«Son œuvre est incroyablement stupide et vulgaire» (Jean Tulard, Dictionnaire des réalisateurs) ; «Chaque film de Philippe Clair est pire que le précédent, et pourtant cela n’arrête jamais» (Télérama). Le moins que l’on puisse dire est que Philippe Clair ne fait pas partie de ces réalisateurs qui ont les faveurs de la critique. S’il ne fut pas le plus prolifique des réalisateurs français de nanars comiques, son nom reste, autant que celui de Max Pécas, un symbole de la grande époque du rire gras. Au point d’ailleurs que certains le prennent pour le réalisateur habituel des films de Jean Lefebvre, avec lequel il n’a pourtant jamais tourné ! Grand habitué des programmes de la 5 dans les années 80, Philippe Clair est pourtant victime, à l’heure où ces lignes sont écrites, d’un oubli injuste, Max Pécas l’ayant supplanté dans la mémoire collective comme «roi du nanar». En attendant la réhabilitation du fou furieux de la pantalonnade, cette fiche a pour modeste ambition d’honorer l’oeuvre d’un artisan chanceux qui eut son heure de gloire.
Philippe Clair est né en 1930 dans une famille juive d’Afrique du Nord ; alors que beaucoup le croient originaire d’Algérie, il aurait, selon sa fiche biographique de la Bifi, vu le jour au Maroc. A vingt-trois ans, il s’installe à Paris et entre au Conservatoire, dont il sort trois ans plus tard avec deux premiers prix de meilleur jeune comédien. Il s’illustre alors au théâtre, travaillant notamment avec la troupe de «La Famille Hernandez», composée principalement de comédiens pied-noirs algériens, et où officient entre autres Marthe Villalonga (qui tournera plus tard avec lui) et Robert Castel. Philippe Clair joue essentiellement dans des pièces comiques, comme la revue «Purée de nous z'ôtres » ou «La Parodie du Cid », d’Edmond Brua, qui transpose à Bab-El-Oued la tragédie de Corneille. Notre homme trouve les français de métropole «trop moroses à son goût» et se lance dans une carrière d’acteur comique et d’humoriste, interprétant sur les planches des sketches de sa composition («De Bab-El-Oued à l’Elysée», «Tata Julie»), dont beaucoup seront édités sous forme de disques. En 1967, la guerre des six jours lui inspirera un sketch acerbe, «Rien Nasser de courir», dont la tonalité anti-arabe lui vaudra d’être interdit par la censure gaulliste : le disque circulera abondamment sous le manteau. Philippe Clair compose également une chanson très sérieuse en hommage à Israël, "Deux mille ans d'espoir".
Entretemps, Philippe Clair a fait ses débuts de cinéaste en 1965, avec «Déclics et des claques», aventures de jeunes pied-noirs à Paris, dans laquelle certains voient l’ancêtre de «La Vérité si je mens» (on y voit d’ailleurs Enrico Macias). Le film lui vaut le prix de l’humour cinématographique. Cinq ans plus tard, il tourne son deuxième film, «La Grande java », avec Francis Blanche et un groupe de jeunes chanteurs comiques, les Charlots.
L’année suivante, avec «La Grande maffia », il retrouve Francis Blanche et fait tourner un comique italien qui deviendra plus tard son acteur fétiche : Aldo Maccione. Philippe Clair ne va plus cesser de tourner durant toutes les années soixante-dix. Réalisés pour des budgets modiques, ses films remplissent les salles du samedi soir lors de leurs sorties estivales, dans une France où le cinéma populaire est encore florissant. Contrairement à Max Pécas, réalisateur plus «mercenaire » qui changea plusieurs fois de genre, Philippe Clair ne s’illustre que dans le comique, avec un univers caractéristique, nourri d’outrances toutes méditerranéennes.
Ses films se caractérisent par un humour burlesque, ne reculant devant aucun effet outrancier, reproduisant souvent en live des gags de bande dessinée. Grosses blagues sur les homosexuels, filles à poil...Les acteurs (Philippe Clair lui-même en tête) y cabotinent de façon exagérée. Pas de subtilité chez Philippe Clair, mais un humour de corps de garde à la vigueur parfois contagieuse. Le bon goût n’y est pas toujours de mise. «Le Fuhrer en folie » suscitera ainsi les protestations d’anciens résistants : on y voit Hitler défier les nations Alliées dans un match de foot, où les couleurs de la France libre seront défendues par Luis Rego, Maurice Risch et Patrick Topaloff ( !). Ajoutez un Henri Tisot totalement en roue libre dans le rôle d’Hitler et Alice Sapritch en Eva Braun, et vous obtiendrez l’un des films les plus surréalistes du cinéma comique français.
Henri Tisot et Alice Sapritch.
Philippe Clair, jouant le rôle du "Curé de Baden-l'Oued", toujours dans "Le Führer en folie".
Les Charlots travaillant désormais avec d’autres réalisateurs (dont son ancien assistant Claude Zidi), Philippe Clair lance une nouvelle équipe, «Les Tontos», puis une troupe de comédiens qu’il baptise «Les 13 cloches» et qu’il exploitera dans «Comment se faire réformer», «Les Réformés se portent bien» et «Ces flics étranges venus d'ailleurs». Parmi ces 13 cloches, on trouve Hervé Palud, futur réalisateur de «Un indien dans la ville» et «Mookie». L’année suivante, Clair adapte à l’écran «La Parodie du cid», qu’il avait créée sur les planches, sous le titre de «Rodriguez au pays des merguez».
