UN SHERIF A NEW YORK

Titre original : Coogan's Bluff
Réalisateur : Don Siegel
Année : 1968
Pays : Etats-Unis
Genre : Un cowboy dans la ville (Catégorie : Crime et délit)
Durée : 1h33
Acteurs principaux : Clint Eastwood, Don Stroud, Lee J. Cobb, Susan Clark, Tisha Sterling, Betty Field, Tom Sully
Coogan, jeune shérif adjoint en Arizona, peu apprécié de sa hiérarchie pour ses méthodes brutales, est envoyé à New York afin de ramener un criminel, Ringerman, pour le juger dans son comté. Mais durant l'extradition, un guet-apens est tendu à Coogan et le prisonnier s'échappe. McElroy, le chef de la police de New York en tient Coogan pour responsable et lui retire l'affaire pour renvoyer en Arizona ce "paysan" qui refuse de se conformer à l'administration de la grande ville. Mais Coogan en fait à présent une affaire personnelle et est bien décidé à arrêter Ringerman coute que coute.

Le tournage du film n'a pas démarré dans les meilleures conditions. Si Clint Eastwood était d'emblée prévu pour en être la star et s'impliquait dans le tournage via sa propre société de production Malpaso, au départ, c'est Alex Segal qui devait le réaliser. Eastwood trouve le scénario de ce western moderne intéressant et collabore à son écriture avec Segal, mais les choix de ce dernier ne conviennent guère à Eastwood qui trouve le personnage envisagé par Segal terne et flou :
"Segal le voyait comme quelqu'un égarant continuellement sont portefeuille et se faisant rouler par tous les gens de la grande ville. J'ai pensé que cela avait été beaucoup fait par le passé par James Stewart et d'autres... Mais ce n'était pas parce qu'il n'était pas new-yorkais qu'il devait être balourd. J'en ai parlé autour de moi et des personnes on partagé mon opinion." Propos de Clint Eastwood extraits du livre de Christian Dureau, collection Stars de l'écran.Clint se met alors à la recherche d'un autre réalisateur. Après avoir envisagé Don Taylor, Eastwood porte finalement son choix sur Don Siegel. Ne se connaissant pas, chacun visionna les œuvres de l'autre et il furent tous deux convaincus. Don Siegel permit donc enfin au projet d'avancer :
"C'est un film qui est né du chaos, un film sur lequel ont travaillé successivement six ou sept écrivains, qui était prévu avec un autre producteur, un autre réalisateur... Il n'y avait que Clint Eastwood qui était engagé depuis longtemps, à qui l'on payait un salaire important, et qui attendait sans pouvoir rien faire. C'est alors qu'on m'a proposé d'intervenir et de reprendre à la fois la production et la mise en scène. Après, tout s'est déroulé facilement car je me suis très bien entendu avec Clint _ et l'entente entre le metteur en scène et la vedette est toujours une condition nécessaire pour la bonne marche d'une réalisation. Le film a très bien marché, a rapporté de l'argent et a eu de bonnes critiques." Extrait d'"Entretien avec Donald Siegel" par Guy Braucourt, La Revue du Cinéma.
Deuxième film américain où Eastwood tient la vedette et première collaboration de l'acteur avec le réalisateur Don Siegel donc. Le film ne possède pas l'ampleur ni la nervosité de "Dirty Harry", dont il est l'ancêtre direct, l'ébauche, le coup d'essai en quelque sorte. Il s'agit cependant d'un bon crue, une œuvre qui me tient personnellement à cœur. Le rythme parfois un peu lent est largement rattrapé par l'interprétation comme toujours grandiose d'Eastwood et par la mise en scène si reconnaissable de Siegel. Le film apparait comme une transition métaphorique de la carrière de Clint Eastwood, l'histoire commençant comme un western dans le désert Mojave et se poursuivant en polar urbain violent dans un New York poisseux préfigurant le chef-d’œuvre que sera "Dirty Harry".

