Il y a bien des façons de découvrir un nanar. On peut le sélectionner amoureusement parmi ceux chroniqués sur le site ou bien partir à la pêche dès l’aube dans des vide-greniers lointains pour dénicher les VHS les plus rares. On peut choisir un DVD à la caisse de son supermarché en se fiant à sa jaquette immonde ou à la mauvaise réputation de son éditeur. Et puis on peut aussi se rendre compte que le film qu’on regarde depuis un quart d’heure se révèle appartenir à la catégorie que l’on chérit le plus ici, alors qu’on croyait avoir loué un honnête thriller. Je ne sais pas pour vous, mais moi, c’est quand il me prend ainsi par surprise que le nanar m’excite le plus.
« Ce qu’il fait la nuit n’est pas remboursé par la sécu »
Quand j’ai loué le Pharmacien de garde, j’étais tellement sûr d’avoir à faire à un film normal, que je n’ai même pas remarqué cette accroche sublime, digne de
l’infirmière de nuit ou d’un quelconque porno paramédical. Comme j’ai laissé passer cet indice, il m’a fallu une bonne quinzaine de minutes pour commencer à sentir le potentiel du film.
A l’aide, sortez-moi de ce scénario !
Ce qu’il fait la nuit, on l’apprend dès les premières images. Vincent Perez est Yan Lazarec. Pharmacien ordinaire, c’est aussi un écologiste intégriste s’inspirant de rituels druidiques ancestraux pour sauver la terre en la débarrassant de ses parasites les plus nocifs. Traitant le mal par le mal, depuis la cave de son officine, il fait payer le prix fort aux pollueurs, aux marchands de mort et aux tortionnaires d’animaux que sont les grands industriels du pétrole, du tabac et des cosmétiques. Le réalisateur n’évite ni les clichés ni la caricature, et pourtant cette idée de serial killer écologiste reste plutôt convaincante au début, malgré le manque de subtilité de son traitement. Si ce film est bien un nanar, la cause est à chercher ailleurs.
Elle est pas chouette cette musique ? Ils sont forts chez Nature et découvertes…
Guillaume Depardieu joue le rôle du policier chargé de l’enquête sur ces meurtres, François Barrier. Lui-même militant écolo radical, il rencontre Yan lors d’une conférence sur les OGM où François se livre à un poignant réquisitoire avec la passion d’un élève de CM2. Sans savoir que l’un pourchasse l’autre, les deux hommes vont nouer une relation d’amitié, dont l’ambiguïté trouvera son point d’orgue dans la scène finale (à ne pas louper).
et si on les butait tous, les fumiers des OGM pour leur apprendre à vivre…
mode enfiévré *on*
C’est ici que les choses se gâtent. Tout d’abord Guillaume Depardieu, qui nous a habitués à beaucoup mieux, nous livre ici une des plus piteuses prestations de sa trop courte carrière. Il se contente de débiter son texte sans la moindre conviction, avec une diction à la limite de l’audible. Pour compenser la platitude de ses propos, il s’évertue à intensifier son regard, tantôt farouche, tantôt enfiévré. Inutile de préciser que le résultat n’est pas toujours à la hauteur de ses espérances.
mode farouche *on*
De plus, dès leur première rencontre, Yan le druide, très sensible aux hormones et aux forces telluriques, révèle à François qu’il est cocu : sa copine le trompe avec son meilleur ami, Patrick. Ce qui nous donne une scène d’explication si ridicule que je ne résiste pas à vous la mettre en vidéo pour illustrer le non-jeu des protagonistes. Une bonne occasion de vous présenter Patrick, qui joue comme une savate.
François et Patrick en pleine explication : l’Erika ? Ah ouais putain quelle saloperie !
Enfin, les meurtres jusqu’ici assez crédibles de notre druide serial-killer, sombrent définitivement dans le grotesque avec l’assassinat de la présidente d’une grande entreprise de cosmétiques, commis à l’aide de coccinelles dressées ! Oui vous avez bien lu, le réalisateur a tenté de nous terrifier avec des coccinelles tueuses...
Objectif à 3h00, parées à attaquer, rendez-vous en enfer kids !
