Alcatel a écrit:
En réponse, l'année suivante, Griffith réalise "Intolérance", qui dénonce la haine humaine... et notamment celle des prêtres juifs envers Jesus de Nazareth...

Ca c'est normal de la part d'un pro-KKK comme Griffith. Le Ku Klux Klan n'est pas seulement raciste envers les Noirs, il est aussi violemment antisémite (et anticatholique). En plus d'avoir
"tué le Christ", les Juifs sont à la tête du complot visant à remplacer les Blancs par les Noirs (ZOG).
A noter que Griffith a fait
Intolérance parce qu'il s'estimait
victime de la haine des détracteurs de
Naissance d'une Nation !!
Cela dit,
Intolérance est un très grand film, infiniment moins nauséabond que
Naissance d'une Nation.
Birth of a Nation est certes la première fresque épique hollywoodienne, mais n'est pas le premier long-métrage de fiction moderne (Louis Feuillade avait déjà fait tout ce qu'a fait Griffith, et en mieux). C'est cependant Griffith qui a montré qu'on pouvait faire des films très longs sans les diviser en serial et sans lasser le spectateur. Marvel et DC Comics lui doivent tout.
Visionnaire sur le plan formel, le film est techniquement très bien construit pour l'époque, on ne peut pas dire. Les plans de batailles témoignent du gros budget dont a disposé Griffith et le montage est très novateur pour l'époque. On savoure la technique irréprochable de ce film, qui n'invente pas tout (contrairement à ce qu'affirment certains), mais qui contribue grandement à créer un langage cinématographique universel. C'est typiquement un film pour cinéphiles.
Maintenant, je dois dire qu'on a ri à de nombreuses reprises en le revoyant avec un ami cinéphile, tellement c'est fait avec de gros sabots. Tout d'abord, ce n'est pas un film de divertissement, soyons clair, c'est un pamphlet politique de 3 heures. La propagande passe toujours mieux si elle est enrobée dans le grand spectacle et les émotions, c'est tout. Griffith était certes un grand artiste, mais a fait le film parce qu'il avait des choses à dire, et s'il révolutionne le cinéma, c'est pour le mettre au service de son idéologie. Point. Et difficile, voire impossible, de faire abstraction des délires révisionnistes du vieux Griffith pendant le visionnage. Le film est un chef-d'œuvre uniquement parce qu'il date de 1915. S'il était sorti en même temps que
La Chute de Berlin, il cocherait toutes les cases du nanar.
Concernant l'aspect révisionniste délirant, Griffith nous explique que le Ku Klux Klan est une sorte de Fantastic League ou d'Avengers avant l'heure, créé vers 1872 en réaction à la
prise de pouvoir des Noirs dans les états du Sud (et aux Etats-Unis en général) et à la tyrannie que les "gens de couleur" avaient instauré, poussant l'ignominie jusqu'à autoriser les unions entre Blancs et Noirs, obligeant les pures jeunes filles blanches du Sud à se suicider pour échapper au déshonneur d'être touchées par des Noirs lubriques devenus tout puissants. Rappelons qu'en vrai, le Klan a été fondé dès le lendemain de la guerre civile, en décembre 1865, et était une organisation paramilitaire terroriste qui commit d'emblée des milliers d'assassinats et/ou de viols particulièrement atroces contre des Noirs et des abolitionnistes blancs, dans le seul but d'empêcher les Noirs d'aller voter et d'instaurer la ségrégation raciale de facto, et que les troupes fédérales étaient assez démunies face à cette terreur aveugle. La campagne du KKK a été tellement sanglante et efficace que le mouvement s'est progressivement dissout de lui-même durant les années 1870, victorieux. Les Noirs, tout juste libérés de l'esclavage, n'ont pas eu le temps de prendre part à la vie politique, et c'est pour eux que la "Reconstruction" du Sud fut une période de terreur, pas pour les bourgeois WASP rastons comme Griffith. Les Codes Noirs instaurés par les Blancs les contraignaient en outre à travailler pour leurs anciens maîtres, ceux qui tentaient de s'enfuir du Sud étaient traqués, et ils restèrent dans la misère.
