Il existe des films qu'il faut vraiment aller chercher au fond de la poubelle du cinéma mondial. Leur état de décomposition avancée a de quoi rebuter le spectateur de passage, dont le nez sensible se rebique devant les fragrances de navet faisandé. Malgré tout, certains pervers jusqu'auboutistes assument leur déviance et se sacrifient au nom d'une mission sacrée qu'ils se sont confiés à eux-mêmes, dans une sorte d'attrait masochiste pour le sordide de l'édition vidéo. Et c'est grâce à ces gens-là que des métrages comme "El Diablo" ne sombrent pas dans l'oubli et conservent même un semblant de vie culturelle.
Premier et dernier vrai film de Kenneth J. Berton, un papa qui assume de nombreuses fonctions auprès de son rejeton malformé (scénario, réalisation, montage...), "El Diablo" n'est vraiment pas à mettre devant tous les yeux. Pur produit dégénéré du bis américain en grande souffrance financière, l'œuvre peut sans problème rejoindre la décharge qu'est ce sous-genre que j'apprécie beaucoup personnellement, à savoir l'Amateur Mou Hypnotique. Comprenant l'unanimement reconnu ("Les Eaux sauvages") comme le plus méprisé ("Wendigo") voire l'indicible expérience ("Telephone Killer"), cette branche égarée de la phylogenèse cinématographique partage nettement son public et réclame une résistance à toute épreuve.
Un manoir digne du "Retour des tomates tueuses".
D'autant plus que dans le cas présent, mieux vaut ne pas se mentir et reconnaitre qu'on n'a pas affaire au meilleur de la famille.
Une vieille bonne femme invoque involontairement avec sa planche ouija un démon qui s'incarne dans une peluche de singe à cymbales. La séance de spiritisme tourne court, et, alors que le fameux singe frappe de ses cuivres, un éclair tombe sur la bicoque qui prend feu.
Le jouet finit en cadeau pour Mickaël, un jeune garçon de banlieue américaine. Mais le maléfique singe accomplit son œuvre : les plantes se mettent à crever, les mouches tombent raide morte, et David, le paternel de Mickaël, fait des cauchemars. A croire que la maison a été construite sur un vieux cimetière indien.
Joyeux anniversaire, Mickaël...
...tu es content de ton cadeau, j'espère ?
J'ai prévenu que ça allait être rude, et contrairement à John Matrix, je n'ai pas menti ; pendant 45 minutes, attendez-vous à ce qu'il ne passe rien. Mais vraiment rien. c'est du vide avec un souffle audio de silence vertigineux, du qui ronge la tête. On voit David qui lit son journal, Susan, la copine de David qui passe dans le coin, Mickaël qui joue avec ses maquettes Star Wars et le singe posé immobile sur la télé qui a les yeux qui deviennent rouges par moment. On ne comprend que difficilement la situation familiale (ce qui est très fort avec aussi peu de personnage), à part que le voisin ne ressemble à rien.
Ne sauvent les meubles que l'étrange doublage inexpressif qui semble québécois au vu de la prononciation anglo-saxonne zarbi des prénoms, voire des quelques phrases avec un franc accent, et le curieux montage audio avec une musique de cartoon, des bruitages inexistants et des sources de bruits très étouffés. Mixé avec le souffle du silence, c'est la transe assurée, version descente aux enfers.
Ce film est tellement horrible que même David en fait des cauchemars...
...et que les plantes en pot crèvent dans un drame botanique silencieux.
Plus pragmatique, Pete, le voisin qui s'arrose les pieds.
Mais quand soudain, notre petit singe à timbales commence à hypnotiser de ses loupiotes oculaires vermillons l'énigmatique Susan pour tenter de buter Mickaël, la graine desséchée de l'intérêt se met doucement à germer et une paupières abruties de néant trouve finalement la force de se relever dans une expression d'intérêt. Faut dire que madame tente avec subtilité d'étouffer le jeunot avec son oreiller (il manque juste le "allez, viens gamin"), avant de se raviser et de le prendre dans ses bras en le rassurant "ce n'est rien, tu as fait un cauchemar". Mais bien sûr...
Un démon poilu qui passe dire bonjour le temps d'un unique plan (à se demander si c'est pas un stock-shot).
Heureusement, lui, on nous le montre sous tous les plans.
