Brokenail a écrit:
J'ai vu que tu avais parlé de l'influence de John Woo sur Desperado ( le film, pas le nanardeur ), et c'est aussi un film dont je n'avais pas du tout aimé les fusillades.
Il m'arrive de retrouver des gestes bizarres dans les films d'action ( généralement, je dis "c'est con comme du John Woo" ), notamment dans la série des Underworld, Wanted, mort ou vif de Sam Raim, un western avec Emilio Estevez ( où le truc du flingue sur la table de The Killer était carrément repompé ), le corrupteur.
En fait, ce qui est choquant avec les films de Woo, c'est le mélange du polar et de l'action débridé. Ses personnages sont censés avoir l'aura de personnages de films policiers, troubles, vulnérables, obsédés, désabusés mais dès qu'une confrontation arrive, ils se jettent dedans avec l'enthousiasme d'enfants de 4 ans qui s'amuseraient avec des pistolets à eau. C'est là que ça cloche pour moi.
Mais j'ai plutôt l'impression que s'il y a une influence, elle vient plutôt de l'ensemble des films de Hong-Kong de cette époque. Je ne saurais pas dire quels films sont arrivés suite à ça, mais plutôt ceux qui ont disparu au début des années 90, comme les polars crasseux, à la manière de double détente, Sale temps pour un flic, Justice sauvage, Héros, où les scènes d'actions étaient sèches et efficaces ( pour ne rien gâcher, il y avait du nichon et des civils qui se prenaient des balles perdues ).
Sinon, juste pour rigoler, il y a "Time and tide", où Tsui se fout de tous les codes de John Woo ( les pigeons qui brûlent, le "mon flingue tire, il ne parle pas" et autres )
Déjà, désolé si je m'exprime de façon un peu pompeuse sur le coup, J'ai fini hier mon mémoire de M1 alors bon... (quoi, on s'en fout?)
En fait, c'est ce que je disais plus haut. On peut aimer un film pour les raisons mêmes qui font que quelqu'un d'autre les déteste. Si tu n'aimes pas les scènes d'action chorégraphiées comme des ballets, alors t'es qu'un sale... Non, je déconne (si si, je te jure). Bref, s'il y a un élément récurrent des films de John Woo auquel tu n'adhères absolument pas, c'est normal que tu n'adhères pas à l'ensemble.
Pour moi, c'est le contraire. J'ai d'abord adhéré à ses films parce que je surkiffais la mise en scène des ses scènes d'action, leur rythme, leur énergie, leur ambiance d'apocalypse avec, au milieu, des personnages héroïques (pas humains, des figures emblématiques sans vrai passé ni futur) qui semblent immortels, intouchables qui au milieu de ce chaos, évoluent de façon stylisée, leur metteur en scène rentabilisant au maximum l'espace dans lequel ils évoluent pour nous offrir du grand spectacle.
A force de regarder ces scènes encore et encore (genre, dès que j'avais accès à la télé et quinze minutes devant moi), j'ai fini par être sensible à l'esthétique du montage de Woo qui renforce considérablement l'atmosphère de ses scènes ainsi que l'aura qui émane de ces personnages. Quand j'avais plus de temps, je me regardais les films en entier et c'est cette alternance de visionnage rapide et de visionnage intégral qui m'a permis de réaliser à quel point l'esthétique de l'action dans les films de Woo s'inscrit dans une esthétique d'ensemble, la fluidité du montage et la façon totalement cool d'évoluer dans le monde qui les entoure qu'ont ses personnages étant la même dans tout le film, gagnant en frénésie meurtrière dans les scènes d'action, pour un résultat dont je parle plus haut.
C'est à travers les films de John Woo que j'ai compris à quel point la cohérence du style était importante dans un film. Plutôt que de dire "on va filmer les scènes de dialogue de cette manière et les scènes d'action de telle autre", Woo envisage le film dans son ensemble et applique à chaque scène la même forme de mise en scène, dosée différemment. C'est ce que j'appelle de la maîtrise, et de la grande mise en scène (dont on peut même retrouver des éléments dans un film tel que Broken Arrow où, pourtant, Woo avoue lui-même avoir mis son style personnel de côté).
