La Comtesse Hachisch

Réalisateur : inconnu
Acteurs : inconnus
Année : 1935 (?)
Genre : Pétard mouillé (catégorie Crimes et Délits)
«
Ah il est beau mon bateau ! Un brick-goélette ! Il a fière allure ! Vous savez ce qui serait génial ? Ce serait de faire un film autour de lui, qui le montrerait sous tous les angles à la France entière ! Ouais, c’est une super idée ça. Maintenant, reste plus qu’à trouver un scénario. Faudrait une histoire qui mette en avant les qualités du marin pour édifier les jeunes : le courage, la loyauté l’humilité face aux éléments, la sobriété... Oui, surtout la sobriété, très important chez un marin, ça ! Mais de nos jours l’alcool, ça fait plus peur à personne, avec toutes les saloperies qui circulent... Tiens justement ! Je vais faire un film sur cette nouvelle saleté là... Le hachisch. Très bien ça, le hachisch. Bon, maintenant, comment je vais l’appeler mon film ? »
Le brick-goélette Lili, l’autre vedette du film.
Ainsi, peut-être (ou peut-être pas), est né
La Comtesse Hachisch aux alentours de l’année 1935. On sait extrêmement peu de choses sur ce film retrouvé au fin fond des caves de la Cinémathèque Française en 1993. Aucun générique, aucun nom de réalisateur, aucune date, aucun acteur reconnaissable, tout juste ce titre inscrit sur les boîtes des bobines et quelques décors identifiables (le port de Nice, le Fort Carré et la Porte Marine d’Antibes). Projeté pour la première fois en public lors de la deuxième Nuit Excentrique du 18 février 2006, il a laissé la salle bouche bée par ses nombreux moments de flottement nanars, atteignant des niveaux d’absurdité rarement vus ailleurs.
Et il en est fier en plus !
La Comtesse Hachisch nous propose de suivre les aventures du fier Capitaine Mario, commandant du brick-goélette « Lili ». On apprend très vite qu’il est surnommé « Capitaine Droit-Devant », sans doute à cause de son étrange manie de ne jamais regarder ses interlocuteurs en face (une constante dans le film). Le Capitaine Mario (dit « Droit-Devant »), son équipage et son épouse reviennent d’une destination non précisée après un voyage mouvementé, durant lequel ils ont été attaqué par un (stockshot d’)avion sans raison explicite. Touchant enfin au port, ils décident d’aller arroser ça joyeusement au bar « Le Retour du Cap Horn ». Las ! Au milieu des joyeux fêtards, se sont glissés une snobinarde que le Capitaine Mario enverra paître d'une réplique cinglante ("
Quoi, tu traites le cap'taine Mario Droit-Devant et son honorable compagnie de déguisés ? Carnaval toi-même!.") et également de redoutables trafiquants de drogue, venus jauger le Capitaine.

Le Capitaine Mario regarde toujours "Droit-Devant"
Car déjà, dans l’ombre, la corruption étend ses griffes pour faire tomber l’intègre capitaine Mario (dit « Droit-Devant ») dans les filets poisseux de sa toile inextricable. Elle s'incarne dans la personne de la Comtesse Hachisch, baptisée ainsi en raison de son implication dans le trafic de cette substance.
La Comtesse Hachisch et le Capitaine Droit-Devant jouent à celui qui a le surnom le plus cool.
L’équipage du Lili est l’une des grandes énigmes du film. Outre qu’ils sont quatre pour manœuvrer un navire plutôt imposant, leur attitude envers le Capitaine Mario (dit « Droit-Devant ») ne cesse de varier sans qu’on sache pourquoi. Dans la première scène, les marins semblent au bord de la mutinerie et l’un d’eux affirme même à la femme du capitaine qu’ils ne restent à bord qu’à cause de sa gentillesse. Un peu plus tard lorsque Mario les invitera à boire un verre, au contraire l’équipage semblera adorer son commandant, qui de toutes façons a forcément gagné quelque part son surnom plutôt positif. On finit par se dire qu'un type aussi fort que le Capitaine Mario (dit « Droit-Devant ») n'a de toute façon besoin de personne pour naviguer et que ses marins ne sont là que pour remplir les quotas. Cet équipage est en effet composé d'un Noir (nommé Bamboula), d'un Chinois, d'un Arabe (appelé Mohammed) et d'un vieux à barbe blanche. Assez peu présents dans le film, la seule scène qui leur est consacrée nous les montre comme une accumulation de tous les clichés racistes de l'époque, incarnés, de surcroît, par des acteurs rien moins que bons.


