Le cerveau humain, l’arme absolue:
Comme vous n’aurez pas manqué de le remarquer, le cerveau tient une part importante dans ce film, non pas qu’il soit tellement sollicité chez le spectateur, mais qu’il en est régulièrement fait référence.
Le premier et le plus étrange exemple de l’utilité du cerveau humain nous est donné en introduction par la voix off. Pour se protéger des terribles rayons laser du sorcier, les terriens ont entouré leur planète (plusieurs fois réduite en morceaux mais toujours là, comme quoi on fabriquait des planètes solides il y a cinq milliards d’années, pas comme maintenant) d’une sorte de bouclier fait de cerveau humain. Qu’entendent-ils par là? S’agit-il d’une couche de neurones ou de cerveaux entiers entassés comme des briques? Ont-ils été prélevés sur des “volontaires” ou sur des cadavres? Ou ont-ils été produits artificiellement? Mais surtout, quelle réelle protection la matière grise pourrait-elle offrir contre des rayons laser?
Plus gênant encore, le sorcier a besoin d’un cerveau humain pour pouvoir passer cette barrière cérébrale. Pourtant, Cüneyt et Ali débarquent sur un planète où se trouvent de nombreux humains (une trentaine en comptant les figurants), de nombreux monstres et un couple de sorciers. Aucun d’entre eux n’a donc le moindre neurone? La réponse négative semble plausible, surtout lorsqu’on voit les monstres attendre leur tour pour prendre leur peignée au lieu d’attaquer les deux héros dans le dos, lorsqu’on découvre admiratif que la blonde a passé les trois quarts du film sans prononcer la moindre réplique en alternant piteusement une expression méfiante et un sourire coincé, et même quand on se dit que les plans machiavélique du sorcier n’ont pas la moindre once de crédibilité.
Lors du grand
speech du vieux sage, il dit notamment:
Citer:
Les Sages se réunirent et unifièrent le pouvoir des cerveaux des tous les humains éteints depuis des millénaires, puis ils le fondirent avec la bonté et la sagesse dans un seul cerveau.
Passons sur l’impossibilité technique de réunir des cervelles décomposées depuis des lustres avec des vertus certes positives mais immatérielles. Mais d’autres questions plus fondamentales se posent à nous. La première, et non la moindre, est: mais bon sang, quel intérêt de s’embêter à créer un gentil et sage super-cerveau dont ils ne se sont jamais servi? Le seul à qui çà a finalement été utile, c’est au sorcier, et je doute que la construction d’un tel objet lui ait été destinée. A la rigueur, l’introduction de cet objet dans le scénario pourrait expliquer le problème posé plus haut: ce n’est pas n’importe quel cerveau humain que le sorcier recherche mais celui-ci en particulier. Celà voudrait dire que le sorcier a bel et bien un cerveau mais pas celui qu’il recherche (d’autant que celui qu’il détient ne semble pas très efficace). Mais dans ce cas, pourquoi torturer deux terriens qui n’ont jamais entendu parler de cet objet sacré et non les autochtones (au lieu de les massacrer pour rigoler)? Et puis, le discours de la voix off introductive est sans appel:
Citer:
Mais aussi puissantes soient leurs armes, les ennemis de la Terre n’avaient pas de cerveaux.
Donc, le sorcier, sa femme, la blonde, le sage, les monstres et tous les autres habitants de la planète sont privés de cerveau. Mais celà ne résout pas le problème du champ cérébral entourant la Terre, ni n’explique pourquoi c’est en touchant le cerveau doré (et l’épée) que le sorcier devient tout-puissant. Alors peut-être faut-il chercher du côté de la métaphore...
Métaphore à la sauce turque:La clef de compréhension du film (car il y en a une, j’en suis convaincu) se trouve à mon humble avis dans la métaphore religieuse. Selon le Coran (n’oublions pas que la Turquie est à 90% musulmane), Allah créa trois types de créatures (auxquelles s’ajoutent les plantes et les animaux): les humains, les djinns (
http://fr.wikipedia.org/wiki/Jinn ) et les anges (Malaikas en arabe:
http://fr.wikipedia.org/wiki/Malaikas_%28anges%29 ). Les anges sont des serviteurs soumis à Allah et n’ont aucune liberté de choix, contrairement aux humains et aux djinns. Les djinns furent créés avant les hommes mais s’entretuèrent, et leur seul survivant fut Iblis (
http://fr.wikipedia.org/wiki/Iblis ). Alors Allah créa les humains (Adam et Eve) et ordonna aux anges et à Iblis de s’agenouiller devant eux. Mais Iblis refusa, arguant qu’il était fait de feu alors que les humains n’étaient faits que de terre. Il demanda alors à Allah la permission de tenter de corrompre les humains jusqu’au Jugement dernier. Allah accepta mais précisa que les bons croyants (les musulmans), guidés par leurs prophètes (et notamment le dernier: Mohammed) sauraient rejeter la corruption d’Iblis. Cette lutte contre la tentation du mal en soi-même se nomme
jihad (terme qui est très loin de se réduire à des attentats suicides perpétrés par des fanatiques: ).
