La chronique
LE CHATEAU DE L’HORREUR
(Aka : Le Château de Frankenstein / Il Castello della paura / Terror ! Il Castello delle donne maledette / Frankenstein’s castle of freaks / The House of freaks / L'Homme de Néanderthal / Terror castle/ The Monsters of Frankenstein...Ouf!!!)
Attention, gros morceau! «Le Château de l’horreur », resté dans l’histoire pour avoir fait s’écrouler de rire le marché du film du festival de Cannes voici trente ans, appartient à la catégorie des films tellement ratés que l’on se demande si tout le monde s’en foutait sur le plateau, ou si c’est fait exprès.
Variation totalement fauchée autour du mythe de Frankenstein, ce film a représente quelque chose comme le fond de la poubelle du Z italien, tout le budget étant apparemment passé dans les cachets d’une escouade de has-been et d’acteurs bis plus ou moins connus.
Il faut dire que le casting est quelque peu alléchant : Rossano Brazzi, séducteur du cinéma italien dont le titre de gloire est d’avoir épousé Ava Gardner dans «La Comtesse aux pieds nus » ; le nain Michael Dunn, alias Dr Miguelito Loveless dans la série «Les Mystères de l’Ouest » ; Edmund Purdom, éternelle ex-future-vedette naufragée dans le Z rital. Voici pour les «stars » du film.
Côté seconds couteaux du bis, la fête est également au rendez-vous : Gordon Mitchell et sa trogne impayable ; le moustachu patibulaire Xiro Papas ; Luciano Pigozzi alias Alan Collins, sosie italien de Peter Lorre qui zona, avec ou sans barbe, dans tout le bis italien des années 60 à 80 ("6 femmes pour l’assassin", mais aussi [url
"Yor le chasseur du futur","Les Exterminateurs de l'an 3000", et autres merveilles…) ; et surtout Salvatore Baccaro, l’homme-singe de Cinecittà, dont les traits simiesques servirent de quota freaks à quantité de films Z : notre ami se fait ici appeler rien moins que Boris Lugosi ! Sans commentaires.
La première scène est tout bonnement à couper le souffle : dans un décor bucolique censé se trouver dans les Balkans mais ressemblant bizarrement à la campagne italienne, une foule hystérique d’au moins dix paysans s’empoigne avec…un homme des cavernes en peau de bête ! Le doublage français, réalisé avec sans doute deux ou trois comédiens démotivés qui tentent de jouer la foule, vaut son pesant de cacahouètes : «Ouais…Allez…Allons-y…» On dirait presque que les doubleurs vont s’endormir en disant leurs textes, alors qu’ils sont censé lyncher l’homme préhistorique…Bref, le troglodyte est assommé et son cadavre amené au châtelain local, qui n’est autre que le Docteur Frankenstein (Rossano Brazzi, qui essaie tant bien que mal de garder sa dignité).
Mou ha ha ha ! Je vais trouver la formule pour ressusciter ma carrière!
Entouré d’une troupe de domestiques qui constituent à eux seuls un concours de sales gueules (Récapitulons : Gordon Mitchel qu’on ne présente plus, le nain Michael Dunn, Luciano Pigozzi et sa tête de crapaud , Xiro Papas en bossu à la moustache peu amène), le châtelain se livre à un délicat hobby qui consiste à…qui a dit ressusciter les cadavres ? Bravo, vous avez gagné l’intégrale des films d’horreur de Joe D’Amato !
Xiro Papas, Michael Dunn et Gordon Mitchell. Les trois font la paire.
Frankenstein ne tarde pas à ressusciter l’homme des cavernes, qu’il baptise affectueusement Goliath. Ledit Goliath (joué par l’illustre inconnu Loren Ewing), affublé d’un maquillage pileux qui le fait ressembler à Henri Emmanuelli après une cure de testostérone, présente de surcroît, une fois ses bandages enlevés, un crâne couturé spécial «post-lobotomie » qui ressemble de façon dérangeante à un pénis sanguinolent (je sais, c’est peu ragoûtant comme image), ainsi qu'une coiffure qui le fait ressembler à Bozo le clown.
Goliath (Loren Ewing) : Boris Karloff peut aller se rhabiller.
Le bon docteur ne compte pas s’arrêter en si bon chemin et envoie ses joyeux domestiques chercher des morceaux de cadavres qui lui serviront à créer une nouvelle créature. Le nain ayant laissé des traces de pas qui lui valent d’être suspecté du vol de cadavres par la police locale, Frankenstein le congédie.
