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Il était une fois une jeune fille qui croyait au grand amour, aux signes, et au destin ; une femme qui rêvait d’être comédienne et désespérait d’y arriver un jour ; un jeune homme qui croyait en son talent de compositeur mais ne croyait pas beaucoup en lui.
Il était une fois une petite fille qui croyait en Dieu.
Il était une fois un homme qui ne croyait en rien jusqu’au jour où une voyante lui donna la date de sa mort et que, à son corps défendant, il se mit à y croire.

Le nouveau film de Bacri et Jaoui, cinq ans après Parlez-moi de la pluie. Ce dernier film m'avait non pas déçu mais fait un peu appréhender leur prochain projet. Depuis Le goût des autres qui avait initié le passage du duo derrière la caméra (Bacri se chargeant en partie de la mise en scène), leur univers était devenu à chaque film un peu plus sombre dans l'ambiance, enfin disons plutôt amer dans une mise en scène plus sobre et axée sur le jeu des comédiens. Finie la fantaisie d'un On Connaît la chanson ou les dialogues ciselés aux réparties cinglantes venues du théâtre que l'on pouvait trouver dans Un Air de Famille. Après le grand succès public et critique du Goût des autres, leurs projets suivants, Comme Une Image et Parlez-moi de la pluie avait un peu plus creusé le sillon dramatique tout en réservant des séquences humoristiques bien senties et intégrées à l'histoire. Mais en sortant du dernier film cité, je m'étais quand même dit que si le suivant continuait sur la même voie, ça commencerait peut-être à virer à la redite...

Mais ce film fut une excellente surprise et témoigne d'une certaine remise en question par le duo de leur parti-pris filmiques et scénaristiques. Là où leurs précédents films restaient très sobres du point de vue de la mise en scène, Au bout du conte prend le contrepied de cette sobriété en osant des plans plus travaillés, empruntant à la poétique du conte. Là où auparavant, la mise en scène était au service des acteurs, ici, elle est au service de son parti-pris scénaristique qui est d'illustrer la place qu'occupent les contes, légendes et superstitions dans notre vie de tous les jours. Donc, pour la première fois depuis leur passage derrière la caméra, Bacri et Jaoui se permettent de véritables audaces de mise en scène qui, bien que restant sobres, sont bien intégrées à l'histoire et donnent au film un véritable charme sans trop en faire non plus. Outre le principe récurrent de faire commencer des séquences par une peinture du premier plan à laquelle se substitue le plan en lui même par un lent fondu enchaîné, on trouve ça et là des plans et cadrages travaillés pour leur donner une dimension fantastique, irréelle. Je pense notamment à ce plan nocturne de l'extérieur de la maison d'Agnès Jaoui ou encore ce poisson (Némo?) ballon qui se ballade en arrière plan dans les couloirs de l'appart' de Bacri...

Ce parti-pris de mise en scène vient parfaitement souligner celui du scénario qui intègre des éléments de conte à une histoire typiquement Jabac. Si certaines références sont très appuyées (mais on rit toujours avec le film...) comme Arthur Dupont qui perd sa godasse en partant d'un bal ou Benjamin Biolay qui, tout de noir vêtu, rencontre une jeune fille égarée habillée en rouge et se présente à elle sous le nom de Wolf, d'autres sont plus subtiles et justifient pleinement ce parti-pris de mise en scène comme la mère d'Agathe Bonitzer dont on n'arrive pas à deviner l'âge mais dont certains gros plans font deviner une vieillesse cachée sous une tonne de maquillage et des opération de chirurgie esthétique (à un moment, elle offre une pomme à sa fille). Il y a également des éléments moins évidents comme cette réplique d'Agnès Jaoui quand Agathe Bonitzer vient la voir chez elle (de mémoire : "faut lever la poignée et le truc va tomber..."). En bref, si certains éléments sont très appuyés, le tout fonctionne très bien alors que ça aurait pu ruiner un film moins maîtrisé. Je pense notamment aux séquences d'amour idyllique entre Agathe Bonitzer et Arthur Dupont...

Niveau interprétation, rien à redire. Ca fait plaisir de voir Arthur Dupont chez Bacri et Jaoui et ça confirme son statut de star montante du cinéma francophone. Si j'avais personnellement une appréhension quant à la présence de Benjamin Biolay au générique, il se révèle être un très bon choix de casting et a vraiment la gueule de l'emploi. Sa séquence de "réveillage de beauté endormie", même si elle n'est pas vraiment originale, fonctionne parfaitement. Et s'il y a parfois une certaine outrance dans le jeu, elle est justifiée par l'histoire comme cette scène où
la princesse de l'histoire qui a trompé son prince charmant pour tomber dans les bras du loup devient d'une scène sur l'autre une sorte de pochetronne qui écume les bars. Il fallait ça pour démystifier le personnage.
Hop, petit placement produit pour les copains...De leur côté, le duo Bacri Jaoui sont également très bons et, comme je le dis dans le topic du "matage de mars", Bacri apporte encore une dimension nouvelle à son personnage d'éternel bougon fermé qui passe son temps à critiquer tout et tout le monde. Ici, il est formidable dans un rôle dont l'apparence monolithique cache un doute et une peur irrationnelle qu'il n'ose pas confier à ses proches. Ca donne des scènes très drôles quand, au détour d'une phrase, un personnage annonce un événement ayant lieu le jour qui, selon une voyante, sera celui de sa mort et d'autres vraiment touchantes quand il se retrouve face à sa compagne qui cherche à savoir ce qui le perturbe sans qu'il ose le lui confier. Il sait que c'est grotesque de croire la prédiction de la voyante mais ça lui pourrit la vie quand même. Quand à Agnès Jaoui, qui est pour moi l'une des femmes les plus naturellement belles du cinéma français, les scènes où elle fait face, sans maquillage et dans un cadrage serré mettant en avant ses cernes et quelques signes extérieurs de vieillesse, à la beauté figée et artificielle de sa belle soeur sont très réussies.
Enfin, j'ai été ravi de retrouver dans ce film Dominique Valadié, comédienne trop rare qui restera à jamais pour moi l'éternelle complice de Pierre Desproges dans La minute nécessaire de monsieur Cyclopède.
