KONGA

Titre original : Konga
Titres alternatifs : Panique sur Londres, I Was a Teenage Gorilla
Réalisateur : John Lemont
Année : 1961
Nationalité : Grande-Bretagne
Genre : God save the Kong (
Catégorie : Animalier)
Durée : 1h30
Acteurs principaux : Michael Gough, Margo Johns, Claire Gordon, Jess Conrad, Jack Watson

A l'heure d'Internet, on se figure mal ce que les cinéphiles de la génération de nos grands-parents ont dû traverser comme désert pour parvenir à voir ou à revoir certains classiques incontournables. A l'aube des années 60, les copies du
King Kong de 1933 sont réputées perdues et celles et ceux qui, à l'instar de ma propre grand-mère, ont eu la chance de découvrir en salles ce chef-d'œuvre du septième art à l'occasion de sa ressortie au début des 50's racontent aux plus jeunes leurs souvenirs émus du mythe. Mais un homme a décidé de donner au public en manque sa ration de kongeries. Cet homme, c'est le producteur-scénariste américain Herman Cohen, un spécialiste des bouche-trous pour les doubles programmes bisseux des drive-in et des cinémas de quartier. Grand amateur de singeries devant l'Eternel (on lui doit aussi les nanardesques
Le Gorille de Brooklyn et
Trog), Cohen veut rajeunir le mythe, en y ajoutant du rock'n'roll et des jeunes qui veulent s'éclater, car après tout, n'est-il pas le producteur d'autres versions "teens" des grands classiques de l'horreur, comme
I Was a Teenage Frankenstein et
I Was a Teenage Werewolf ?
Une affiche turque culottée.En toute logique, il pense donc appeler son film
I Was a Teenage Gorilla, mais se dit bientôt que ce titre ne ressemble pas assez à
King Kong. C'est décidé, son film sera baptisé
Konga et pour être bien sûr d'appâter le chaland, il investit pratiquement tout son budget dans une affiche qui en jette, avec un gorille gigantesque en fureur tenant dans sa patte une blonde à gros nibards et piétinant carrément Big Ben comme un château de cartes, tandis que les avions de chasse de la Royal Air Force s'apprêtent à lui donner l'ultime assaut. Et quand je dis que presque tout le budget est passé dans l'affiche, ce n'est même pas de l'ironie car Herman Cohen a carrément déboursé la coquette somme de 25 000 dollars à la RKO pour pouvoir insérer cette tagline décomplexée :
"Not since KING KONG... has the screen thundered to such mighty excitement!" Le genre d'accroche mégalo qui est toujours synonyme de daube.
"Konga : l'héritier de King Kong"... qui fait n'importe quoi avec son héritage.Ce film britannique fit s'esclaffer critiques et spectateurs à sa sortie, et soixante ans plus tard, l'effet produit est toujours le même. Réalisé sans aucun génie par le Canadien John Lemont (peu prolifique tâcheron ayant sombré dans l'oubli), ce métrage idiot et pauvre a gagné ses galons de nanar sans avoir eu besoin pour cela que la patine du temps lui donne des rides. Ce rejeton bâtard et difforme de
King Kong et de
Double Assassinat dans la Rue Morgue était grotesque dès sa naissance. L'écart gigantesque entre son affiche qui promet du grand spectacle à couper le souffle et la pantalonnade défilant à l'écran n'est sans doute pas étranger aux railleries qu'il essuya de la part de ses contemporains. Il fallait donc bien qu'un jour Nanarland s'intéresse à ce bon gros ringard de Konga, même si nous allons voir que le film dont il est la vedette demeure un nanar très mineur.

L'intrigue démarre pourtant bien, même si les premiers plans nous servent déjà un effet spécial foireux : on y voit un avion s'écraser dans la jungle d'Ouganda au moyen d'une surimpression d'explosion assez voyante. A son bord se trouvait le Dr. Charles Decker, un illustre botaniste anglais. Un an plus tard, le savant porté disparu revient à Londres, déclarant aux journalistes qu'il a été recueilli par une tribu d'indigènes, les Bagandas, et qu'il a découvert pendant son séjour dans la jungle le chaînon manquant entre le végétal et l'animal. Il ramène aussi d'Afrique un mignon bébé chimpanzé qu'il a baptisé Konga, parce qu'avec une lettre en moins, le producteur aurait dû débourser beaucoup plus de pognon à la RKO (
"De ce chimpanzé va descendre une longue lignée de rois" se permet tout de même de glisser le brillant docteur).



