Ils sont fous, ces sorciers!
Année : 1978 Réalisation : Georges Lautner Pays : France
Genre : Jean Lefebvre power!
Catégorie : Comique
Avec : Jean Lefebvre, Henri Guybet, Catherine Lachens, Daniel Ceccaldi, Julien Guiomar, Renée Saint-Cyr, Michel Peyrelon
Les années 70 sont reconnues assez unanimement comme une des pires périodes, au niveau de la qualité, pour la comédie française. L’époque faste de Max Pécas, Philippe Clair, des Charlots et de Richard Balducci, qui firent plus tard les grandes soirées de La 5 période Robert Hersant. «Ils sont fous ces sorciers » a une particularité qui en fait tout le sel : il est signé Georges Lautner, pourtant l’auteur de réels chef-d’œuvres du cinéma populaire français ! Le temps d’un film (et avant sa dégringolade des années 80, qui devait aboutir à des horreurs comme «Room Service »), l’auteur des «Tontons flingueurs », des «Barbouzes » et de «Ne nous fâchons pas » est tombé pas loin du niveau de Pécas et autres Aldo Maccione !
L’histoire vaut le détour : Jean Lefebvre est un cadre dynamique (déjà, ça !), ingénieur informaticien imbu de lui-même. Ayant gagné un voyage en Ecosse, il se retrouve redirigé vers l’Île Maurice et doit se coltiner un compagnon de voyage collant et imbuvable, une espèce de chômeur professionnel qu’il prend rapidement en grippe. Les deux compères essaient cependant de fraterniser, au point de se prendre une biture une fois arrivés à destination. Malheureusement pour eux, fin bourrés, ils ont la fâcheuse idée d’uriner sur la sépulture d’un sorcier mauricien ! Mal leur en a pris, car ils vont se retrouver ensorcelés, victimes d’un enchantement qui va leur pourrir allègrement la vie. Les symptômes de l’enchantement s’emparent d’eux aux moments les plus inopportuns : l’un se met à léviter, l’autre se transforme en loup-garou nanar… Mais peu à peu, nos deux compères vont apprendre à utiliser à leur profit ce qui était une nuisance et à tirer parti de capacités surnaturelles qui pourront se révéler bien utiles (passer à travers les murs, etc…)
Vu au premier degré, «Ils sont fous ces sorciers » est une véritable catastrophe : photo hideuse, mise en scène paresseuse, acteurs en roue libre et surtout scénario totalement invertébré font de cet objet filmique bien fatigué un parfait exemple de mauvaise comédie française seventies. Le tout est d’autant plus consternant qu’il vient de Lautner, qui représentait plutôt habituellement le dessus du panier en la matière. Mais l’impression qui domine est que le cinéaste s’est laissé totalement dominer par la franchouillardise de son sujet, sans même essayer de corriger le tir. Jean Lefebvre, que Lautner avait pourtant su mieux utiliser, émettait-il des ondes nanardes tellement fortes que le réalisateur n’a pu y résister et s’est transformé momentanément en clone de Michel Vocoret ? Henri Guybet, quant à lui, est comme toujours très sympathique, mais il se fait un peu piquer la vedette par son partenaire. Car la star incontestée du film, son astre solaire, c’est Jean Lefebvre. Il est…inimitable ! Il faut le voir, soulevé au plafond en état d’apesanteur, nager la brasse dans le vide en bramant «Nous sommes tooouuuuus ensoorcelééééééés… » pour savoir ce que génie veut dire !
Le cas Jean Lefebvre pose en effet à lui seul le problème de la mauvaise comédie, ou plutôt de la comédie nanarde telle qu’on l’entend ici. Une comédie nanarde est en effet une comédie ratée, qui fait cependant rire, mais malgré elle ! Donc, en un certain sens, une comédie réussie, puisqu’elle atteint tout de même son but, même si c’est d’une autre manière que celle espérée par ses auteurs.
Or, avec Jean Lefebvre, le problème se trouve en quelque sorte démultiplié et nanti de nouvelles facettes : notre ami avait en effet prouvé en de multiples occasions (notamment avec les meilleurs films de Lautner, cités plus haut) qu’il pouvait vraiment être drôle. Là, il est au contraire totalement en roue libre, et navrant par ses excès de cabotin simili-alcoolique. Or, bien que désolant, Jean Lefebvre dans «Ils sont fous ces sorciers » fait tout de même rire ! Sans que l’on sache vraiment si le rire vient de sa prestation elle-même, à laquelle on trouverait soudain des qualités cachées, ou au contraire des défauts de son jeu d’acteur (trop excessif, trop lourd) qui amuserait par l’échec même de ses tentatives de nous amuser.
Jean Lefebvre, dont l'humour français n'a pas fini de regretter la disparition, était un comique nanar à trois lames ! Le premier niveau de son comique fait rire, vraiment. Le second amuse par son côté raté et excessif. Le troisième amuse, enfin, par le simple fait que l’on s’émerveille de rire de pitreries aussi navrantes, malgré leur aspect inabouti ! Ce qui m’amène à me poser la question suivante : Jean Lefebvre était-il un génie post-moderne méconnu, qui aurait inventé, dans l’indifférence de l’intelligentsia, une nouvelle forme d’humour ?
The king!
Ce point mérite d’être sérieusement débattu, d’autant qu’il peut potentiellement déboucher sur une redéfinition du nanar, ou plutôt une réévaluation de sa portée, que la notion même de nanar comique induit de manière aigüe. Le nanar est-il en soit un cinéma d’avant-garde ? Nanarland sera-t-il historiquement le lieu d’où sera parti une révolution artistique ? En attendant, «Ils sont fous ces sorciers » nous propose une sorte de pierre angulaire du nanar comique français, avec le spectacle d’un cinéaste de talent envahi par la médiocrité ambiante de l’humour français seventies. Et si, au lieu de son pire film, Lautner avait au contraire réalisé le manifeste d’une nouvelle dimension du comique, accédant sans le savoir au rang de nouveau Jacques Tati ? Soit j'ai raison et je suis un visionnaire, soit c'est que la découverte de ce truc m'a ravagé le cerveau au point de me pervertir le goût de manière définitive!
Mongoloïd Ferox
Note : 2,5