Pour ceux qui ont vu un épisode de la série
minuscule, vous ne serez pas dépaysés. On suit le vol d’une escadrille de bêtes à bon dieu, fonçant vers leur proie à travers Paris, dans une magnifique animation 3D. Animation qui a dû coûter si cher que Jean Veber a décidé de la rentabiliser à mort : on retrouve le sympathique coléoptère partout, de l’affiche aux menus du DVD.
Quant à la victime, c’est Rochelle Redfield, une vielle habituée des casting de Sitcoms. Pas de chance, pour une fois qu’elle s’éloigne un peu des plateaux d’AB production, c’est pour subir une mort digne des Darwin Awards, la tronche déformée par un rictus ridicule.
why so serious ?
L’annonce de la trahison de sa petite amie va sceller l’amitié entre François et Yan, mais aussi le sort de l’interprétation de Guillaume Depardieu. Il était déjà peu crédible en flic écolo-soldat, ce sera pire en flic écolo dévasté par le chagrin qui se réfugie dans l’alcool. Quoique pour cette dernière partie… mais n’anticipons pas.
-C’est parfait, coupez elle est bonne ! … Guillaume ? j’ai dit coupez…
Le film glisse tout doucement vers le n’importe quoi, François ne prête attention aux témoins que si ce sont des hommes qui viennent de se faire larguer par leurs nanas, attitude qui réduit de beaucoup ses chances de parvenir à un résultat dans son enquête. Il envoie donc bouler Alice Taglioni, témoin oculaire, qui paye cher d’être femme, jolie, et d’avoir fait souffrir son ex. Elle aussi finit avec une tronche pas possible. A croire que Jean Veber voulait se venger de quelque chose.
-C’était pas plus simple d’accepter de coucher avec moi ?
-Jamais, je réussirai grâce à mon talent !
Heureusement pour nous, la rencontre entre l’ex et François est une des plus mal jouées du film, on lui pardonne donc son manque de rigueur professionnelle. Mais à voir le sort réservé au casting féminin, on se demande si cette tendance à laisser déborder ses problèmes personnels sur sa vie professionnelle n’a pas touché le réalisateur lui-même.
Il est temps de vous présenter le sidekick de notre flic d’élite. Laurent Gamelon incarne tout en finesse Maurice Battistoni, flic beauf qui s’applique en tout à être l’exact opposé de son partenaire, à une exception près, mais de taille : comme flic, il est tout aussi naze.
Si tu me devances quand moi je recule, comment veux-tu, comment veux-tu ? (SIC)
Il va entraîner notre ami François dans une sous-intrigue sans le moindre lien avec le scénario principal, où ils poursuivent une créature étrange dans des caves. Non seulement ça n’apporte strictement rien à l’histoire, mais ça embrouille le spectateur, car la créature ressemble vaguement à Vincent Perez. Et là, notre réalisateur va se retrouver dans une position très délicate : pendant cette digression, Maurice se prend une balle dans le bide à bout portant. Pas grave me direz vous… Si, c’est un gros problème parce que les scènes de la fin sont déjà tournées et qu’il y participe… oh la boulette ! Il a dû y avoir du brainstorming dans l’air pour justifier son retour rapide parmi les bien portants.
Maurice sous son rideau de douche le jour de sa blessure par balle…
Ah! on me signale qu’il s‘agirait d’une tente à oxygène…
-Ecoute Jean ! Sois raisonnable, abandonne cette sous-intrigue, tu vois bien que ça nous ruine le scénario. On la coupe au montage et on est peinards.
-Pas question ! On ne fait pas un film fantastique sans créature étrange. Et puis ça nous a coûté 2 jours de tournage. Sans compter qu’avec la diatribe de François sur l’amiante ça fait toujours trois minutes de métrage en plus, et sans ça on dépasse pas les 80 minutes.
-Et comment tu vas faire pour Maurice avec sa balle dans le bide, tu vas dire qu’il cicatrise super vite peut-être ?
-Mais ouais, c’est pas con ça… j’y retourne !
-Non Jean attend, je déconne… Jean, reviens ! … Et merde !
Maurice le surlendemain de sa blessure
François : ça va ta blessure ?
