Bon, alors je vois que ça n'a pas plu à tout le monde. Donc quelques justifications.
1 - Effectivement pour la forme c'est un peu pauvre. J'ai écrit cette chronique en sortant du cinéma, donc ce n'est pas forcément ce que j'ai fait de plus structuré.
2 - J'insiste beaucoup sur la nanardise des acteurs. Fautes de photos, c'est difficile à prouver, mais au niveau du surjeu, c'est intense. On peut mettre ça sur le dos de la volonté de retrouver les gestuelles du XVIIème. Mais c'est un peu se dédouaner à peu de frais. Rohmer n'a jamais été un directeur d'acteur très sobre (c'est pas Bresson, quoi), mais ici, il livre une très belle performence dans le nawak.
3 - Sur le fond, on m'a attaqué car j'ai dit que (peut-être, mais justement ce serait intéressant d'avoir le retour d'autres personnes ayant vu le film, et c'est pour cela que j'ai mis une double notation) le dernier Rohmer était nanar. Déjà, premièrement, je suis pas tout à fait le seul à le penser. Dans Première, ils ont quand même mis : "plantade bucolique" en genre.
Deuxièmement, cela pose le rapport au cinéma d'auteur. Là-dessus j'aimerai dire que c'est un peu trop facile de penser que le nanar se limite aux post-apocalyptiques italiens. Evidemment, ces films sont absurdes au plus haut point, et contrairement au Rohmer, ne sont en rien rattrapables (raison pour laquelle ils sont rattrapés : dialectique nanarde). Mais il me semble qu'il y a une catégorie film intello nanar sur le site, et qu'elle n'est pas réservée à BHL et Bénazeraf.
Maintenant, revenons à ce qui nous concerne en particulier : les amours d'Astrée et Céladon. Rohmer a fait de grands films, c'est certain. Ma nuit chez Maud, l'amour l'après-midi, c'est magnifique. Aucun doute là-dessus. Simplement, là, je trouve qu'il a tenté quelque chose d'extrêmement dangereux : adapter un livre du XVII aux codes radicalement éloignés de nous. Toute la rhétorique néo-platonicienne du film est étrange pour les non-spécialistes, surtout quand on pense que ça vient de bergers. Mais surtout, ce qui crée le décalage, c'est ce triple niveau de réalité :
1 - la réalité du livre : extrêmement codifiée, raffinée
2 - la réalité du cadrage : assez travaillée (certains plans sont, il faut l'avouer intéressants picturalement), mais moche : décors extrêmement vides (on dirait vraiment qu'ils ont loué le premier château XVIIème qui leur passait sous la main, et ont oublié qu'à l'époque, c'était pas un vieux château tout vide, mais quelque chose d'assez luxueux), et surtout une lumière incroyablement plate. Donc, livre foisonnant, image pauvre.
3 - la réalité des acteurs : pratiquement tous dans un surjeu permanent, s'arrêtant au milieu de leurs phrases pour retrouver leur texte (faut dire qu'il y a beaucoup de mots à apprendre), qu'ils débitent soit avec dix fois trop d'intention, soit avec le ton de quelqu'un qui lit le bottin.
Le résultat de ces trois réalités sur une image, c'est l'aspect extrêmement brouillon du film. Et surtout, incroyablement kitch. Comme si Rohmer nous disait : oui, je sais c'est cucul, mais allons-y jusqu'au bout et amusons-nous. Sauf, que non, vraiment, il faut beaucoup d'indulgence pour trouver ça frais. Le début du film, notamment, possède une scène de bal, tellement mal jouée, tellement mal filmée (Rohmer et les scènes de danse, c'est toujours quelque chose : ceux qui ont vu le beau mariage auront une certain salopette jaune fluo en mémoire), et sans introduction sur le contexte galant, tellement absurde, que je me suis vraiment demandé 1 - si j'avais le droit de rire (mais on se retient, parce que c'est du ciné sérieux), 2 - si je devais me casser direct.
Le film reste constamment à un bon niveau de kitcherie, avec des pics lors de l'apparition du berger libertin, qui est tout bonnement incroyable.
En résumé, on a : des scènes de danse et de chant nanardes (il faut voir Astrée chantant des vers du XVIIème avec une voix star ac' sur fond de pâturages), des acteurs en surchauffe, des plans nichons (XVIIème oblige, mais un plan nichon est un plan nichon), un final terrassant comprenant un des travestis les moins crédibles que j'ai vu, et une image globalement moche. Si on ajoute à ça, le fait qu'on rie assez souvent malgré le film (le garde gaulois débile, le look nawak des druides, plus les éléments ci-dessus), et on a un film qui n'est dans l'ensemble pas terrible, et pour peu qu'on ait un minimum de mauvaise foi (car il en faut quand même un peu), peut tout à fait être considéré comme nanar.
Pour terminer : je crois qu'il faut faire attention à pas se laisser impressionner par les noms, et si le forum de nanarland peut aussi servir à désacraliser un peu le panthéon du cinéma d'auteur, pourquoi pas. J'en ai juste un peu marre qu'autant de gens cassent du sucre sur un film comme Steak, qui n'est certes pas complètement maîtrisé, mais possède une vraie originalité, une vraie ambiance et un côté décalé très intéressant et qui est considéré comme nanar parce qu'il y a Eric & Ramzy, alors que Rohmer, parce que c'est Rohmer, serait d'un coup exclu de tout jugement critique.
Il est évident qu'on va pas mettre tous les films intello ici, je trouve que là, on est en pleine mauvaise foi. J'ai vu qu'il y avait une chronique des fraises sauvages de Bergman, avec un topic qui avait bien déliré, mais là ce n'est pas du tout mon point de vue. Je dis simplement qu'on peut être un grand et se planter (de même, quand Godard met des indiens au milieu de Sarajevo pour symboliser l'universalité des génocides, on a un symbole d'une lourdeur et d'un crétinisme absolu, et ça ne lui fait pas honneur).
Voilà. Donc pour citer notre ami fan de Klaus Nomi, cette chronique est certes regrettable, mais plus j'y pense et plus je me dis que Astrée et Céladon est un film regrettable, et dont la nanardise grandira au fur et à mesure des ans, quand on aura pour Rohmer que cette admiration un peu vague qu'on porte aux grands réalisateurs dont on a oublié pourquoi ils étaient grands.
_________________ "But you say : Oh, when love is gone, where does it go ? And where do we go ?" (Arcade Fire - Afterlife)
Je n'aime pas Scorsese (c'est la raison pour laquelle je n'ai jamais vu aucun de ses films). (Elessar - sujet Le loup de wall street)
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