Esthétiquement très beau et très marqué par son époque (ce qui à mon sens est une qualité), "Coogan's Bluff" offre une belle galerie de personnages, met très bien en valeur ses décors, qu'il s'agisse du désert ou des buildings, et possède quelques excellentes scènes. Comme par exemple la poursuite finale à motos entre Clint Eastwood et Don Stroud (manifestement accomplie par les acteurs eux-même, comme le prouvent plusieurs gros plans), la scène très psychédélique de la boite de nuit "underground" (scène rassemblant vingt-cinq figurants et quatre-cent hippies sur le vaste plateau 28 de l'Universal) ou encore la baston de bar particulièrement violente au cour de laquelle Coogan, qui n'a pas d'arme, massacre littéralement les sbires à coups de queue de billard, faisant preuve d'une brutalité à la limite du pur sadisme pour trouver la trace de son ennemi... et pour sauver sa propre peau.


Car Coogan est un héros ambigu à souhait, et contrairement aux dires de certains critiques, le ton ne me semble pas si manichéen. Il y a du pour et du contre dans ce héros macho, borné, réactionnaire et violent qui n'a aucun scrupule à laisser en plan l'assistante sociale jouée par Susan Clark, avec qui il a entamé une relation amoureuse, pour aller coucher avec la copine de Ringerman afin que celle-ci le conduise à son petit-ami. Mais Coogan est aussi un authentique écolo. En effet, on a affaire à un être plus intelligent et sensible qu'il n'y parait, une sorte de coureur des bois des temps modernes qui apprend à connaître les criminels qu'il pourchasse en les suivant à la trace, comme un chasseur suivant la piste des animaux. Cet homme habitué à vivre avec la nature et ses lois se trouve donc un peu perdu dans la jungle urbaine, où tout le monde lui fait bien comprendre qu'il n'est qu'un plouc, et apparait peiné en contemplant les buildings qui ont fait disparaître l'ancien monde au profit d'un urbanisme démesuré. Un homme qui refuse la pitié, synonyme pour lui de vulnérabilité, mais qui va opérer une évolution pour ne plus traiter ses prisonniers comme des bêtes mais comme ses semblables.

Don Stroud est parfait en adversaire de Coogan et donne une certaine épaisseur à son personnage, là où Andy Robinson était un méchant qui manquait un peu de nuance, à mon humble avis. Lee J. Cobb est quant à lui impeccable en chef de la police procédurier et grincheux. Le spectateur attentif aura le plaisir de retrouver furtivement Albert Popwell, acteur afro-américain ressemblant bigrement à Fred Williamson, qui jouera plus tard dans quatre "Dirty Harry", à chaque fois dans des rôles différents (c'est lui qui joue le braqueur braqué par Harry dans le premier et Mustapha dans le trois).

Bien qu'il ne s'agisse que d'une œuvre mineure dans les carrières d'Eastwood et de Siegel, "Un shérif à New York" mérite d'être vu. En lui pardonnant son manque d'ambition et de rythme, on pourra donc savourer un excellent petit polar, souvent assez dur, avec de beaux décors, de belles couleurs granulées, une belle musique (signée Lalo Schiffrin, qui signe d'ailleurs le tube "Pigeon-Toed Orange Peel à l'occasion de la scène de la boite de nuit psychédélique) et de beaux numéros d'acteurs. Eastwood en tête dans un rôle énygmatique que son charisme et son talent uniques arrivent sans peine à rendre sublime. On écoutera également avec plaisir la version française car on y retrouve la fine fleur des doubleurs de cette époque. A noter que, comme pour "Sierra Torride", Clint Eastwood est doublé par l'immense Jacques Thébault, doubleur quasi-attitré de Steve McQueen et de Patrick McGoohan. Les dialogues sont également excellents, surtout lorsque le film donne dans l'humour noir.

Film à budget relativement modeste, "Coogan's Bluff" fut un joli succès à l'époque, au point de faire l'objet d'un remake télévisé avec Dennis Weaver, téléfilm qui a donné naissance à une série de quarante-trois épisodes intitulée "Mc Cloud".