On a là rien de moins que le scénario du film. Tel un Mohammed du futur, Cüneyt, accompagné d’Ali (gendre du prophète et une des principales figures de l’Islam), se retrouve dans un monde où les anges, qui se nomment eux-mêmes les Immortels, sont réduits en esclavage par les djinns avec à leur tête un Iblis de pacotille. Telle l’âme, le cerveau humain est la clef de la sauvegarde de l’humanité face aux créatures maléfiques mais risque d’être corrompu par celles-ci. Il faut donc lutter pour mettre fin à ces agressions, dans un jihad sur trampoline qui a converti tant de téléspectateurs médusés. Et la victoire n’est réellement à portée de poing que lorsque le prophète au sourire ravageur renoue avec la parole divine, symbolisée par son matériel en carton-pâte doré (notez bien que le speech sur l’Islam se fait tout au long de la scène de la découverte de l’épée). Il ne reste alors plus qu’à botter l’arrière-train du sorcier Iblis pour sauver l’humanité de la Fin des temps et pour libérer les anges du joug des djinns.
On voit désormais bien que Dünyayi Kurtaran Adam n’est pas qu’un simple Turkish Star Wars. C’est surtout et avant tout une métaphore de l’Islam, voire un véritable pamphlet en faveur de cette religion. L’utilisation de la science-fiction n’est pas là pour cacher cet aspect religieux (car sinon, pourquoi y intégrer un speech explicite sur l’Islam?) mais au contraire pour faire comprendre simplement un message complexe (c’est la méthode qu’utilise aussi Jésus dans les Évangiles). Je ne dis pas pour autant que la réflexion de Cetin Inanç est particulièrement développée. Après tout, il ne fait qu’un copier-coller du Coran sans y apposer la moindre analyse. Mais celà donne un résultat autrement plus profond que le reste de sa filmographie.
On en vient donc naturellement à cette question: est-ce un film de propagande religieuse? J’en doute fortement. Le cinéma turque n’a jamais réellement eu une grande vocation à l’exportation. Le public visé est turque, donc quasi-unanimement musulman. Je vois mal Inanç vouloir convertir des musulmans à l’Islam. Par contre, celà lui permet de caresser son public dans le sens du poil, en flattant leur foi. Après tout, on n’attrape pas des mouches avec du vinaigre. Enfin, il est tout à fait possible que ce sujet tienne Inanç à coeur et que ce film soit pour lui une sorte de profession de foi. Et çà tombe bien car çà me permet de faire une subtile transition vers les convictions d’Inanç que dévoile ce film.
(Note: vu les réactions épidermiques que tout propos sur l’Islam engendre de nos jours, tant du côté de barbus intégristes qui n’ont rien compris à la religion qu’ils sont censés défendre que de celui de certains occidentaux tout aussi tarés qui déversent leur haine sur les musulmans en attendant de pouvoir «finir le travail» avec les juifs, je tiens à préciser que mon but n’est ici ni de manquer de respect à l’Islam ni d’en faire le prosélytisme. Je suis en athée passionné par les religions et n’ai pour objectif que de donner un éclairage nouveau sur ce que je considère comme le plus grand nanar de tous les temps.)
Un film progressiste:Ceux qui ont eu la chance d’avoir vu Once Vatan et Korkusuz ont pu remarquer le fort nationalisme de Cetin Inanç. Film après film, ses héros défendent avec ardeur leur Turquie natale contre les hordes de grecs de l’ONU ou d’indépendantistes Kurdes. Dans Turkish Star Wars, la science-fiction limite grandement cet aspect. Mais elle n’en est pas pour autant absente. Ainsi, les deux sauveurs de l’humanité sont turques. On pourrait logiquement faire un rapprochement avec Independance Day: dans les deux cas, les héros qui sauvent l’humanité des méchants extraterrestres sont de la même nationalité que le spectateur lambda visé, ce qui flatte son patriotisme.
