Ce n'est pas sans émotion que je vais vous parler de Young Rebels.
Nanarland a toujours eu vocation à parler de l'inédit, à chercher toujours plus loin, dans les endroits les plus louches, les films les plus excentriques. Or non seulement Young Rebels est excentrique, il est aussi très rare. Pas de note ni de casting précis sur IMDB, aucune autre critique à ce que je sache sur le net, ce film est un fantôme.
Pourtant, des hommes comme moi, des collectionneurs, des fous, le cherchent, le désirent, le fantasment. Pourquoi ? Parce que Young Rebels est un film d'Amir Shervan, qui est le demi-dieu Iranien responsable de Samouraï Cop, 19ème film du top 20 de nanarland. Souvenez vous : la voie du Boushita, le duel au sabre entre Matt Hannon et Robert Z'Dar, la drague de l'infirmière, les maillots de bain plus classes que classes. Quel film magnifique !
Malgré cette réussite éclatante, on sait peu de choses de la vie et de l'oeuvre d'Amir Shervan.
D'après IMDB, il a réalisé 5 films en Iran, son dernier film datant de 1980. Si ces films sont comparables à ceux de sa période américaine, on peut non seulement être curieux, mais aussi compréhensifs de son exil : pas sûr que la police religieuse ait apprécié son travail.
Une photo du film "Akhm nakon sarkaar" , datant de 1976, exhumée par le site persian mirror, visible à cette adresse : http://www.persianmirror.com/community/2006/nostalgia/IranianActors.cfm Puis il réapparaît aux Etats-Unis, pour quatre films : Hollywood Cop, dont la bande-annonce est visible en ces lieux, le célèbre Samouraï Cop, et trois vilains petits canards : Killing american style, et Gypsy, qui sont cités sur imdb, et young Rebels, qui n'y est même pas. Les quelques renseignements glanés sur internet n'incitaient pas à l'optimisme : les deux films n'ont jamais été édités aux Etats-Unis, Gypsy semble même être quasiment un mythe. L'espoir de voir Killing, American style a bien été vif quand un vaillant jeune distributeur de vidéo à la demande l'avait ajouté à son catalogue. Las, las, les serveurs n'étaient pas capable de supporter tant de grandeur épique, la boîte a coulé, et les Shervaniens les plus impatients restaient gros jean comme devant.
La jaquette allemande de la VHS de killing american style, qui met la pression.Et puis vint cet article clair, magnifique, un des plus beaux travail bibliographique depuis le tractatus theologico-philosophicus de Spinoza, intitulé : Keeping It Warm – The Lost Films Of Amir Shervan, et qu'on peut trouver à cette adresse :
http://wafu1.wordpress.com/2011/06/30/keeping-it-warm-the-lost-films-of-amir-shervan/On y apprenait que killing american style avait été édité en DVD en Allemagne (ce pays magnifique, qui n'a pas hésité à accueillir Mission Las Vegas de Norbert Moutier ni le prince de l'éclair des studios IFD). On y apprenait surtout que la France, avait accueillie Killing American Style et Young Rebels en VHS, ce qui rendait pratiquement toute l'oeuvre américaine d'Amir Shervan non seulement trouvable, mais même trouvable en Français. Noël, Noël !
C'est ainsi que, grâce au partenariat avec la vidéothèque nationale de Corse, nous avons la joie de vous présenter aujourd'hui Young Rebels, l'un des films prodigues d'Amir Shervan the Great.
De par son simple statut de film quasi-introuvable, Young Rebels mérite d'être sauvé de l'oubli via ce site. Pourtant, au moment de regarder le film, le doute s'insinue, tel un ninja trafiquant de baguettes de pain frelatées : et si ce film si espéré était le plus amer des on s'est fait avoir ?
Je vous rassure, il n'en est rien : Young Rebels est la preuve qu'Amir Shervan était un auteur, un vrai. Un esthète, un chercheur, un savant fou du film d'action minable. Comme les cahiers du cinéma, nous à Nanarland croyons à la politique des auteurs. Et ce film possède bien des choses qui nous ont plu dans Samouraï Cop.
Un signe de qualité qui ne trompe pas.Pour commencer, mettons en place les jalons de l'histoire : le rebelle dont on parle ici ne l'est pas sans cause. Il est là pour venger son frère, tué par des trafiquants de drogue.
Bien que Samouraï Cop ait été un remake déguisé de l'Arme fatale 2, Young Rebels n'en est pas un d'Un aller sans retour (grandiose Série B mettant en scène Wings Hauser dans son meilleur rôle). Car l'histoire de ce film est bien plus complexe que ce que son synopsis donnerait à penser. Elle est avant tout un prétexte donné à Amir Shervan de réexploiter les thématiques qui lui sont chères :
- La compétition de lose entre héros et méchants
- Les scènes d'actions les plus minables dans les lieux les plus tristes
- L'érotisme délicat et raffiné du string léopard à pompon.