Depuis "Poltergeist", il est devenu systématique de faire appel à un médium à la moindre entourloupe satanique. Les gens ne savent donc plus régler leurs problèmes de possession domestique tout seuls, c'est dingue, ça ! En tout cas, la spécialiste ici consultée est formel : il ne faut surtout rien faire pour ne pas que le démon se doute de quelque chose. Logique.
Cette médium ne peut rien faire, car "parfois, les démons arrivent contre leur gré, ce qui les rend inconstants et hostiles".
A partir de ce moment, "El Diablo" prend enfin son envol nanar, dans une logique débile et surréaliste où David a bien compris que le singe devait être à l'origine du malheur, mais fait comme si de rien n'était, alors que tout indique la prochaine cible de la peluche est Mickaël. Et donc les drames continuent, le fiston réchappe de peu à un lavage de cheveux mortel, Susan tombe de 3 marches de haut, et ainsi de suite jusqu'à ce que David manque de se faire tuer sous sa douche par de l'eau chaude, dans une séquence d'anthologie où il s'acharne à tenter vainement de sortir de sa douche. C'en est ridiculement pathétique à un point que le singe finit par cesser de lui-même son attaque.
Tout commence par un regard...
...on se laisse prendre au jeu de la séduction...
...et on finit par tomber de haut.
Enfin décidé à agir, l'homme de la maison organise l'exfiltration démoniaque de manière astucieuse : faire le ménage, mettre la peluche sur la table basse, tenter de la faire tomber par inadvertance feinte dans un sac en papier, rater son coup, le reposer sur la table, passer l'aspirateur, le faire cogner dans la table pour enfin faire chuter l'immobile jouet dans le sac, et hop, le mettre à la poubelle devant chez lui ! Du grand art !
Bien entendu, ça ne suffira pas, le singe finira par se faire ramener à la maison, et il faudra un final apocalyptique (avec les moyens du bord) pour que cette histoire se termine... bien ou mal ?
Une friction du cuir chevelu un peu trop sous-marine.
L'enfer des bains de boue. "El Diablo", un film qui dénonce les méfaits de la propagande sanitaire.
"El Diablo" n'est donc à voir qu'à partir de minuit, pour les inconditionnels des films d'horreur ricains fauchés comme les blés, risque-tout prêts à subir une bande-son moisie. Car le pire, c'est que pour réellement profiter de ce plaisir crétin, il est indispensable de s'être bien enquillé le néant introductif afin d'être dans la condition mentale optimale pour savourer sa bêtise. Bah oui, je vous l'avais dit que c'était un loisir pervers l'archéologie des poubelles.
A noter que les fans de peluches de petit singe qui tuent en frappant leurs cymbales apprécieront eux aussi le métrage (à ceux qui pensent que ces gens-là n'existent pas, je répondrai : "I want to believe !").
Dédicace.
Pour terminer cette chronique sur un tant soit-peu de culture, sachez qu'en 1996, le film semble avoir bénéficié d'un remontage dans une version de 20 minutes sans queue ni tête, au sein d'un truc bizarre, sorte de Conte de la Crypte avec Ernest Borgnine, intitulé "Merlin's Shop of Mystical Wonders" (disponible en DVD !). Aussi bien noté sur imdb que l'original (1.6/10).
Quant aux lecteurs qui trouvent le temps de bouquiner autre chose que des conneries sur Nanarland, ils auront sûrement fait le rapprochement entre le scénario de "El Diablo" et la nouvelle de Stephen King, "Le Singe", parue en 1980. Et ils ne seront pas plus avancés pour autant...
Achetez mon film !
Note : 1.25/5
Titre VF : El Diablo
Titre VO : The Devil's Gift
Réalisateur : Kenneth J. Berton
Acteurs : Bob Mendelsohn, Vicki Saputo, Struan Robertson, Bruce Parry...
Pays : USA
Année : 1984
Durée : 1h25
Catégorie : Horreur
Genre : Démon à 100 balles
Cote de rareté : 5/Introuvable
Pas de DVD, juste de la VHS. "El Diablo", chez Colombus qui raconte n'importe quoi sur leur jaquette pour tenter de vendre leur camelote. Et "The Devil's Gift" chez nos amis outre-atlantiques.
Il est probable que le film existe sous d'autres titres en VHS par chez nous.