Mal lui en prend car le laquais remercié (libidineux et nécrophile, soit dit en passant) va jurer vengeance : notre bon Michael Dunn ne tarde pas à rencontrer un autre homme des cavernes (ils sont nombreux dans cette région des Balkans !), joué par Salvatore Baccaro, qu’il va baptiser Ook (!) et avec qui il va comploter contre son ancien maître. Tout ça va se terminer en grosse baston générale, en attendant l'un des dénouements les plus stupides jamais vus dans le cinéma d'horreur…
"Boris Lugosi" dans le rôle de L'INCROYABLE OOK!
- Boouuh, et dire que j'ai joué dans un feuilleton télé célèbre!
- Si tu veux, Michael, on peut aller se bourrer la gueule après, je connais un bistrot qui sert de la bonne grappa!
Marqué par un budget totalement misérable, «Le Château de l’horreur» a de surcroît le privilège d’être l’un des films les plus mal réalisés de l’histoire. Cadrages approximatifs, faux raccords, photo hideuse, la décrépitude technique est totale, on croirait presque une parodie télé réalisée par les Nuls, tant la mise en scène est je-m’en-foutiste. Un vieux numéro de «Mad Movies» signalait que l’homme des cavernes joué par Salvatore Baccaro perd à un instant son slip dans la bagarre. J’avoue ne pas avoir remarqué, mais ça vaudrait le coup de revoir le film…
Le scénario n’est pas mieux loti, qui nous montre des personnages totalement incohérents. Ainsi le nain, que les scénaristes veulent tantôt sympathique, tantôt odieux (il tue sadiquement des femmes en compagnie de Ook), puis à nouveau émouvant au nom du droit à la différence ! N’importe quoi…Les autres protagonistes, totalement unidimensionnels, ne sont pas mieux lotis…
L’interprétation est un véritable naufrage : Rossano Brazzi et Michael Dunn, assez pros, tentent de sauver les meubles, l’un en prenant des airs nobles, l’autre en cabotinant, mais le british Edmund Purdom, qui interprète le chef de la police, a l’air de s’en foutre comme de sa première cup of tea et se montre si inexpressif qu’on se demande s’il n’a pas été remplacé par un mannequin en bois histoire d’économiser un salaire d’acteur. Purdom ne se souciait visiblement pas trop de son rôle, comme en témoignent ses déclarations : "Je n'ai jamais vu le film, pas même les rushes...Je ne me souviens plus de qui était le metteur en scène".
Ce sont en définitive les acteurs de Z qui s’en tirent le mieux, tant il jouent sans complexe leurs rôles caricaturaux : le meilleur est évidemment le fantabuleux Salvatore Baccaro, effet spécial à lui tout seul, dont la présence nanardise tout sur son passage à chacune de ses apparitions !
Le plus affreux dans l’histoire est que les italiens ont été capables de produire de très bons films d’horreur, s’écartant des mythes traditionnels pour créer d’inquiétants univers stylisés et grand-guignolesques, et ce bien avant la période de gloire de Dario Argento. Mais le lamentable spectacle qui nous est offert ici laisserait supposer à celui qui ne connaîtrait pas le bon cinéma de genre transalpin que les italiens ne sont capables que de copier, sans talent ni imagination, les films américains réalisés dix, voire trente ans plus tôt ! Le film reprend en effet un univers démarquant celui des films d'horreur classiques de la Universal et de la Hammer, mais n’est capable d’en copier que la trame, en l’assaisonnant avec quelques filles à poil et un surcroît de sadisme complètement débile.
«Le Château de l’horreur» est quelque chose comme un parfait nanar, puisque l’incompétence se situe à trois, voire à quatre couches successives (de là à dire que le film en tient une couche…) Niveau 1 : le scénariste livre un script indigent, sans queue ni tête, et amorphe, tout juste pimenté par un peu de scènes d’exploitation pour satisfaire les instincts les plus bas du public. Niveau 2 : le réalisateur, probablement sous-payé, accablé par le scénario, paralysé par le manque de moyens, filme n’importe comment en se dépêchant de finir pour partir en vacances. Niveau 3 : les comédiens, livrés à eux-mêmes, font n’importe quoi pour sauver la mise, avec des résultats variables. Et il y a enfin un niveau 4, réservé à l’export : les doubleurs, consternés par le film, font consciencieusement n’importe quoi et ajoutent à la ringardise de l’ensemble (la version française vaut son pesant de cacahuètes, comme je l’ai dit plus haut).