Outre le racisme omniprésent, obsessionnel, avec ses Noirs joués par des Blancs grossièrement passés au cirage qui sont tous des violeurs, des pillards et des ivrognes (sauf le vieux couple de vieux esclaves fidèles, soumis et satisfaits de leur sort, la grosse mama et le vieux simplet, cliché que l'on retrouvera dans
Autant en emporte le vent) et qui obligent les anciens soldats nordistes et sudistes à s'unir dans, je cite les intertitres,
"la défense de leurs droits aryens fondamentaux" face à
"l'anarchie et au règne de terreur des nègres", le film est un long catalogue de clichés en tous genres : romantisme cucul, héroïsme de pacotille, humour d'un autre temps, manichéisme primaire avec méchants grimaçants et gentils avec un manche à balai dans le fondement, imagerie chevaleresque ultra-machiste, etc. Le plus navrant est de voir quelques véritables acteurs noirs participer à ça, au milieu de figurants maquillés comme dans
Le Chanteur de Jazz qui en font trois tonnes dans leurs rôles de sous-hommes simiesques et cruels. Sans oublier les mulâtres, sortes d'aberrations contre-nature, dotés de la fourberie du Noir et de l'intelligence du Blanc, ce qui les rend redoutables.
Ce n'est pas du tout subtil, le registre joue sur des émotions primaires, mais ça passait super bien aux yeux émerveillés du public de 1915, public acquis d'avance au discours haineux du film. C'est un long dégueulis de haine, que Griffith a le culot de présenter comme un film pacifiste, et qui n'a pour seul but que de stimuler les pires instincts des spectateurs. C'est un film fait dans le but de donner aux gens qui sortent de la salle de cinéma l'envie de tuer quelqu'un, de préférence un Noir ou un "socialiste" bien sûr. Toi aussi, deviens un super justicier masqué défenseur de la veuve et de l'orphelin aryens, comme les héros du film !
A voir pour le contexte dans lequel a été produit le film : le président démocrate Woodrow Wilson venait d'instaurer la ségrégation raciale au niveau fédéral (la ségrégation était officielle, institutionnalisée et reconnue par la Maison-Blanche dans les ex-états confédérés depuis 1896, elle s'étend désormais à tout le territoire américain), et
Birth of a Nation, initiative privée comme quasi toute la propagande américaine, était un blockbuster pro-Wilson, visant à pousser le président suprémaciste blanc et nostalgique de l'esclavage à aller beaucoup plus loin dans la ségrégation. La réunification entre Nord et Sud, entre Républicains et Démocrates, grâce à la ségrégation raciale est la véritable "naissance d'une nation" du titre. C'est glaçant.
Wilson a fait projeter le film dans la Maison-Blanche, a fait l'éloge du film et de son message (
"C'est comme de l'Histoire écrite en lettres de feu. Mon seul regret est que tout ce qu'il raconte est terriblement réel."), et le film de Griffith a ressuscité le Ku Klux Klan de ses cendres. Le KKK est aussitôt devenu une organisation officielle très en vue, comptant 20 millions de membres dans les années 20 (dont le futur président démocrate Harry Truman). Pour être dans le coup, il fallait être membre du club. L'organisation a alors déclenché une nouvelle vague de terreur, plus terrible encore que la précédente, avec le feu vert du gouvernement.
Birth of a Nation, officiellement
"le plus grand film de l'Histoire du cinéma", a directement engendré des milliers de morts aux Etats-Unis. Ne serait-ce que pour cet aspect, c'est un film historiquement important.
L'influence du film sur le cinéma de propagande des régimes totalitaires est évidente, que ce soit des films fascistes, nazis (
Le Juif Süss et
Le Président Kruger notamment) ou soviétiques (par exemple l'ultranationaliste
Alexandre Nevski ou encore... ben oui,
La Chute de Berlin doit tout à Griffith). Et surtout, son influence sur tout un pan du cinéma hollywoodien est énorme. Avec le carton du blockbuster de Griffith, les distributeurs et les producteurs ont pris conscience que le racisme était vendeur. Et se sont mis à produire tout plein de films nostalgiques du vieux Sud, reprenant les poncifs du film de Griffith pour nous expliquer que l'esclavage, ce n'était pas si terrible, et que les vrais racistes étaient les Nordistes :
Autant en emporte le vent, Je n'ai pas tué Lincoln, Mélodie du Sud, L'esclave libre... Des classiques et des bons films pour la plupart, qui sont à revoir sous le prisme de cette mode pro-sudiste dominante à Hollywood jusqu'au mouvement pour les droits civiques dans les années 60. 50 ans de stéréotypes hollywoodiens WASP sont nés avec ce film.
On prétend que l'Histoire est écrite par les vainqueurs, mais force est de constater que ce sont plutôt les vaincus de la guerre de Sécession qui l'ont raconté et imprimé dans l'imaginaire collectif.
A noter que c'est cette œuvre qui a aussi créé et popularisé le costume officiel des membres du Klan (le Klan original des années 1860 portait juste des cagoules lambda).