Vu il y a quelques jours, après l'achat du coffret Intégrale Jacques Demy.
Déjà, je suis tout à fait d'accord avec le premier point de la chronique : Demy et les années 80, c'était vraiment pas ça... Pour être plus précis, il y a comme un fossé dans la carrière de Demy, que l'on constate quand on regarde sa filmo de façon chronologique. Qu'on aime ou pas ses films, il y a un truc qui ne fonctionne plus dès le début des années 70. En gros, il construit son oeuvre de façon cohérente, faisant revenir les mêmes personnages d'un film à l'autre, jusqu'à
Model Shop qui clôt brutalement la "saga" via un album photo où on apprend que Untel est mort etc., puis se réfugie dans le conte pour un résultat toujours de haut niveau même s'il s'adresse à un autre public (
Peau d'âne,
Le joueur de flûte...)...
En 1973 vient
L'événement Le Plus Important Depuis Que L'homme A Marché Sur La Lune et c'est là qu'on commence à voir qu'un truc ne va pas. Le film est sympa, l'idée originale mais quelque chose ne fonctionne plus, surtout dans les décors et les costumes qui essayent à la fois de rester cohérent avec l'univers coloré de Demy et de coller à l'époque (pattes d'éléphants...). Et l'histoire finit en eau de boudin sans qu'on sache vraiment jamais pourquoi Demy a, au dernier moment, refusé (ou "été contraint de renoncer à") d'aller au bout de son propos. Enfin pour ceux qui ont vu le film, la fin ne fait que poser cette question : "
devant un événement aussi inexplicable et révolutionnaire, personne n'a songé à faire une échographie???" (alors que certains dialogues et scènes laissent penser le contraire...).
C'est ensuite que ça ne va vraiment plus. Après un black out de cinq ans (alors qu'avant, il ne se passait pas deux ans entre chaque film), Demy revient avec
Lady Oscar (j'en parlerais dans le topic dédié...), puis une adaptation (sympa mais hyper illustrative) de La
Naissance Du Jour de Colette où l'on a au moins le plaisir de revoir Orane Demazis, la Fanny de la trilogie marseillaise de Pagnol. Il enchaîne sur
Une chambre en ville qui reprend le principe des
Parapluies de Cherbourg, à savoir que toutes les répliques du film sont chantées. Mais ce qui pouvait être bouleversant dans
Les Parapluies... ne passe, à mon sens, plus du tout ici. Pas assez d'émotion, trop de coïncidences, l'impression que les personnages vivent dans un univers clôt où rien ni personne n'existe à part eux. Même s'il est basé sur des faits réels que Demy a vécu dans son enfance, l'émotion ne passe pas... (au moins, on retrouve Dominique Sando, qui jouait Hélène dans
La Naissance du Jour et qui aurait vraiment été crédible en Lady Oscar de par ses traits relativement masculins...)
Pour en venir à
Parking, ce film fait vraiment figure de Descente aux enfers pour Jacques Demy. Le cinéaste s'est souvent réclamé de Jean Cocteau. Son premier moyen métrage
Le Bel Indifférent, où une femme tente pendant trente minutes d'arracher une parole à son amant qui semble ne même pas s'apercevoir de sa présence, était l'adaptation de la pièce éponyme de Cocteau (interprétée en son temps par Edith Piaf), le second film de Demy,
La baie des anges, était une relecture du mythe d'Orphée où l'univers des casinos de la Côte d'Azur font figure d'Enfer dans lequel se plonge le personnage de Jeanne Moreau (tout comme le monde des Models dans
Model Shop) et, pour finir, le choix de Jean Marais pour jouer le rôle du roi, qui cite du Apollinaire et du Cocteau dans
Peau d'Âne n'est pas anodin quand on sait l'importance qu'eut le film
La Belle et La Bête dans la vie de cinéphile de Demy.
Mais si les années 70 se présentaient déjà comme une époque où l'univers de Demy s'intègre mal,
Parking démontre que ça n'était rien comparé aux années 80. Tout d'abord, le style musical du cinéaste, qui écrit lui-même les paroles de ses films mais pas la musique, ne se prête pas du tout à la variété Eighties. La première scène est très révélatrice et fait frissonner le spectateur non averti qui craint un nouveau film entièrement chanté. Heureusement non parce que déjà les paroles sont moyennes mais en plus la version guitare + voix d'Huster ne passe pas (en générique, la chanson
Bonheur d'aimer, bien que mièvre, passe quand même un peu mieux). La grande catastrophe musicale du film est vraiment la chanson
Le Styx dont l'intro fait sourire ("je me promenais quand j'ai rencontré CARON ! ! !") avant de faire franchement rire quand Huster se met à hurler comme un forcené "Pourquoi Moi? Pourquoi Moi? Pourquoi Moi? Pourquoi Moi? POURKWA MWAAAAAAAAA???????" (qui fera sans doute fureur en karaoké lors du dernier quizz de la prochaine N.E.).