Michael Gough, illustre comédien anglais, est apparu dans pas mal de séries B avant de tourner pour Tim Burton. Il fut notamment Alfred Pennyworth, le majordome de Batman dans les années 80-90. Lui et Herman Cohen avaient signé ensemble un beau succès avec "Crimes au Musée des Horreurs" quelques mois plus tôt et le patron du studio Anglo-Amalgamated Productions demanda à Herman Cohen de réitérer l'exploit commercial. Ca ne peut pas marcher à tous les coups...Le Dr. Decker retrouve donc son cottage londonien cozy, sa secrétaire-assistante-maîtresse Maria (Margaret en VO), les élèves de son université plus intéressés par les flirts et les blagues potaches que par ses cours de botanique, et sa serre, dont il arrache sans ménagement les pétunias afin de pouvoir y cultiver les plantes qu'il a ramené d'Ouganda. C'est alors qu'on a droit à un premier élément nanar avec ces plantes carnivores géantes en carton, lointaines cousines de celles de
Turkish Star Trek, dont certaines ont la forme de grosses verges visqueuses surmontées d'une langue pendante. Petite pensée pour les techniciens anonymes réduits à ouvrir et refermer leur main dans les marionnettes en caoutchouc pour gober les morceaux de bacon que leur distribue Michael Gough.




Attention, chéri, derrière toi, c'est affreux !






La minute mondo.C'est à ce moment-là que le film commence à sentir le pâté car si le récit était plutôt cohérent jusqu'ici, le Dr. Decker se transforme subitement et de façon très mal amenée en psychopathe obsédé sexuel et mégalomane. Dans ce rôle de savant fou caricatural et mal écrit, le charismatique Michael Gough se lâche dans le cabotinage en roue libre et nous récite avec exaltation des tirades de ce calibre :
"Grâce à Konga, ce ne sera pas un seul pays que je dominerai, mais je marquerai une ère nouvelle sur toute la Terre ! Je produirai des hommes de quatre ou bien de six mètres !" Le plus fort est encore la réaction de Maria face à cet excité du bocal et leurs échanges ahurissants :
"Charles, j'ai du mal à comprendre où tu veux en venir. Je sens que la question te passionne, mais nous devrions nous reposer."
La science vue par...



Grand show Michael Gough.Nous retrouvons ensuite le scientifique et son assistante dans leur laboratoire de petit chimiste, où Michael Gough remplit son éprouvette avec un liquide vert dont la formule lui a été transmise par l'homme-médecine de la tribu Baganda, tandis que Konga leur apporte le thé sur un plateau. Ambiance Ed Wood version so british. Comme le spectateur s'en doute, le jeune chimpanzé ne va pas tarder à se prendre un coup de seringue dans le derrière, dopé par le sérum à base de jus de plante carnivore ayant pour propriété de favoriser le gigantisme. Le petit chimpanzé se transforme bientôt en gorille adulte, envers et contre toutes les lois de l'évolution. Ou plutôt en un intermittent du spectacle non-crédité au générique (un certain Paul Stockman, qui aurait sûrement préféré rester anonyme) dans un costume de gorille à fermeture-éclair, avec une tronche grotesque et deux yeux globuleux qui louchent comme ceux de
The Mighty Gorga. D'une absence de crédibilité à faire se gausser tous les spectateurs de 1961, pourtant beaucoup moins exigeants en matière d'effets spéciaux que le public d'aujourd'hui, ce primate en peluche se serait fait recaler au casting de
George de la Jungle mais est ici censé terrifier les foules.



Il a les yeux revolver...
Il a le regard qui tue...Davantage qu'un véritable Kaiju Eiga,
Konga se rattache en fait durant une bonne heure et quart au sous-genre des "films de singe tueur", avec en prime une ambiance "meurtres et enquête molle sur un campus universitaire" préfigurant en quelques sortes
Le Sadique à la Tronçonneuse. Au moyen d'une lampe-torche, Michael Gough hypnotise le gorille (occasion de longuement profiter du regard qui tue de Konga) afin de l'obliger à commettre de noirs desseins. Plutôt que de faire avancer la science et obtenir la renommée mondiale à laquelle il aspire en faisant connaitre sa découverte au grand public, le Dr. Decker préfère se servir de Konga pour assassiner par étranglements tous ceux qui ne lui reviennent pas : le doyen de l'université, un botaniste indien rival, le petit ami de son étudiante préférée... En effet, le lubrique Decker a des vues sur la sexy Sabrina (Sandra en VO), dont le soutien-gorge en pointes le met dans tous ses états. Un comportement de vieux satyre qui ne sera pas du goût de Maria, qui, pour se venger, décide de faire basculer le récit dans le dernier acte promis par la tapageuse affiche.