De même, le personnage musulman le plus cité dans le film n’est pas le prophète Mohammed mais un saint turque: Haci Bektasi Veli. C’était un des principaux acteurs de la conversion des turques à l’Islam, un peu comme saint Patrick pour les conversion des irlandais au Christianisme. Donc, on peut voir l’utilisation de l’Islam dans ce film comme un élément d’exaltation du patriotisme turque.
Et, souvent, le nationalisme pose sa vérité en s’opposant à ce qu’il considère comme étranger, extérieur, ennemi. L’image des asiatiques, des noirs africains et des «peaux-rouges» (s’agit-il d’amérindiens, d’indiens d’Inde, ou d’autres peuples?) est particulièrement révélatrice de ce fait. En effet, ils sont présentés sous des traits extrêmement caricaturaux. L’asiatique a une peau si jaune qu’un poussin en pâlirait, ses yeux sont si bridés qu’il ne s’agit en fait que de deux fentes, la longue natte et le costume chinois achevant cette grotesque image d’Épinal.
De même, le noir a dû se trouver en plein milieu d’incendies provençaux tant sa peau est sombre. Quant à ses lèvres, elles sont si rouges et si enflées qu’il a certainement embrassé un bouquet d’orties. Et surtout, ils font partie des monstres djinns et non pas des anges turques. Ils sont donc clairement présentés comme des êtres difformes et maléfiques, ennemis de l’humanité, qu’il s’agit de combattre pour préserver le bien. Ne connaissant pas personnellement Cetin Inanç, je ne me permettrai pas de le traiter de raciste, mais avouons que ces caricatures nauséabondes peuvent au mieux laisser planer le doute.
Quant à la place de la femme dans le cinéma d’Inanç, elle est à peine plus flatteuse. Certes, la blonde de Cüneyt fait partie des anges, mais son rôle se restreint à un vague sourire. Et il faut attendre que les trois quarts du films soient écoulés pour qu’elle prononce ses premiers mots. Et encore, elle est très vite interrompue par Cüneyt, qui semble plus pressé d’en découdre avec les djinns que d’écouter ce qu’elle a à lui dire. Quant à l’épouse du sorcier-Iblis, son seul rôle est celui de tentatrice à l’égard d’un Ali pas plus regardant que son compère. Et elle finit bien vite à l’état d’octopode, punie par son propre époux (une répudiation bien radicale).
L’une comme l’autre n’a pas la moindre utilité en termes narratifs, mais posent une image claire de ce que doit être une femme. La bonne est silencieuse, soumise et passive. La mauvaise est garce et tentatrice. Pour Inanç, tant la destruction que la sauvegarde de l’humanité est une affaire d’hommes, et pas n’importe lesquels.
Ne tombons pas pour autant dans les stéréotypes sur les pays musulmans. L’image de la femme n’est pas bien meilleure dans les pays occidentaux. Il suffit de voir tous ces rôles de potiches siliconées que l’on trouve dans les films américains pour s’en rendre compte. De plus, Inanç reprend de nombreux codes que l’on associe bien plus volontiers aux films occidentaux qu’à ceux du monde musulman: l’héroïne est blonde et la méchante brune, et le personnage d’Ali est avant tout celui d’un dragueur invétéré qui accumule les conquêtes. D’ailleurs, au début du film, Cüneyt n’hésite pas à lui dire:
Citer:
Tu n’as qu’à lancer ton fameux coup de sifflet auquel aucune femme ne résiste.
Et Ali de s’empresser de siffler bien fort en espérant que les femmes vont accourir et l’entendant les siffler... Mais les relations entre les deux hommes ne se limite pas à un concours de qui traitera les femmes avec le plus de mépris. Car il y a une vraie amitié entre eux deux, ce que nous allons voir dans la dernière partie de cette analyse.
L’amitié virile selon Cüneyt:Comme vous vous êtes montrés courageux de tout lire jusqu’ici (j’espère bien que c’est ce que vous avez fait), je ne vais pas y aller par quatre chemins dans cette dernière partie: le personnage d’Ali est l’archétype absolu du
sidekick. Et comme tout bon
sidekick, il sert de faire-valoir au personnage principal:
Citer:
Ali: Ils ont peur de quelque chose mais ils s’occupent bien de nous.
Cüneyt: ils ne veulent pas que ta belle gueule soit abîmée.
Ali: Tu ne peux donc jamais être sérieux?