Autre élément qui fonctionne moyen moyen : les costumes. Sérieux, il faut un GIF animé du mirifique bandana rouge avec lumières qui clignotent de l'ami Francis, sûrement la source d'inspiration du célèbre blouson de cuir à loupiotes de David Hasselhoff. Alors couplé à un costume de scène d'une matière indéterminée d'un blanc éclatant (franchement, sur l'affiche devant Bercy, on croirait que Francis est en train de pratiquer le plaisir solitaire avec sa guitare...) et des costumes de ville très marqués par l'époque, ça donne un film dont presque chaque scène est nanarde par essence. Notons que la costumière du film est Rosalie Varda, fille de Jacques Demy alors en début de carrière (et ça se voit...).
Venons-en à l'interprétation du film. C'est franchement triste de voir des comédiens accomplis tellement empêtrés dans des choix artistiques douteux que non seulement ils n'arrivent pas à tirer le film vers le haut mais qu'en plus, on en vient à en douter de leur propre talent tant ils paraissent à côté de la plaque. On retrouve donc Francis Huster qui nous la joue Gérard Philipe fin de siècle, Laurent Malet, frère jumeau de Pierre, en manager amoureux transi, un Gérard Klein moustachu en col roulé qui n'était pas encore parti à moto sur les routes de France donner de grands coups d'éponge rageurs "sur le tableau noir du malheur" (comme le répétait ad nauseam Télérama à chaque nouvelle critique d'un épisode de la série) ou encore la sublime Eva Darlan, qui fut avocate remplaçante de Luis Rego dans la seconde saison du
Tribunal des Flagrants Délires en présidente de fan-club psychopathe. Et on passera sur le cas de Keiko Ito, preuve s'il en est que la phonétique ne peut pas casser des briques. Sérieux, il y a comme une malédiction Demy avec le Japon, déjà responsable de l'autre vrai nanar Demysien,
Lady Oscar...
Enfin, il y a vraiment un gros souci de budget tout au long du film. Si le coup de la descente aux enfers via un parking souterrain n'est pas mauvais en lui-même, sa mise en scène est bien trop carton-pâte pour fonctionner même si on sent que Demy a tenté de limiter la casse. La scène qui suit, dans un enfer en noir et blanc colorisé, fait peine à voir même si Jean Marais fait ce qu'il peut dans son rôle d'Hadès (après avoir joué Orphée pour Cocteau...). Pour l'anecdote, la scène a été tournée dans une imprimerie nommée "Olympe". Du coup, l'idée originale du film, l'adaptation du mythe d'Orphée au monde moderne, pas mauvaise en elle-même et dont certaines scènes en laissent entrevoir le potentiel, ne fonctionne pas du tout et décrédibilisent toute une partie du film. La scène de la sortie des enfers notamment où on ne comprend franchement pas comment Eurydice peut demander à Orphée de faire une pause câlin dans un hôtel sordide en noir en blanc moche alors que leur vie dépend de leur sortie de cet univers. Du coup, la mort d'Eurydice (c'est pas du spoil, relisez vos classiques bon dieu !) sur le trottoir étroit d'un tunnel du périphérique, qui aurait pu être un vrai moment de suspense, est juste ridicule et donne l'impression de voir deux toxicos sortant de leur squat pour aller acheter leur dose...
Pour finir, on ne croit pas non plus aux scènes de foule sensées démontrer la grande popularité d'Orphée et c'est franchement risible de voir une vingtaine de figurants courir sur la place de Bercy en criant le nom d'Orphée sous le regard étonnés des vrais passants (scène visiblement tournée à l'arrache...). D'où le manque de crédibilité du statut de Rockstar d'Orphée, pourtant point central du film qui aurait dû faire passer tout seul
sa mort à la John Lennon. Mais tout n'est pas la faute de la production. Pour moi, le premier mauvais choix du film est d'avoir conservé les noms des personnages du mythe original pour cette version actualisée, surtout quand on voit que les personnages se réfèrent eux-mêmes à ces mythes. Par exemple, Orphée cite lui-même Charon et Hadès dans sa chanson
Le Styx mais semble ne pas faire le lien quand il rencontre Hadès ou encore une Madame Perséphone qui bosse pour Hadès Production (et qu'il rencontre, pour l'anecdote, dans un café où j'avais mes habitudes face aux jardins du Luxembourg

)
Enfin, il y aurait encore beaucoup à dire sur ce film (notamment le fait que la chanson-phare de la carrière d'Orphée,
Bonheur d'aimer, semble durer 45 secondes chrono...), sans doute le pire de toute la carrière de Demy avant un dernier métrage,
3 places pour le 26 où, malgré quelques maladresses et sa tendance crispante à l'autocitation, il retrouve finalement le ton de ses films des années 60, un an avant son décès...
4/5 amplement mérité !
Dernier point : vous croyez que le costume d'Orphée est visible à l'expo Jacques Demy de la Cinémathèque?