Cette bécasse de Sabrina est jouée par Claire Gordon, l'atout charme du film.Après un récit aussi mou qu'un plum pudding, heureusement illuminé par chaque apparition de Konga, la jalouse Maria fait donc une piqure au gorille, qui se met à grandir jusqu'à mesurer dix mètres. Visiblement surprise et affolée par cette croissance exponentielle (à quoi s'attendait-elle ?), Maria se met à hurler et Konga saisit alors dans sa patte la poupée Barbie/doublure de Maria et la lance rageusement dans le laboratoire. Le singe géant brise alors la vitre de la serre, où le Dr. Decker tentait de violer la jeune Sabrina, et s'empare de son maître, tandis que Sabrina se fait mâchouiller l'avant-bras par une des plantes carnivores en plastoc. Sa quenotte tenant fermement la figurine Ken de son créateur, ce gros balourd de Konga se met alors à déambuler nuitamment dans des maquettes de Londres, terrorisant de peu nombreuses foules de figurants qui surjouent la peur face à cette risible menace (et ne sont pas toujours synchrones avec les apparitions du gorille, certains semblant ne pas trop savoir ce qu'ils sont censés faire).



Jouer à la poupée, à son âge, quand même...



Ce dernier quart d'heure est un véritable bonheur pour le nanardeur, qui se réjouira de la dégaine impayable du gorille géant, des transparences complètement ratées, des miniatures approximatives et d'entendre le chef de la police sortir à ses adjoints ce genre de réplique lunaire avec le plus grand sérieux du monde :
"Fantastique ! On a vu un gorille de proportions gigantesques qui grandit continuellement et se promène dans les rues de Londres en semant la panique. D'après ce qu'on me dit, il se dirigerait vers Westminster. Arnold, alertez immédiatement toutes les voitures radios et armez tous les hommes disponibles ! Téléphonez tout de suite au patron à son domicile. Mettez-le au courant de ce qui se passe. Demandez-lui de réquisitionner la troupe et de l'acheminer immédiatement sur Westminster !" Se tenant devant Big Ben, Konga balance finalement son créateur d'un geste rageur et se fait mitrailler par l'armée de Sa Majesté en grognant et en louchant de plus bel sur une musique orchestrale aux accents tragiques en complet décalage avec le caractère ringue et pitoyable de ce bouquet final tant attendu. Konga meurt et le gorille géant redevient alors un bébé chimpanzé, sous le regard stupéfait de la population londonienne, dont les expressions faciales sont à l'image de la sidération du spectateur.








Anarchy in the U.K. !Si vous aimez les acteurs dans des costumes de singe de farces-et-attrapes, les savants fous cabotins qui ne supportent pas qu'on remette en question leur génie, les effets spéciaux ringards, les vieilles séries B anglaises foireuses du style
The Frozen Dead et qu'un rythme mollasson ne vous fait pas peur, alors vous pourrez vous laisser tenter par ce
Konga qui n'a pas usurpé sa réputation de film craignos. Sachez seulement qu'avec sa réalisation routinière, son doublage français à l'ancienne (c'est à dire que les dialogues les plus idiots du genre
"Puisque c'est comme ça, tu sortiras seulement quand tu auras promis de rester avec moi !" sont récités comme du Fèdre), ses sous-intrigues pas toujours passionnantes et sa pingrerie, on est assez loin du nanar colossal à la
Banglar King Kong.
Mais bon, quand même, quel charisme il a, ce Konga !Note : 1,5/5
Cote de rareté : 4 / ExotiqueBien que la version française d'époque qui traine sur Dailymotion nous ait permis de revoir le film dans la langue de Molière, nous n'avons point trouvé de DVD ou même de VHS français pour ce classique du schlock. Pour profiter de sous-titres français, on pourra se tourner vers l'un des DVD de chez MGM, en édition solo ou en duo avec le croquignolet
Yongary, Monstre des Abysses (un ersatz sud-coréen de
Godzilla). Tout cela est en zone 1, hélas pour nos lecteurs européens, mais heureusement pour nos lecteurs canadiens. D'autres éditions blu-ray et DVD sont sorties en Allemagne ou encore en Italie, mais sans VF ni sous-titres français.

Affiches en plus :
Une affiche qui fait disparaitre la blonde de la mimine de Konga.
La novellisation du film !

Le comic-book "Konga" !




Quelques lobby-cards.

La presse britannique de l'époque vend "Konga" comme le blockbuster de l'année.