Sa collaboration avec le producteur tunisien Tarak Ben Ammar lui permet d’accéder à des budgets plus importants, et des lieux de tournage exotiques : au tournant des années 80, les films de Philippe Clair sont de véritables blockbusters comiques. Aldo Maccione renoue sa collaboration avec lui pour deux gros succès, «Tais-toi quand tu parles » et «Plus beau que moi tu meurs», qui consacreront Aldo la classe comme vedette comique à part entière.
En 1984, Philippe Clair réalise le plus beau coup de son palmarès en débauchant Jerry Lewis en personne (le comique américain tentait alors de relancer sa carrière en France) pour tenir la vedette de l’hallucinant «Par où t’es rentré, on t’a pas vu sortir». Philippe est si content qu’il s’octroie le deuxième rôle principal aux côtés de Jerry, accentuant encore le coté OVNI du film. A noter également la présence de la danoise Connie Nielsen, que l'on vit bien plus tard dans «Gladiator». Jerry Lewis, lui, se serait arrangé pour empêcher toute exploitation du film aux Etats-Unis...
Jerry Lewis et Philippe Clair : l'hideux font la paire
Mais ce sera le dernier gros succès de la carrière de Philippe Clair ; dans les années 80, avec l’arrivée de la vidéo, la fin des petits cinéma, l’évolution des goûts du public, le cinéma commercial français s’effondre, et entraîne avec lui la comédie populaire. Le film suivant de Clair, «Si t’as besoin de rien, fais-moi signe», est un échec, de même que «Si tu vas à Rio…tu meurs», suite de «Plus beau que moi tu meurs», toujours avec Aldo Maccione.
En 1989, Philippe Clair et Aldo Maccione tentent de se relancer avec une comédie plus «subtile», «L'Aventure extraordinaire d'un papa peu ordinaire». C’est un nouvel échec, qui enterre la carrière de nos deux lascars. Philippe Clair n’avait plus sa place dans le nouveau paysage du cinéma français ; il aurait tenté durant les années 90 de monter un nouveau projet mais selon certaines sources, il en était réduit à essayer de recruter ses comédiens dans la rue…
Si Philippe Clair est aujourd’hui bien méprisé, en qualité de symbole d’un cinéma comique grossier et franchouillard, il n’en reste pas moins un personnage attachant, que l’on espère voir un jour mieux considéré. Auteur complet (monteur, scénariste et dialoguiste de tous ses films), ayant monté ses long-métrages à force de bagout et d’enthousiasme, l’homme était un cinéaste fort sympathique dans le travail, si l’on en croit le compositeur Alan Silvestri, débauché pour «Par où t’es rentré ? On t’a pas vu sortir » : « Son enthousiasme envers moi et sa volonté à me voir travailler sur son film étaient irrésistibles ! Philippe était simplement spectaculaire d'enthousiasme ! Je ne sais même pas si j'ai vu finalement le film ou non, mais je savais que quoi que souhaitait Philippe, je l'aurais fait ! Parce que je voulais être avec lui. C'est le genre de personne avec qui vous aimez passer votre temps. » (Propos cités par le site traxzone.) Espérons que son entrée sur nanarland sera le signe annonciateur de sa réhabilitation !
FILMO
Réalisateur :
1964 Déclic et des claques
1970 La grande java
1971 La grande mafia
1972 La brigade en folie
1973 Le Führer en folie
1975 Le grand fanfaron/ Le grand fanfaron et le petit connard / Les bidasses en cavale
1977 Comment se faire réformer
1978 Les Réformés se portent bien
1978 Ces flics étranges venus d'ailleurs
1979 Rodriguez au pays des merguez
1981 Tais-toi quand tu parles
1982 Plus beau que moi, tu meurs
1984 Par où t'es rentré, on t' as pas vu sortir
1986 Si t'as besoin de rien... fais-moi signe
1987 Si tu vas à Rio...tu meurs
1989 L' Aventure extraordinaire d'un papa peu ordinaire
Acteur :
1960 Cyrano de Bergerac (TV), de Claude Barma
1961 Donnez-moi dix hommes désespérés, de Pierre Zimmer
1962 Les petits matins, de Jacqueline Audry
1964 La caravane Pacouli (TV), de Louis Soulanès
1965 Du rififi à Paname de Denys de La Patellière
1971 La Grande Maffia, de Philippe Clair
1973 La Brigade en folie, de Philippe Clair
1973 Le Führer en folie, de Philippe Clair
1977 Comment se faire réformer, de Philippe Clair
1978 Les Réformés se portent bien, de Philippe Clair
1978 Ces flics étranges venus d'ailleurs , de Philippe Clair
1979 Rodriguez au pays des merguez, de Philippe Clair
1981 Tais-toi quand tu parles, de Philippe Clair
1982 Les Sept jours du marié (TV), de Serge Moati
1982 Plus beau que moi, tu meurs, de Philippe Clair
1984 Par où t'es rentré, on t' as pas vu sortir, de Philippe Clair
1985 Les Mondes engloutis (TV), de Michel Gauthier (voix)
1986 Si t'as besoin de rien... fais-moi signe, de Philippe Clair
1987 Si tu vas à Rio...tu meurs, de Philippe Clair
1987 Cayenne Palace, de Alain Maline
Nikita (remerciements au Rôdeur)
Icono : vhs-survivors, moviecovers, clubdesmonstres, maxpecasspirit, aubonsketch...