C'est toujours une tristesse que de constater qu'on ne célèbre jamais autant qu'on le souhaite l'amour que l'on porte aux vivants, la Mort se chargeant de nous le rappeler sans ménagement. Je me serais donc bien passé du récent décès de Bruce Baron pour jeter un nouveau coup d’œil à ce ninja-flick, symbole d'un genre qui a participé à la consécration d'un moustachu comme Nanarland les adore. Surtout que pour le coup, il ne faut pas se mentir, "The Ultimate Ninja" est loin d'être The Ultimate Ninja Movie. Au contraire, voici un exemple de 2/1 des plus fainéants qui soient : Godfrey Ho s'est en effet ici contenté d'une seule et brève séquence de champs-contrechamps, particulièrement peu inspirée qui plus est, pour tenter de lier le métrage thaïlandais d'origine à ses fantasques rajouts de gweilos. Résultat, les tribulations de nos ninjas n'ont strictement aucun rapport avec l'histoire principale du film.
Évacuons donc rapidement la partie thaïlandaise, d'autant qu'elle ne présente pas vraiment d'éléments nanars. Pour une fois, le scénario est assez simple à suivre, ce qui s'explique par la présence quasiment intégrale des scènes originales, sans distorsion de montage car tout parait avoir été conservé dans le bon ordre chronologique. Nous découvrons les suites d'une sombre histoire de chefferie de village qui a mal tourné, entrainant un désir de vengeance de la part des descendants du précédent dirigeant assassiné. Soraprong Chatree (qui ne doit pas savoir que sa filmographie fait le double des films pour lesquels il a été payé) se fait désirer pendant 1 heure, laissant libre cours aux loubards locaux, plus nombreux que les pouilleux du village racketté (constitué d'une seule paillote). On se demande bien comme ils parviennent à faire fortune, d'autant qu'ils passent leur temps à tabasser les malheureux commerçants qui n'ont jamais un rond.
Et donc on nous promet du ninja ultime, avec des shuriken, et tout, et tout...
...et on nous refile une bande de pleupleus en jean slim.
Ajoutez à ce passionnant récit les tourments d'un maître de kung-fu, embauché par nos mafieux ruraux pour leur apprendre les rudiments des arts martiaux (sans grand succès cela dit, le premier étranger venu leur mettant systématiquement la misère sans trop de problème), et qui se retrouve ainsi coincé entre ses valeurs morales et la nécessité de faire bouillir la marmite. C'est vrai qu'on ne s'attarde pas assez souvent sur ces vieux maîtres qui enseignent des techniques mortelles à n'importe qui, sous couvert d'une vague philosophie philanthropique hypocrite (essayez de le dire vite), et qui finissent par venir se plaindre que leurs élèves ont mal tourné. Et l'éthique, bordel ! Bien loin de ces préoccupations intellectuelles, les personnages saisissent donc la moindre occasion pour se castagner à tour de rôle. Comprenez donc que pour nous vendre sa camelote, Godfrey Ho est cette fois allé piocher dans un film de tatane thaï, ce qui nous change un peu des sempiternels actioners et autre polars chinois.
Heureusement, on a tout de même quelques bonnes têtes de vainqueurs...
...du cabotinage (je cherche d'ailleurs le nom de cet acteur, souvent vu dans les films thaï pompés par IFD, comme "Ninja Destroyer" et "Special Commando")...
...et un sens du cadrage qui ne trompe pas sur la marchandise.
Enfin, nul n'est dupe, ce n'est pas pour regarder des Thaïlandais se foutre sur le tronche dans leur tiers-monde qu'on regarde un film intitulé "The Ultimate Ninja". Non, ce qui nous intéresse, c'est bien évidemment ce casting qui nous fait miroiter un face à face de rêve : Bruce Baron contre Stuart Smith ! Mais qu'est-ce qui peu bien amener ces deux hommes à s'affronter ? Une infamie, et pas des moindres. En effet, Stuart Smith (alias Victor) est un leader du gang des Black Ninjas. Tout à son avidité malfaisante, il s'en prend au chef des Red Ninjas, profitant lâchement de l'absence du seul élève de ce dernier, Bruce Baron (alias Charles), parti faire son traditionnel jogging dans les bois. Stuart laisse son adversaire pour mort après lui avoir volé la statuette du Black Ninja Warrior. Revenu au bercail, Bruce ne peut que recueillir les dernières paroles de son maître ("
be a good ninja, Charles") qui lui confie par la même sa succession, ainsi que le devoir de récupérer la relique sacrée afin de l'unir à nouveau au Golden Ninja Warrior, toujours en sa possession, et ainsi obtenir le "
supreme ninja power". La routine habituelle, quoi.
