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Les Etats-Unis. La Guerre Froide.
The Atomic Café est un portrait à la fois effrayant et hilarant d'un pays devenu totalement paranoïaque, à travers un montage virtuose de documents d'archives mêlant actualités, archives gouvernementales, archives militaires.
Un pays qui, des abris anti-atomiques à la propagande gouvernementale, transforme ses citoyens, du plus petit au plus grand, en véritables paranoïaques, réfractaires à tout ce qui ne porte pas le label "made in USA!"
Kevin RAFFERTY, Jayne LOADER et Pierce RAFFERTY ont réalisé un véritable joyau d'humour noir, qui n'est pas sans rappeler Docteur FOLAMOUR de Stanley KUBRICK, et brossé un portrait au vitriol d'une Amérique de la Guerre Froide qui n'a jamais semblé autant d'actualité. UN CHEF-D'OEUVRE.
Ca, c'était pour le baratin promotionnel de la jaquette. Et c'est la pure vérité...
Atomic Café est un modèle de documentaire, qui prend dans un sens le contrepied des principes posés par Claude Lanzmann pour
Shoah. Ici, pas de témoignages ultérieurs et de mise en scène de l'enquêteur :
Atomic Café est entièrement constitué de documents d'époque, visuels ou sonores, dénués de tout commentaire, donnant ainsi une apparence de "neutralité" ; mais le travail - exceptionnel - de réalisation repose alors sur un montage phénoménal de ces archives toutes plus sidérantes les unes que les autres, qui fait bien d'
Atomic Café, non pas une simple compilation d'archives, aussi intéressantes soient-elles, mais un film à thèse remarquablement pertinent, une charge extraordinairement efficace, à la fois terrifiante et à mourir de rire.
Les soldats chargeant dans un champignon atomique (rien à craindre !), les abris anti-atomiques en bois, la paranoïa anti-rouges, la "nucléarose" omniprésente (taxis atomiques, cocktails atomiques, parfums atomiques, amours atomiques...), Nixon menant les enquêtes anti-communistes et "révélant" aux Américains terrifiés les moyens employés par les Rouges pour s'emparer du secret de l'arme atomique (des microfilms dans une pastèque creuse, peut-être ?), avant d'ouvrir avec le sourire la "
semaine de la santé mentale", priorité n° 1 du pays... et bien d'autres scènes encore, on ne s'en remet pas...
Pas plus que des invraisemblables et innombrables chansons de variétoche country / rock jouant sur ces thèmes, stupéfiantes de beauferie, de racisme et de haine à l'état pur.
Ou encore de ces "interviews" ahurissantes, celle de ce pasteur conseillant à ses fidèles de n'accepter aucun étranger dans leur abri anti-atomique, voire de tirer à vue ; celle de ce citoyen lambda expliquant avec le sourire que, si une bombe tombe sur Los Angeles, comme les trois-quarts des habitants seront morts, ça fera plus de nourriture pour les survivants ; celle, encore, de ce présentateur d'un documentaire de propagande anti-communiste concluant son film en remerciant les supermarchés qui ont permis de le produire, leurs beaux parkings et leurs jolies boutiques, représentant tout ce qui fait l'esprit de la civilisation capitaliste américaine en opposition au "
fascisme matérialiste rouge" dénoncé par un jeune curé, ardent défenseur du développement et de l'emploi de la bombe H...
Parallèlement, on est frappé par la manipulation des esprits, l'aveuglement généralisé, où l'on ne sait ce qui est le plus à craindre, de la "théorie du complot" ou de l'incompréhension du phénomène nucléaire, à base d'expérimentations consternantes d'apprentis sorciers au choix cyniques ou naïfs et de conseils de survie qui laissent pantois... DUCK AND COVER !
On rit jaune, ceci dit ; et, en nombre de passages, on ne rit plus du tout, ainsi avec l'effroyable récit de l'exécution de Julius et Ethel Rosenberg, l'étude "à froid" des effets de la bombe sur les populations d'Hiroshima et de Nagasaki... ou, dans un autre genre, cette scène stupéfiante issue d'un talk-show, où les intervenants acharnés à prôner l'emploi de la bombe en Corée et en Mandchourie apprennent en direct que les Russes disposent de la bombe à hydrogène...
Un documentaire exceptionnel, et un véritable chef-d'oeuvre, le mot n'est pas trop fort. Les archives collectées sont démentielles, et, de manière surprenante - et terrifiante - intemporelles : ce film réalisé au début des années 1980 à base de documents datant des années 1940 et 1950 est incroyablement pertinent aujourd'hui ; devant la paranoïa et l'aveuglement qui ressortent de ces archives, on ne peut s'empêcher de faire un lien avec certains délires de l'Amérique post-11-Septembre, où, tout autant qu'alors, la mise en scène de "l'Ennemi" omniprésent vient justifier tout et n'importe quoi ; et reste cet éternel conseil de la Tortue Burt : "DUCK AND COVER ! DUCK AND COVER !" Répété en boucle, le slogan parano semble ainsi justifier tant la politique de l'autruche que les protestations ambiguës de sécurité, comme s'il suffisait de se coucher sous une nappe pour survivre à l'inévitable (bien sûr...) assaut des Barbares... Cette scène mémorable illustre ainsi remarquablement la mise en place d'un cercle vicieux où l'angoisse et l'hostilité se renforcent sans cesse.
Rien à voir, du coup, avec un pamphlet bas du front (l'inévitable "anti-américanisme primaire"...), ou encore avec les films à la Michael Moore, où la charge se retrouve affaiblie par la manipulation protestant de son "objectivité" et l'ego démesuré du réalisateur-enquêteur croisé de la justice et de la vérité. Si
Atomic Café est bien une charge, et ne saurait prétendre être véritablement "objectif", l'effet produit sur le spectateur est tout autre, d'autant qu'il fonctionne à un double degré, avec la prise de conscience du montage venant biaiser les documents "neutres" (notamment dans les nombreuses scènes de transition, avec ces familles américaines on ne peut plus WASP et propres sur elles écoutant la radio ou regardant la télévision, une excellente idée de montage) ; à l'instar du très bon
Opération Lune de William Karel,
Atomic Café est ainsi un film sur la manipulation et reposant sur la manipulation. Autrement dit, un documentaire politique qui a le bon goût de ne pas prendre les spectateurs pour des cons.
Et tout à la fois une remarquable oeuvre cinématographique, à la réalisation virtuose et intelligente. Et un film effrayant et drôle comme le monde qu'il dépeint.
Je m'arrête là ; à voir à tout prix : chef-d'oeuvre, vous dis-je...