Si Flic ou Ninja est le film de l'escalade dans la violence, Young Rebel est celui de l'escalade dans la lose. Car où chercher ailleurs la mécanique de l'action que dans ce sentiment de puissance à échouer tout ce que l'on entreprend. Héros comme méchant, chacun en sera pour ses frais.
On commence par une énorme lose de Robert Z'Dar, qui foire de la plus totale des manières un banal trafic de drogue. En voulant le beurre et l'argent du beurre, il perd tout, échouant lamentablement dans le gunfight et oubliant en route sa mallette bourrée de pesos.
Vis ma vie de Robert Z'Dar : quand va-t-il tenter de tirer sur les autres en fourbe pour ne pas payer la drogue ?Au moment de tester la drogue ?Quand les concurrents sont de dos ?Quand tout le monde est planqué dans un hangar ?Son père, baron local de la drogue et du BTP, après avoir habilement négocié avec succès la levée d'une grève (en tuant les leaders syndicaux), lui confie une deuxième tâche : ramener le héros, pour transporter de la drogue. Le héros en question lui doit de l'argent (lose) suite à des paris perdus (double lose). Mais le héros n'est même pas l'homme capable d'acheminer la cargaison en hélicoptère, mais juste son frère (triple lose piquée).
Les deux frangins se retrouvent donc au Mexique pour aller chercher un homme avec une mallette. Là, pris par un éclair de conscience supérieur, ils se rendent compte qu'il y a quelque chose de louche à vouloir faire passer une mallette sans passer par la douane, surtout si la demande vient d'un baron de la drogue. Y aurait-il des stupéfiants à l'intérieur ? Incroyable, non ? Du coup, ils s'enfuient (lose des méchants), deviennent suspect auprès de la police corrompue (lose des gentils), sont pris en chasse par le méchant qui du coup ne récupère pas sa drogue (deuxième mallette perdue depuis le début du film : encore la lose), et à qui ils doivent toujours autant d'argent (oooh les losers!).
Nos deux héros, et leurs têtes de gagnantsJe ne vais évidemment pas vous raconter tout le film, mais il me fallait vous décrire de manière détaillée ce début aussi complexe que rempli de coups aussi fourrés que des biscuits Kango, pour que vous vous rendiez compte de la subtile dynamique de l'échec qui sous-tend le film.
Du côté des bons comme des méchants, le nombre de morts sera aussi élevé qu'inutile. Dans le monde d'Amir Shervan, on peut être prêt à se sacrifier sans remords pour les autres, y compris s'il s'agit de se faire couper les roubignoles à la tronçonneuse (ça a l'air de faire mal). Le premier problème tient dans l'inutilité d'un tel sacrifice : il y a toujours un autre moyen facile d'obtenir le renseignement cherché (par exemple demander à un flic corrompu d'aller regarder dans le fichier de la police). Le deuxième problème est que personne à aucun moment ne pleurera votre mort. Frère ou fils, la mort n'émeut personne. On en parle même pas. Ce n'est plus du dépassement de la douleur, c'est ne même pas se rendre compte que l'on souffre.
La torture à la tronçonneuse : une technique peu efficaceSi on ajoute à cela des trous de scénario énorme (par exemple une fille kidnappée qui ne sera
jamais, il me semble, libérée) et une conclusion en bois d'arbre, on ne peut qu'admirer la science du
scénario foireux de l'Iranien fou, capable de transformer un banal Hollywood night en monument érigé au culte du no reason.
Incroyable mais vrai, même de dos et à bout portant, notre héros ne sera pas tué par la balle du sbireTout cela ne serait pas si important, me dirait un client de vidéo-club décryogénisé, si l'on a en contrepartie des scènes d'action qui « assurent le steak ».
Ami vidéophage, répondrais-je, tu risques d'être déçu, dans tous les sens du terme. De spectacle à la John Woo tu ne trouveras point, mais ça, honnêtement, tu t'en doutais un peu. De spectacle à la Samouraï Cop, telle cette scène de sabre en forme d'hommage au ballet des hippopotames de Fantasia, tu ne trouveras pas non plus. Il y a bien une baston finale un peu sympa entre un héros bodybuildé et un cinquantenaire fatigué (devinez qui gagne?), mais rien de fabuleux. Pour assurer le spectacle, Shervan a en effet décidé d'adjoindre deux sidekicks à nos héros : un noir et un asiatique quarantenaire (mais jovial), qui associés à un meilleur ami Mexicain donnent un côté United colours of Benetton pas désagréable à l'histoire. Ces sidekicks, donc, sont des artistes martiaux assez compétents, et même si leurs performances ne sont pas vraiment mises en valeur, on pourra dire en étant indulgent que ça passe. En résumé, on trouvera dans Young Rebels des gunfights et des bastons un peu ternes mais à une ou deux exceptions près pas trop ridicules.
Un spectacle martial à couper le squeelePourtant, comme souvent, la vérité est ailleurs. Sûrement conscient de la faiblesse du spectacle offert, Amir se rattrape par un sens du casting aiguisé et des décors somptueux.
Casting tout d'abord : Young Rebels est un fabuleux recueil de tronches de cake que ce soit au niveau des héros, qu'au niveau des bad-guys. Je vous laisse admirer en image.