Passons maintenant à l'influence de Woo depuis l'éclosion de son style avec Le Syndicat du Crime. Pour ça, il faut voir le contexte. Durant la première moitié des années 80, le cinéma de Hong-Kong est pas vraiment super intéressant (à part un certain dynamisme dans l'action et le côté casse-cou des acteurs/cascadeurs). les producteurs (ces sacrés !) appliquent constamment les même formules. Et, la mode étant aux comédies vulgaires, on voit presque que ça sur les écrans. Woo s'y est lui-même essayé, je n'ai pas vu le résultat mais il paraît que c'est vraiment calamiteux. On trouve quelques films intéressants (les premiers Tsui Hark notamment comme Butterfly Murders ou Histoires de cannibales) mais noyés dans la médiocrité ambiante, ils n'arrivent pas à s'imposer.
De plus, on produit à Hong-Kong un cinéma renfermé sur lui-même, sur la culture chinoise. C'est là que Woo va jouer un rôle capital.
Le SYndicat du Crime nait de la rencontre entre Woo et Hark, de leur envie de faire un cinéma différent, moderne qui ferait exploser le système des studios HK. Hark produit et Woo est chargé d'écrire et de réaliser le film. Il va y mettre tout son coeur. Dans son film seront réunis les éléments fondamentaux de la culture orientale, le sens de l'honneur, du sacrifice, de la bravoure qu'on retrouve dans le Wu Xia Pan. Il en a fait au moins deux (après avoir été assistant réalisateur du grand Chang Cheh) : Hand Of Death avec Jackie Chan en début de carrière, premier film écrit, réalisé, monté et interprété par Woo et la Dernière Chevalerie, déjà un peu plus abouti dans lequel on trouve le sens de l'amitié ou plutôt de la fraternité, fondamental dans son oeuvre, qu'il a aussi tiré des films de sabre/chevalerie mais qu'il s'est approprié et auquel, dans Le SYndicat..., il a donné une autre dimension par sa connaissance du cinéma occidental, notamment de la nouvelle vague, notamment Jules et Jim de Truffaut. De ce côté, il faut aussi regarder du côté du génial Jean-Pierre Melville, dont The Killer est un remake du Samouraï.
Car à la différence de la majorité de ses confrères, la culture cinématographique de John Woo ne se limite pas aux productions locales. Comme Sergio Leone qui s'est imposé dans un style qui renvoie autant aux codes du westerns Hollywoodien qu'au néoréalisme italien de Fellini, Antonioni ou Visconti, John Woo s'est intéressé au cinéma du Monde entier pour en tirer les éléments fondamentaux de son style : la stylisation de la violence qui l'amplifie pour la dénoncer (Peckinpah), le sens de la chorégraphie inhérent aux comédies musicales (et qui implique une même stylisation de tout le film, une unité de mise en scène et de décors, les séquences chantées et dansées s'inscrivant dans un ensemble) (au passage, Woo voue un culte aux Parapluies de Cherbourg, de Jacques Demy, film que j'exècre. Voilà, c'était le "vraiment très intéressant" du jour), le sens esthétique de la mise en scène, du cadrage et du montage de Scorsese (qui fut à son tour influencé par Woo). J'en oublie sûrement.
Le tout donne un film axé sur des personnages aux codes moraux et au sens de l'amitié immuable, qui évoluent dans un monde de violence où la vie humaine ne vaut rien. Un monde désespérant dans lequel ils parviennent à survivre moralement de par les solides liens d'amitié/fraternité qui les unissent.
De par ce fait, ce film s'inscrit dans l'air du temps, dans un Hong-Kong dont les jours semblent comptés, la rétrocession de l'Angleterre à la Chine n'étant pas loin et chacun redoutant des flambées de violence avant et après cet événement majeur de l'histoire de la ville (peur qui ce qui se traduit au ciné post Syndicat du crime par des films pessimistes et ultraviolents, voir Ringo Lam).
