Après avoir vu pour le seconde fois ce chef d'oeuvre aux côtés de Captain Beyond, sommité parmi les théoriciens du domaine, je tenais à apporter ma pierre à l’édifice de dimensions cyclopéennes que constitue l’interprétation de Devil Story.
Mon analyse se base sur entièrement sur l’hypothèse suivante : Fécamp est l’antichambre de l’Enfer, la première marche de l’escalier roulant menant vers la damnation éternelle, le paillasson du loft de Satan. Pas le Fécamp « réel » (quoique, ça doit se rapporcher de l’enfer de vivre là-bas) mais un Fécamp d’un plan parallèle qui voit s’affronter sans fin deux camps pour les âmes des individus qui s’y perdent. Les frontières entre monde réel et infernal s’estompent avant, pendant et après l’équinoxe, permettant le passage des victimes.
Commençons par nous attarder sur le couple de touristes ,élément à mon avis trop souvent occulté. Sont-ils si innocents qu’on puisse le croire au premier abord ? Je ne crois pas. Les personnes se retrouvant piégées ont, à mon avis, l’âme souillée par leurs actes attirant ainsi sur eux l’œil du Démon. Je cite le chasseur : « Les seuls rares visiteurs que l’ont rencontre encore par ici sont des personnes comme vous, des égarés ». Cette phrase n’indique peut-être pas qu’un égarement géographique mais plutôt un égarement moral, une déviation du chemin du Bien les amenant sur les sentiers du Malin, à la merci des démons.
Deux éléments assez frappants au sujet de nos touristes: l’immatriculation de leur voiture et l’apparente mauvaise santé de leur couple. Leur voiture étant de nationalité américaine et l’action se déroulant en Normandie, on peut se demander ce que ce véhicule fout là. Deux possibilités :
- le couple est américain et, leurs relations se dégradant, ils ont décidé de partir se ressourcer loin de toute civilisation (donc Fécamp) et sont assez fortunés pour pouvoir emmener leur propre voiture durant leur pèlerinage transatlantique. En intégrant ce facteur au sein d’une vision karmique de l’œuvre, leur santé financière a pu être acquise malhonnêtement (vol de diams, trafic de drogues et de pommes de terre,…). Par contre, une nationalité américaine ne colle pas trop avec la francophonie parfaite et constante du couple, même lorsqu’ils sont seuls.
- le couple a obtenu cette voiture en la volant à un touriste américain pété de thunes et puis en l’assassinant, et tentent d’échapper à la police en se réfugiant dans un endroit reculé (donc Fécamp). Le pétage de câble disproportionné de l’héroïne contre son mari pour une simple crevaison est sans doute lié à la tension engendrée par la situation.
Dès lors, le sort des touristes est scellé. Un démon va intervenir, sous la forme d’un chat, pour marquer ses proies en les griffant et dissocier l’âme et le corps de la victime. L’âme se retrouve prisonnière du corps de la fille de la sorcière qui prend alors son apparence. En effet, personne n’a jamais vu le visage de la fille de la sorcière. Parce qu’elle la cache ? Ou parce que celle-ci n’a pas de visage propre et en change à chaque nouveau cycle? Notre héroïne quitte inexplicablement l’hôtel et retrouve systématiquement cette jeune fille alors qu’elle se dirige apparemment au hasard : elle est guidée par le lien qui l’unit encore à son âme.
Les deux camps, évoqués plus haut, s’affronte ensuite pour récupérer l’âme de la cruche en ciré. D’un côté, le chat, le chasseur, le monstre et la sorcière qui désirent envoyer l’âme en Enfer; de l’autre, la momie, le cheval et le Condor qui essaient de la protéger (désolé Captain, mais après mûre réflexion, je me range dans le camp de Kobal pour le cheval).
La genèse de cette bataille remonte à l’époque des naufrageurs de navires. Suite au naufrage du Condor, les pillards vont se faire tuer, très probablement par la momie, en tentant de piller le navire. Leurs descendants vont par la suite signer un pacte avec le Diable (dixit la vieille de l’hôtel) et devoir l’aider dans sa récolte d’âmes, puis change le relief de la côte pour y cacher le bateau, en faire sa nouvelle tombe et tenter d’empêcher les descendants des pillards d’arriver à accomplir leur tâche.
Le Chat dirige donc le camp du malin. Il est omniprésent ; c’est par lui que tout commence et que tout finit ; et peut donc être assimilé à Satan lui-même. Certaines personnes mettent en avant la symbolique bénéfique du chat en Egypte. Toutefois,
« déjà, chez les Egyptiens, pourtant idolâtres du chat, le chat noir était assimilé à un Ethiopien noir représentant le Diable. ».
Sous ses ordres, la sorcière et le monstre tentent d’envoyer leur fille, abritant l’âme de la victime choisie par le chat, vers l’enfer (on retrouve la symbolique chthonienne à la fin du film). Leur affiliation au mal est renforcée par le symbole du bouc/chèvre (avatar du chat ?).
Le rôle du chasseur est d’empêcher le cheval d’aider les victimes. Un lien semble exister entre le monstre et le chasseur (mêmes armes). Mon hypothèse est qu’il ne fait qu’un avec le monstre. De la même manière qu’avec l’héroïne, il y a une dichotomie âme/corps. Le chasseur représente le corps du monstre et le monstre son âme, son apparence monstrueuse révélant sa vrai nature. Le chasseur pourrait donc être un ancien officier nazi, ayant fait le même pacte que la sorcière (par son biais ou via des connaissances personnelles, les nazis s’étant intéressés aux forces occultes) .
De l’autre côté, la momie cherche à empêcher ce camp d’accomplir sa tâche en protégeant les âmes des victimes : par vengeance (le contrat démoniaque les obligeant probablement à réunir un certain nombre d’âmes) et/ou pour qu’elles puissent être jugées équitablement dans l’au-delà (étape fondamentale du passage vers le monde des morts dans l’Egypte antique).
La qualité du sarcophage de la momie montre l’importance du personnage, sans doute un pharaon. L’aide du cheval coule alors de source.
Les pharaons disposaient de chevaux pour un usage guerrier et étaient porteur d’une symbolique de protection durant les batailles et étaient parfois enterré avec le souverain pour qu’il les emmène dans l’au-delà. On peut d’ailleurs se demander si il n’y a pas un mais 4 chevaux (les égyptiens les utilisant généralement pour tirer des chars) considérant l’omniprésence de l’animal.
La symbolique animale protectrice se retrouve dans le nom du bateau : le Condor, animal proche du vautour, également symbole de protection dans l’Egypte antique. La momie emmènerait donc les âmes qu’elle sauve dans le bateau pour les cacher et les protéger. En découvrant le bateau, le chasseur s’écrie d’ailleurs « Je l’ai toujours dit que le bateau était là ! Il est à moi maintenant ! Avec ses trésors, ses richesses, je serai le maître ! Je suis le maître !». Il ne parle à aucun moment d’or ou de richesses matérielles. En s’emparant des âmes rassemblées dans le bateau, il pense pouvoir achever son contrat et obtenir la récompense prévue (devenir un démon ?).
Le film se finit par la jeune fille qui, ne comprenant pas la situation, empêche le sauvetage de son âme. C’est le démon, sous sa forme de chat, qui se charge alors lui-même de l’envoyer en enfer.