J'avais pas vu qu'il y avait déjà un sujet dessus. Mais bon, j'ai la flemme de charcuter mon message initial du coup, ne m'en voulez pas si je redis les mêmes choses que d'autres personnes plus haut.
"La corde" est l'adaptation d'une pièce de thêatre de Patrick Hamilton (elle même inspirée d'un crime bien réel commis en 1924). En ce sens, il n'est donc pas surprenant que l'histoire nous soit raconté sous la forme d'un huis clos, tout se passant dans l'appartement des deux meurtriers mis à part un générique d'ouverture ayant lieu dans la rue d'en face (et où Hitchcock fait son caméo habituel). L'idée du dîner permet d'apporter une dynamique, les personnages rentrant et sortant au fur et à mesure du film, au point de faire ressembler le tout à une sitcom macabre, l'humour étant grandement présent dans les dialogues. Cela dit, plus on les écoute et plus on se rend compte que le film semble loin de son sujet. On parle d'amour, de vacances à la campagne et de pâté, les discussions ont finalement la même profondeur que celles qu'on pourrait avoir durant un repas entre amis et on s'éloigne très rapidement de la dimension policière, celle-ci n'étant pour ainsi si dire pas développé ou traité de façon artificielle. Peut-on qualifier alors ce long-métrage de raté, sachant que Le Maître lui même le décrit comme "idiot" ? En fait, pas vraiment, tout son intérêt reposant plus sur un double exercice de style.
Le premier intervient au niveau de sa mise en scène, laquelle prend la forme d'un "unique plan-séquence" qu'Hithcock tente de nous faire passer pour véritable alors qu'il s'agit bien d'une imposture, les "pauses" étant assez évidentes même pour un oeil pas très exercé. Peut être une façon de récupérer pour l'écran une tension qui devait exister sur le plateau, les acteurs devant se livrer à huit numéros d'équilibristes, le moindre faux pas les amenant à devoir recommencer toute la scène. L'idée aussi était sans doute de duper le spectateur, mais comme dit auparavant, l'exercice n'est qu'en partie réussi, certaines découpes étant invisibles alors que d'autres sont très grossières. De ce point de vue, on peut se dire que le pari n'est pas totalement réussi mais on notera tout de même une certaine maîtrise, le fait de n'avoir qu'un seul décor et une poignée d'acteurs pour faire un long-métrage amenant à se priver de beaucoup d'artifices pour créer une ambiance. C'est d'ailleurs dans une mise en scène plus classique, loin de la "démonstration technique" que le réalisateur parvient véritablement à faire mouche. On pense notamment à une scène d'interrogatoire où le professeur, commençant à suspecter le binôme de meurtrier décide de mettre en difficulté l'un des deux, assis au piano en train de jouer un petit air. C'est la fameuse séquence du métronome, lequel peut être vu comme donnant la mesure à l'échange verbal entre les deux hommes, comme l'horloge d'un jeu d'échecs. Mais c'est surtout intéressant de voir la bande-son de la scène intégrée au récit: au début, la personne interrogée est sûre d'elle, le tempo est calme, puis le prof se fait de plus en plus insistant, le rythme s'accèlere à mesure que le suspect perd son calme avant enfin le couac final qui sonne comme un aveu de culpabilité. Cette scène pour le coup, est véritablement géniale. Une autre bien fichue se trouve être la "reconstitution du meurtre" où James Stewart, seul avec les deux meurtriers, leur explique sa théorie. Aucun flash-back, on ne verra rien de ce qui a précédé le crime mais l'enqueteur se met à débaler son hypothèse, peut être a-t'on invité la victime, sans doute lui a-t'on proposé un verre... et au fur à mesure de l'énumération, la caméra suit le fil de l'histoire, posant son objectif sur le mobilier. Tout y est immobile, mais terriblement vivant, rien qu'à entendre le monologue, sans rien voir du meurtre, on croirait presque y assister.
L'autre intérêt vient de ce que nous raconte le scénario. Comme dit plus haut, l'intrigue policière reste basique. Sauf que si on y réfléchit un peu, "La corde" n'est peut être même pas un film policier. Il en prend la forme, mais on ne nous raconte pas vraiment une histoire d'enquête. Plus qu'un crime, le meurtre nous est ici décrit comme un passage à l'acte, amenant vers une certaine jouissance. Lorsqu'ils en discutent entre eux, les deux assassins décrivent leur meurtre avec les mêmes mots qu'une expérience sexuelle. Leur forfait, il le cache dans une malle, mais ça pourrait tout aussi bien être un placard et tout l'enjeu du film se résume finalement à ce que le cadavre n'en sorte pas, que leur secret reste caché aux yeux du monde. Pas besoin d'être un pro de l'allégorie pour saisir le parallèle avec le coming-out, même si on n'aborde pas non plus l'homosexualité sous un angle cryptique. Le duo de meurtriers vit dans le même appartement, le lien qui les unit est assez évident... . C'est d'ailleurs sans doute pour cela que certains acteurs (Cary Grant et Montgomery Clift pour ne pas les nommer) refusèrent de tourner dans ce film, car le message, bien que pas tout à fait explicite, l'était déjà un peu trop. Le film prend d'ailleurs un angle subversif dans le sens où la censure de l'époque ne permettait pas d'aborder ce sujet tabou et qu'Hitchcock arrive a en parler sans trop en avoir l'air. Je ne dirais d'ailleurs pas que le film est le signe d'une homophobie de son auteur. C'est vrai que d'un certain point de vue, on peut faire un parallèle entre homosexualité et crime, mais l'histoire n'aborde pas la chose comme si c'était le fait d'être gay qui poussait les deux hommes à l'acte ou a en faire des personnages dérangés et dangeureux. L'un des deux s'avère être bel et bien un psychopathe (John Dall, suant le vice à des kilomètres) mais il n'y a pas de parallèle entre ses préférences sexuelles et ses pulsions meurtrières, ce sont juste deux éléments distincts de sa personnalité. Du coup, j'aurais presque envie de dire qu'il y a là au contraire, la preuve d'une certaine ouverture d'esprit, alors qu'on aurait pu facilement faire un amalgamme assez nauséabond et dire qu'après tout, c'est normal qu'ils soient assez fous pour commettre un tel crime, gratuitement, vu qu'ils sont homo à la base. Ce n'est pas le cas et c'est tant mieux.
"La corde" n'est donc un film qui ne prend sa vraie dimension que d'un point de vue technique, aussi bien dans sa réalisation que dans son contenu délicat pour l'époque. Si on ne s'interesse qu'à l'histoire, on pourrait le considérer comme une oeuvre anecdotique même si les intentions du personnage de James Stewart semblent un peu ambigu (a t'il vraiment joué les justiciers en dénonçant les coupables ou est-il celui qui les a poussé à la faute pour commettre le crime à sa place ?). Mais si vous êtes prêt à suivre le film comme une expérience cinématographique, cela est différent, Hitchcock mystifiant son spectateur non pas dans le fond, mais dans la forme. Du coup, même si c'est par pure curiosité, le film reste à voir pour se prendre une leçon de cinéma dans la face, mais pas une prétentieuse faite par un prof imbu de lui-même. Non, une vraie, où on prend plaisir à apprendre des choses.
_________________ la-li-lu-le-lo
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