiques ça vient surtout de Twitter / X. Et d'internautes plus jeunes, pour qui on est des boomers d'un autre âge, possiblement réacs et pas toujours woke-compatibles (ou pas autant qu'il le faudrait), ou des pauvres mecs chelous "qui se branlent sur des films roumains de 1972". Avoir un site Internet en 2025, c'est déjà la preuve qu'on est des dinosaures. Proposer du contenu écrit, et pas formaté "lecture en moins de 1 minute", c'est presque un anachronisme. Mais c'est aussi justement ce qui fait notre intérêt pour ceux qui nous suivent. Et surtout, ça reste ce qu'on a envie de faire et proposer.