Ce détail du film (que l'on retrouve dans The Killer [dialogue sur les collines qui dominent la ville] et A Toute Epreuve [première séquence]) peut passer inaperçu pour le spectateur occidental mais le côté international de l'esthétique de Woo, liée à des thèmes finalement universels font de ce film et des suivants de Woo la porte d'accès au marché international du cinéma de Hong Kong. Par exemple, le cinéma de Hark, s'il n'est pas moins riche, moderne et souvent couronné de succès au B.O. oriental, est plus difficile d'accès pour l'occident puisqu'il s'appuie essentiellement sur la culture et les légendes chinoises (Hark est un vietnamien fasciné par cette culture)
Le syndicat du crime de par son coté innovant, détonnant et pourtant chargé de thèmes et d'idées solidement ancrés dans l'inconscient collectif d'alors (le côté Nouvelle Vague, peut-être...), reprend les principaux thèmes du ciné HK en les renouvellant, leur apportant une sensibilité plus "européenne". Tout ça en fait un énorme succès, faisant de Chow Yun-fat (pourtant à l'origine un perso secondaire) une des plus grandes stars qui jouera avec les plus grands cinéastes du néopolar HK (Ringo Lam avec sa série des ... On Fire, Johnnie To, Tsui Hark qui peut enfin donner toute l'ampleur nécessaire à ses projets, créant ses propres studios, vivier de nouveaux talents [mais aussi de gros tâcherons, faut pas rêver]...) et dont le personnage de Mark Gor (ou Mark Lee, ça dépend) deviendra une icône culturelle, ce dont John Woo se moquera dans Just Heroes, film dont il est le co-réalisateur et dans lequel on voit un jeune gamin fasciné par la mafia HK qui récite par coeur les phrases de son héros.
Côté occident, l'esthétique de l'action signée Woo qui se développera avec le pur exercice de style visuel qu'est le Syndicat du Crime 2 (comme Broken Arrow, intéressant à regarder sous l'angle de l'évolution de sa carrière) et trouvera (à mon sens) son apogée avec The Killer, fait des émules. Mis à part les innombrables copieurs, on peut noter le cas de Quentin Tarantino (qui avoue dans les bonus de Dogs avoir eu sa période Mark Gor : allumette au coin de la bouche, lunettes noires et long imper) qui s'inspirera des codes de l'honneur et de l'amitié de Woo pour écrire Dogs et Pulp, Martin Scorsese, dont l'apogée de stylistique pure, Casino, doit autant à The Killer que ce que Le Syndicat du Crime doit à Mean Streets, Robert Rodriguez (voir topic Desperado) ou encore Michael Bay dont les premiers films sont clairement du sous-John Woo auquel il a lié une esthétique du clip (son premier métier.
Voilà, j'ai déjà fait très long donc je vais m'arrêter là mais si quelqu'un veut plus de détails sur un truc, y a qu'à demander.
EDIT : ah oui, concernant Time And Tide, je crois que, aujourd'hui, Hark lui même n'est pas très fier de cette mise en boîte (note : la colombe dans MI2 a été imposée par Cruise). En fait, quand il a fait Le Syndicat du Crime 3, il a voulu faire du John Woo et on le lui a reproché, voire on s'est foutu de sa gueule. De plus, Woo est le seul cinéaste HK (fuyant comme Hark et Lam l'hypothétique jugulation de liberté créatrice qu'aurait pu engendrer la rétrocession) à réussir à s'imposer à Hollywood. Aujourd'hui, Hark avoue a demi mot avoir voulu, dans T&T, ridiculiser ce qu'il n'a pas pu égaler. Non pas que Woo soit meilleur cinéaste que Hark, seulement ce dernier pensait dans Le Syndicat... 3 avoir trouvé un parfait équilibre entre son style et celui de Woo, ce qui n'est pas le cas, constat qui l'avait blessé en tant qu'artiste.
(mais contrairement à ce qu'on dit, Woo et Hark ne sont pas fâchés à vie)