+
=
Splendide "jaquette volante" copiée-collée.
Pas de doute, tout est faux, sauf, par miracle, le titre et la distribution! Du grand art.
On pourra juste regretter quelques longueurs ici et là, malheureusement assez constantes dans le cinéma Z le plus fauché : les auteurs ignoraient manifestement la notion de découpage et, du coup, allongent des scènes inutiles pour gonfler le métrage et arriver aux 90 minutes réglementaires. Mais ce détail ne compte pas vraiment face à la ringardise d’un film tellement mauvais qu’il en devient idéal pour initier les nanardeurs novices aux joies du cinéma décadent ! A noter une petite curiosité : on y voit, dans un petit rôle de paysan, le comédien Mike Monty, soldat inconnu du nanar qui figura ensuite dans de nombreux Z tournés au Philippines comme
Laser Force,
Ultime mission ou
Zombie 3. "Le Chateau de l'horreur" était l'un de ses premiers rôles. Il y a des carrières qui démarrent sous les meilleurs auspices!
Un petit mot sur les responsables de ce classique du Z : le réalisateur, Robert H. Oliver, est bien évidemment un pseudo, qui cache apparemment l’espagnol Ramiro Oliveros, surtout actif comme scénariste tout-terrain du bis. Il est responsable notamment du scénario du «Miroir obscène », de Jesus Franco, une référence ! Le film est de toutes façons tellement mal réalisé –même pour un Z - qu’on veut bien croire qu’il avait été confié à un novice de la caméra. Oliveros n’a d’ailleurs pas insisté dans la mise en scène… Certains attribuent cependant la mise en scène (comme si on pouvait se disputer la paternité d'un truc pareil !) à Mario Mancini, réalisateur du célèbre «Les Orgies de Frankenstein 80 », ou à Oscar Brazzi, frère de Rossano Brazzi et réalisateur nanar à ses heures perdues. D'autres créditent à la mise en scène le réalisateur bis Massimo Pupillo, ou bien le producteur Dick Randall... De longs débats en perspective pour les exégètes du nanar !
Xiro Papas, sa moustache, sa bosse postiche, et sa balafre nanarde qui fout le camp...Toute la poésie du Z!
Le film était financé par l'acteur-producteur canadien Dick Randall, très actif dans le bis italien. Mais parmi les grands responsables de tout ça, on retiendra surtout le scénariste, producteur exécutif, et acteur Xiro Papas (de son vrai nom Ciro Papa), dont le titre de gloire est d’avoir prêté sa grosse trogne au monstre dans «Les Orgies de Frankenstein 80», cité plus haut. Technicien devenu comédien, l’ami Ciro/Xiro, enhardi par son expérience dans le Z, devait nous offrir ensuite comme producteur, en collaboration avec le cinéaste Luigi Batzella, «Erika, les derniers jours des SS » avec Richard Harrison, et surtout le sympathiquement immonde
«Holocauste Nazi : armes secrètes du IIIème Reich »,où Salvatore Baccaro tenait son plus célèbre rôle, celui d’un homme-singe violeur au service des nazis ! Toute une carrière de petit commerçant au service du Z le plus crapoteux pour l’ami Xiro Papas, qui devait hélas décéder en 1977 d’un accident de la route. Qui sait quelles autres merveilles il aurait pu nous concocter, s’il avait vécu ! Triste est le destin des obscurs et des sans-grades du nanar. Paix à ton âme, Xiro, j’espère que là-haut tu continues d’écrire de belles histoires d’hommes-singes ressuscités par Frankenstein, et qui violent des femmes pour le compte des nazis !
LE CHATEAU DE L’HORREUR
Année : 1974
Réalisation : Ramiro Oliveros (alias Robert H. Oliver), mais le film est parfois attribué à d'autres.
Pays : Italie
Avec : Rossano Brazzi, Michael Dunn, Gordon Mitchell, Edmund Purdom, Loren Ewing, Salvatore Baccaro (alias Boris Lugosi), Luciano Pigozzi (alias Alan Collins), Xiro Papas, Laura De Benedittis
Note : 3,5