Quel que soit le film, Bruce a toujours sa serviette jaune porte-bonheur.
Il se dégage de cette image une atmosphère un peu Brokeback Mountain of the Ninjas, non ?
Le magnifique Black Ninja Warrior. Notez son joli mascara.
Et le Golden Ninja Warrior, qu'on ne présente plus à force d'avoir été repris dans nombre de ninja-flicks.
Bruce et Stuart restent donc chacun dans son coin respectif (les bois et une carrière de pierres), à conspirer et à s'entrainer durant des plombes en vue de l'affrontement final. Tout au plus Bruce exécute-t-il sommairement quelques figurants ninjas adverses qui lui tombent entre les pattes, histoire de fournir au spectateur 30 secondes de mecs en pyjama tous les quarts d'heure. Là encore, on ne peut pas dire que Godfrey se soit foulé, le félon se contentant vraiment du minimum syndical. Mais bon, comment lui en vouloir quand on est fan de cette esthétique unique de la mythologie du ninja 2/1, devenue tellement archétypale qu'on dirait un théâtre de marionnettes mythologiques, recasant à l'infini les mêmes traceurs symboliques, la même grammaire cinématographique et oserais-je le dire, cette signature inimitable d'un courant artistique à part entière. Comment ne pas craquer devant ces longs jeux de regard obscurci par des cagoules colorées, ces zooms maladroits, ces flips généreux et pourtant inutiles, ces bandanas uniques et si naïfs, ces statuettes fascinantes probablement achetées sur l'étal d'un vendeur à la sauvette, ces figurants aux gueules aussi improbables que les parcours de vie qui les ont entrainés dans cette galère, ces musiques sauvagement volées à leurs auteurs, ces dialogues sans artifice qui ressassent sans fin les mêmes thèmes, ces tables à pique-nique dont nul n'avait sans doute imaginé qu'elles auraient ainsi fait le tour du monde, et bien entendu, ce délicieux cabotinage si cher à mon âme...
De fantastiques gweilos comme on n'en verra sans doute plus jamais.
Des bandeaux ninja avec des tête de mort dessus pour bien repérer qui sont les méchants (et l'assument pleinement).
Des tables de pique-nique qui ont vu passer plus de ninjas que de familles en week-end.
Bruce Baron qui s'amuse à faire de la télékinésie avec son Golden Ninja Warrior...
...pendant que Stuart Smith tente de regarder ses doigts.
Et alors qu'on désespérait de le voir enfin se réaliser, voici l'affrontement final de nos deux monstres sacrés du cinéma nanar, sans réelle fioriture certes (pas d'arme loufoque, de transformation en branche ni même de bombinette de fumée, snif), mais après tout, plus que la lutte pour des reliques en plastoc made in Taïwan, le véritable duel de ce film n'était-il pas plutôt l'obtention du pouvoir de suprême acteur ? Car il y a là deux écoles que tout oppose. D'un côté, un Bruce Baron qui travaille le contrôle émotionnel yogique, la sérénité intérieure, la fusion psyché/soma dans la zénitude absolue, bref, le non-jeu apathique du trépané (ou du gweilo qui sait ses talents sous-payés). Et il a tout-à-fait raison de choisir cette voie, car en face, Stuart Smith demeure une divinité mystique du cabotinage au regard enfiévré, capable de déstructurer la plus bête ligne de dialogue pour la recréer avec plein de muscles faciaux en plus.
Les combattants se préparent... et c'est parti !
Emporté par mes sentiments pour la cause ninja, irai-je jusqu'à dire que "The Ultimate Ninja" est un bon film ? Bien sûr que non, y'a tout de même pas écrit nunuche sur mon front. Mais si l'on peut ressentir à sa vision une tendre sympathie, c'est bien grâce aux intrépides voyageurs et autre citoyens du monde qui n'ont pas hésité à faire taire leurs insistants (et justifiés !) remords pour accepter d'incarner d'improbables assassins occidentaux bigarrés qui, aujourd'hui encore, continuent d'émerveiller ceux qui savent où les trouver. Alors so long Bruce. Et comme le disait très justement notre forumeur Benoît : "
on n'était peut-être pas les fans dont tu avais rêvé, mais on gardera ton souvenir vivant".
The Ultimate NinjaPays : HK
Année : 1986
Durée : 1h25
Catégorie : Ninja
Genre : BBVSSS
Réalisateur : Godfrey Ho
Acteurs : Bruce Baron, Stuart Smith, Sorapong Chatree, Pedro Ernyes...
Note : 1/5Cote de rareté : 4/ExotiqueLe film ne semble pas avoir bénéficié de sortie française. Il faut donc se tourner vers une pléthore d'éditions de tous pays, donc le DVD américain.