Ben Wheatley est un stakhanoviste. Alors que Kill List est encore dans les mémoires traumatisées de ceux qui l’ont vu, son nouveau film était déjà présenté à l’étrange festival (sortie cinéma prévue pour décembre). Sachant que son prochain film est en tournage, et le suivant déjà écrit et budgété. Mais la quantité est-elle synonyme de qualité ? La réponse ci-dessous.
L’histoireTina est une trentenaire assez renfermée, entre ses diplômes de psychologie canine et sa mère possessive. Quand son petit-ami, Chris, un barbu débonnaire, décide de l’emmener faire le tour de l’Angleterre en caravane, c’est l’occasion pour elle d’enfin vivre sa vie.
Mais quand on est dans un film du réalisateur de Kill List, rien ne peut se passer comme prévu.
Exceptionnellement, je ne vous mets pas la bande-annonce, car c’est le genre de sale bande-annonce qui raconte toute l’histoire.
Un beau couple de losersPrésent lors de l’avant-première, Ben Wheatley a prévenu tout le monde : ceci est une comédie, mais c’est mon genre d’humour, pas sûr que ça vous fasse rire. Il n’a pas menti : Touristes est un film drôle et sombre à la fois, à la manière de c’est arrivé près de chez vous, ou plus récemment d’un four lions (si vous avez réussi à en rire).
Le film repose sur ses deux personnages principaux, qui selon un principe cher au cinéma anglais, sont deux personnes très normales, assez prolétaires sans se plaindre de leur condition, avec leur envie de bonheur et la réalité qui s’y oppose.
Ils nous sont d’abord présentés comme des touristes assez classiques, alignant les étapes toutes plus déprimantes les unes que les autres, dans leur caravane : musée du Crayon, sites mégalithiques, sans oublier les bars proches des campings : on se situe quelque part entre Ken Loach et les Bidochons.
Cette évasion a un but : sortir d’un quotidien étouffant : l’héroïne qu’on imagine vivant dans l’ennui auprès d’une mère possessive, qui plus est victime trauma aussi terrible qu’assez débile. Le héros est en année sabbatique pour écrire un roman, mais l’inspiration ne vient pas.

Cette fuite va prendre un tournant pas tout à fait inattendu vu le réalisateur, mais surprenant pour qui ne sait pas de quoi parle le film, et on va rentrer dans la deuxième phase du film, celle où tout part en couille et dont je ne peux parler pour ne pas spoiler. On peut juste en dire qu’elle donnera l’occasion à ce couple d’exprimer leur revanche sur la société, à leur manière : une revanche réjouissante mais un peu atroce quand même.
Le rapport qu’on a avec les personnages est assez étrange : au début on a un peu de pitié pour ces héros à la vie pourrie, mais au final, on se rend compte qu’ils s’amusent bien tels qu’ils sont. A aucun moment le film ne cherche à provoquer la compassion, et c’est très bien ainsi.
Un film un peu moche, dans le bon sens du termeIl est vraiment difficile pour moi de parler du film à ce point en avant-première, sans vous gâcher le film. Alors parlons de réalisation : Ben Wheatley n’insiste pas trop sur des effets de style qui parasiterait le film. Si ce n’était le sujet, on pourrait tout à fait voir un film de Ken Loach ou de Mike Leigh : paysages un peu moches (l’Angleterre des sites touristiques moches, ça fout le bourdon), personnages un peu moches (un enterrement de vie de garçon qui sent bon les bars de Sheffield), rapports humains un peu moches (jalousie pour la place de camping, pour le petit chien, disputes pour des bêtises, et un concept de camping-car pour vélo intéressant) : tout est un peu moche dans ce film. C’est étrangement ce qui fait le charme de ce film un peu dépressif : comment vivre dans ce monde un peu moche, si ce n’est en acceptant sa propre part de laideur ?
Le film est porté par une bande-son intrigante : mélange de tubes eighties (tainted love) et de kraut-rock pointu (Amon Duul, etc.) elle amplifie le côté joyeusement morne de cette histoire macabre. Ben Wheatley a d’ailleurs fait une remarque intéressante à ce sujet dans l’entretien post-films : tous ces morceaux de krautrock rappellent que les anglais n’ont rien inventé avec la new-wave : tout avait déjà été fait par les allemands quelques années auparavant. Les morceaux de Krautrock servent donc de remontées d’inconscient face au côté clair de ces morceaux populaires. Voilà qui reflète bien l’état d’esprit d’un film où le quotidien cache toujours une noirceur qui ne demande qu’à s’exprimer.
Au final, le film se vit comme une transposition de l’humour noir d’un disque de Mogwai : il prend son temps, monte en puissance, et t’achève avec une blague de mauvais goût.
Et alors c’est bien ?C’est pas mal, ouais. Difficile à raconter et analyser sans en griller le scénario, mais intéressant. Le problème du film est qu’on sent qu’il aurait pu être encore meilleur. Le principe en est sympa, mais une fois qu’on a compris, on se demande où il va, avant de trouver le temps un peu long. Heureusement, c’est quand on commence à vraiment décrocher que le film trouve sa conclusion, d’un humour très sombre, à l’image de ce film, assez drôle, plutôt violent, et touchant dans ce portrait d’amoureux un peu freaks cherchant désespérément à être normaux, quelles qu’en soient les conséquences.
Le film sort en salles le 26 décembre (parfait pour les fêtes de Noël !)