Maurice : impeccable, je cicatrise à toute vitesse. Les infirmières n’en revenaient pas, elles voulaient toutes voir ça… et je leur montrais le reste… (rires gras)
(Dialogue authentique)
De toutes façons on cicatrise vite dans ce film, littéralement du jour au lendemain. François n’échappe pas à la règle :
La veille au soir........................................Le lendemain matin
A partir de là c’est comme si on avait scié un pied à une table déjà bancale. Après une autre sous-intrigue inutile, à base de junkie en manque cette fois-ci, François échoue une fois de plus à protéger un témoin (Pascal Légitimus impayable en travelo sentimental), qui de toutes façons n’avait donné aucun renseignement valable à part un portrait robot inexploitable et une description fantaisiste. François, qui doute de plus en plus de ses compétences de policier, pense à démissionner pour s’installer dans une ferme en Bretagne avec son ami Yan, quand un de ses collègues s’aperçoit que le meurtrier s’est bêtement fait filmer par une webcam lors de son dernier crime. Ce qui permet un dénouement aussi ridicule que dégoulinant de pathos, bourré de clichés bidons sur la Bretagne et la culture celtique, que je préfère vous laisser découvrir.
Curieusement, personne ne reconnaîtra Vincent Perez grâce au portrait robot…
On notera au passage que ni François ni son compère n’ont résolu la moindre petite partie de l’enquête. Tous les résultats tangibles proviennent du labo. Eux se contentent de signaler des témoins au tueur, foirer des interrogatoires et se faire démolir le portrait dans une cave de Courbevoie quand tout le reste de l’histoire se déroule en plein Paris. Il faut signaler aussi que l’auteur n’arrive jamais à installer un quelconque climat effrayant ou angoissant, un comble pour un thriller fantastique !
On ne voit pas le bout du scénario, la minuterie s’est éteinte et en plus les piles de la mag-lite® sont mortes. Qu’est-ce qu’on fait ?
Au final, ce pharmacien de garde m’a très agréablement surpris, d’autant plus, il est vrai, que je m’attendais à un bon thriller. Pourtant, j’ai continué à le trouver très drôle une fois l’effet de surprise passé. Le jeu des acteurs, l’indigence du scénario et les nombreux faux raccords en font un bon petit nanar assez distrayant, et la balourdise des tirades écolos de François dans les moments les plus incongrus m’a bien fait marrer. On atteint parfois une réelle intensité nanarde comme avec les coccinelles, malheureusement trop peu souvent.
-C’est fini vieux ! on s’en est sortis.
-Fais gaffe à ta suture Maurice…
Bien sûr, il s’agit d’un premier long métrage, c’était d’autant plus courageux de tenter un film de genre; bien sûr, Guillaume Depardieu traversait une période très difficile (il sera d’ailleurs amputé quelques mois plus tard), mais on devine quand même une petite pointe de prétention dans la réalisation de Jean Veber qui m’a ôté tout scrupule quant à chroniquer son film.
D’ailleurs, dans les nombreux bonus du DVD, Jean Veber* qui semble avoir une foi inébranlable en lui-même, déclare avoir voulu faire un film très français, il n’était pas question pour lui de copier ce que font les américains. Et bien, parmi toutes les ambitions qu’il nourrissait vis à vis de ce film, c’est sans doute la seule qu’il ait satisfaite.
En revanche, à ridiculiser ainsi les Bretons et les écolos, à sa place je raserais les murs. Tout le monde n’exécute pas ses contrats à l’aide de coccinelles.
*Pour ceux qui se posent la question, oui c’est bien le fils de Francis
Mrs Bates…pssst Mrs Bates !
Oh pardon monsieur…
Le pharmacien de garde (2003)
http://www.imdb.com/title/tt0301730/
Genre : ce qu'il fait la nuit n'a pas remboursé le producteur.
Durée : 84min
Réalisateur : Jean Veber
Note : 2/5
Rareté : 1 courant
DVD Zone 2 chez TF1 video 2 disques
Avec :
Vincent Perez
Guillaume Depardieu
Pascal Légitimus
Laurent Gamelon
Alice Taglioni
Kad Merad
Atmen Kelif
Gabrielle Lazure
Rochelle Redfield
en bonus, 3 petites vidéos:
une trahison:
http://www.dailymotion.com/video/x7lj5l ... _lifestyle
l'amiante:
http://www.dailymotion.com/video/x7lj1m_amiante_tech
la scène complète dans la cave, de l'appel radio à la balle dans le bide de maurice:
http://www.dailymotion.com/video/xcfhpz ... shortfilms
un interrogatoire très pro:
http://www.dailymotion.com/check_norisk ... _lifestyle
et un grand merci au captain beyond pour son aide