Cüneyt: Tu sais pourquoi la guerre atomique qui a presque détruit notre monde s’est déclenchée?
Ali: Pourquoi?
Cüneyt: Parce que les humains étaient trop sérieux. C’est souvent ennuyeux. Si ils avaient su rire un peu plus, ils auraient choisi la paix plutôt que la guerre.
Ali: Alors fais-moi rire, que cet enfer devienne un paradis.
(Il s’esclaffe, mais tous les figurants restent de marbre)
Ali: Rien n’a changé.
Cüneyt: Ca viendra...
Par contre, il est d’une fidélité à toute épreuve, tel un Lassie ou un Rintintin du Bosphore. Ainsi, capturé et entouré de tuyaux en caoutchouc et de diodes clignotantes, il résiste avec la plus grande fermeté aux tentatives de contrôle de son cerveau par le méchant sorcier:
Citer:
Le Sorcier: Humain, en utilisant le pouvoir te ton cerveau, je deviendrais l’être le plus puissant.
Le robot: Nous n’arrivons pas à procéder au trasfert du cerveau de l’humain. Son cerveau n’est pas libre. Par ses schémas de pensée, sa volonté, son pouvoir, ce cerveau est programmée pour l’autre être humain. Cet humain est lié à son ami de tout son être. Nous ne pouvons nous emparer du pouvoir de son cerveau.
Le Sorcier: C’est impossible!
Le robot: Nous n’arrivons pas à nous emparer du pouvoir de son cerveau. Son cerveau n’estr pas libre. Sa pensée, sa volonté et le pouvoir de son cerveau sont programmés pour l’autre humain.
Le Sorcier: Il m’a trompé! Il m’a abusé cet homme de la Terre! Il a fait en sorte que son ami soit capturé en connaissance de cause et nous l’a abandonné.
Cette fidélité indéfectible ne semble malheureusement récompensé à sa juste valeur, vu comme Cüneyt semble pressé d’aller à son secours:
Citer:
La capture d’Ali va me permettre de gagner du temps.
Devant tant d’injustice, Ali/Lassie va finir par craquer, reprochant à Cüneyt, qui a fini par venir le chercher, de trop prendre son temps (alors qu’il décanille des monstres par paquets de douze depuis une heure) et lui ravissant l’épée et le cerveau en or pour aller le remettre au sage... ce que Cüneyt avait justement l’intention de faire. Par de bol pour notre
sidekick préféré, le sorcier avait pris l’apparence du sage et a ainsi pu toucher les deux objets, ce qui suffit à le rendre (presque) invincible. Cette bourde ne l’empêche pas de réitérer sa rébellion envers Cüneyt en fonçant dans un couloir qui explose à son passage, amenant au dialogue «je-fais-chialer-le-public-tout-entier» que j’ai déjà retranscris à la fin du résumé du film. Comme quoi, les deux seules fois qu’il a voulu voler de ses propres ailes, celà lui a coûté la vie et a failli détruire le monde. Il ne fait pas bon se prendre pour le héro quand on n’est qu’un simple
sidekick en Turquie.
Dernière petite observation:
Je ne résiste pas à l’envie d’en rajouter une dernière petite couche, qui met particulièrement bien en valeur les différences culturelles entre le Bosphore et Hollywood. Autant les américains se refusent systématiquement à montrer la mort d’un enfant dans leurs films, à tel point que même Freddy Krueger, qui est censé massacrer tous les enfants d’Elm Street, ne s’attaque en fait qu’à des ados libidineux et boutonneux, autant les turques se lâchent complètement dans ce domaine pour nous montrer à quel point leur méchant est vraiment très méchant. On peut ainsi voir le robot en tôle secouer par la tête un gamin ensanglanté pendant que son père implore sa pitié. De même, l’attaque des momies dans les grottes se concentre surtout sur l’entassement de cadavres d’enfants hilares. Le seul qui survive, c’est le petit nerveux qui se fait constamment capturer par le sorcier en compagnie de la blonde muette.
Voilà. J’espère que ces éclaircissements scénaristiques vous auront aidés à mieux appréhender l’importance de ce chef d’oeuvre du septième art. Malgré mon ton sarcastique, je tiens à préciser que je suis sincère en en vantant les qualités. Malgré tous ses défauts, c’est un film qui sait retenir l’attention du téléspectateur: on ne s’ennuie pas un instant en regardant ce petit bijou. Et puis, çà fait tellement de bien de voir un film qui sort autant des sentiers battus du cinéma hollywoodien ultra-formaté...