Chez Jean-Jacques Sbire, promotion sur les sbiresSbires en costumes cravates Sbire en mode le rebelleSbire tout en musclesbire en collier de barbeSbire en coupe afroEn arrière plan, un sbire entre Stuart Smith et Ian Scott, comme un symbole Sbires, sbires, sbiresDu côté des gentils, c'est pas mal non plus.Tout aussi fort, Young Rebels propose des décors saisissants. Si la plupart des films tentent de donner de Los Angeles l'image d'une ville gigantesque, ensoleillée, grouillante de vie, dominée par d'impressionnants buildings, celui d'Amir Shervan nous montre le revers de l'image d'Epinal. Comme dans Samouraï Cop, les fusillades sur les parkings et les jardins de pavillon de banlieue se multiplient. Mais on y trouve aussi un combat dans une carrière en montée qui ravira les fans de Real Bullets, et un autre dans une carrière en morne plaine, qui ravira les fans de post apo. Enfin, les quelques scènes d'intérieurs, allant de strip-clubs décatis en intérieurs au papier peint moisi font preuve d'un sens de la décoration si sûr qu'on se demande si Valérie Damidot elle-même n'y aurait pas pris des idées pour son émission.
Visitez Los Angeles : ses parkings de strip-clubSes collines fleuries aux rochers taguésSes paysages pittoresques Ses villas luxueuses... ...où il fait bon vivre. Et surtout : le sens de la fête !Dernier élément de la Shervan's touch : l'érotisme. Les maillots de bain de Matt Hannon et Jannis Farley sont encore dans les mémoires de tous les nanardeurs et toutes les nanardeuses. Le peu que j'ai pu voir de killing american style commençait direct par une audition pour un strip-club.
La barre est haute mais Young Rebels relève le challenge avec facilité.
Quel érotisme en effet ! Le top de la classe. Le sommet de la fine séduction. Déjà, au niveau des actrices, c'est gros nichons obligatoires. Ces attributs mammaires sont non seulement montrés à foison, mais de plus, la plupart des personnages féminins nous serons d'abord présentés topless avant que d'être habillés (quand on les voit habillés). On a une danse de strip-club dans son intégralité (et c'est très, très long), Robert Z'Dar au lit avec une demoiselle certainement de bonne famille mais qu'on ne reverra pas par la suite, entre autres boobs.
La classe américaine des images torrides sans jamais sombrer dans la vulgaritéRobert Z'Dar en pleine actionEt toujours de beaux maillots de bains !Ces scènes sont particulièrement incroyables, non pour leur vulgarité, mais pour leur incapacité à aller à leur conclusion. Dans un Hollywood night ou un Sidaris classique, la scène de sexe sert de pause bienvenue entre deux scènes de mitraille, un repos du guerrier en quelque sorte. Normal. Mais, peut-être parce qu'il ne savait pas comment filmer un rapport sexuel simulé, Shervan fait toujours en sorte que les personnages soient interrompus au moment de passer à l'acte, ce qui est d'autant plus troublant. Héros comme méchant, après trois minutes de danse lascive, il y a toujours un sbire tombant comme un cheveu sur la soupe pour venir faire chier et transformer le film en plus long coitus interruptus de l'histoire du cinéma.
La répétition de ces scènes est particulièrement marquante : la première fois, ça passe, la deuxième c'est bizarre, la troisième c'est drôle, la quatrième on se dit qu'en fait on assiste à un remake déguisé de Cet obscur objet du désir de Luis Bunuel.
Le héros a mis son plus beau slip …… mais il y a toujours un ami moustachu pour casser l'ambianceRobert Z'dar va finalement conclure... … quand soudain on frappe à la portePour conclure, je dirai que Young Rebels n'est pas un chef d'oeuvre du nanar. Il n'est pas rempli de répliques cultes, ni de scènes d'actions dingues. Mais malgré tout, il propose un spectacle de qualité pour tout esthète du nanar : par sa lose érigée en art, tant au niveau de l'action que du sexe, par sa pauvreté ostentatoire, il se pose comme une alternative discount crédible aux films déjà peu coûteux d'Andy Sidaris. Comme si, au lieu d'être un film philippin tentant de se faire passer pour un film américain, il était le premier film américain à se faire passer pour un film philippin. Cette tiers-mondialisation du produit est peut-être le legs le plus précieux qu'Amir Shervan nous ait laissé, son regard d'exilé désabusé sur le pays des grosses voitures et des gros nichons.
Et voilà, encore un chapitre de nanarland qui se terminePavé technique :
Young Rebels, un film écrit, produit et réalisé par Amir Shervan. Avec Rober Z'Dar, G. Alexander Virdon, Chris, Delia Shepard, et Aldo Ray qui passe faire coucou.
Genre : La vengeance est un plat qui se mange froid, moi je la mange avec de la sauce piquante parce que j'ai des amis mexicains (Catégorie : Pur et dur)
Autre genre : Ah Robert Z'dur Z'dur.
Note : 3,5 / 5