In the Navy !
Come on and join your fellow men !
In the Navy !
Si le réalisateur ne perd pas une occasion de nous montrer le Lili sous tous ses angles ou de dénoncer les méfaits de la « mariajuana », la star incontestée du film demeure l’incroyable Capitaine Mario (dit « Droit-Devant »). Son accent indéfinissable, son mauvais jeu d'acteur et sa manie de sortir des réflexions totalement à côté de la plaque aux moments les plus incongrus en font une attraction permanente qui ne cesse de prendre le spectateur par surprise. Dans l’un des exemples les plus frappants, on le voit qui s’approche d’une porte-fenêtre. Il la regarde intensément avant d’annoncer d’un ton sentencieux : «
Tiens ! Cette porte est ouverte... » car, effectivement, la porte est ouverte. On ne peut rien lui cacher, au Capitaine Mario (dit « Droit-Devant »).
Le Capitaine Mario (dit « Droit-Devant ») dans toute sa splendeur. Ca ne se voit pas sur les caps, mais il a une énorme tache de graisse sur le plastron qu'il trimballe pendant tout le film en faisant semblant de ne pas s'en apercevoir...
Croyez-le ou non, mais cette porte est ouverte !
En bon film d’aventure,
La Comtesse Hachisch compte également sa part de scènes d’action. Pour être exact, il y en a deux. La première met en scène deux douaniers à la poursuite de la Comtesse elle-même. Impossible de savoir comment ils s’y sont pris, mais ils ont choisi les douaniers les plus arthritiques du monde. Se tenant aux murs comme s’ils allaient s’écrouler, l’un d’entre eux trouve tout de même le moyen de trébucher dans un escalier, et comme il n’y a, semble-t-il, jamais eu plus d’une prise par scène, la chute a été gardée dans le montage final. La deuxième scène nous montre le passé d’aventurier du Capitaine Mario (dit « Droit-Devant ») à l’époque où il trafiquait dans la Mer Rouge et se prenait pour Henri de Monfreid. On assiste pour l’occasion à une démonstration du talent de l’accessoiriste du film, puisque celui-ci a reconstitué une authentique mitrailleuse Hotchkiss (à l’époque très utilisée dans les armées coloniales) en carton et papier mâché, avec tous les détails et jusqu’aux chargeurs à munitions. On n’y croit pas une seconde, mais la quantité de travail qui a dû être fournie force le respect, même (surtout ?) pour un résultat aussi nanar.
La fameuse mitrailleuse. Elle ferait presque illusion s'ils n'avaient pas AUSSI oublié les bruitages...
La Comtesse Hachisch toutefois, c’est, avant tout, un film didactique destiné à éduquer la jeunesse sur les dangers de « Mariajuana, la cigarette de la mort » ! La Comtesse respire naturellement le stupre et la luxure et même l’intègre, l’honnête Capitaine Droit-Devant succombera au pouvoir de la drogue après seulement... trois bouffées. Lors d’une scène mémorable, on verra Mario consulter un dictionnaire pour se renseigner sur le hachisch. Il l’ouvre à une page au hasard, fait semblant de chercher... puis revient à la première page, parce que finalement c’était la bonne. On apprend aussi, et surtout, que le hachisch est une drogue extrêmement dangereuse qui peut vous envoyer en prison, « au cabanon », et même jusqu’à la mort. Vous avez compris les enfants, faut pas y toucher à cette saloperie ! La drogue, c’est de la merde ! C’est le Capitaine Droit-Devant qui le dit, avec son accent amusant.
Droit-Devant tire sur le oinj
La drogue peut rendre fou !
Le Capitaine Mario regarde la jeunesse de France droit dans les yeux et la met en garde : "La Drogue, c'est de la merde !"
Tous les dessous du trafic nous sont également montrés. On verra en particulier le Capitaine Mario partir pour la Grèce pour se faire remettre un chargement de hachisch, l’occasion d’étudier les méthodes des trafiquants. Elles consistent à cacher la drogue dans des blocs de cire creux, pas du tout suspects. La présentation de la Grèce où Le Lili vient s'approvisionner pour le compte des trafiquants est d’ailleurs un autre grand moment. Droit-Devant commence par annoncer «
Les Îles Cyclades à Tribord... Voila la Grèce ! » avant de débarquer dans un port on ne peut plus français, avec des panneaux écrits en alphabet latin...
Tous les secrets des trafiquants révélés !
A un autre moment, les trafiquants trimballent une caisse de drogue et passent les contrôles du port. La scène en elle-même est on ne peut plus classique, mais il faut voir comment c’est joué... Les trafiquants tentent d’abord de faire rentrer à tout prix la caisse dans un coffre de voiture *beaucoup* trop petit. Ils font trois tentatives avant de renoncer et de l’attacher simplement, sans qu’on sache bien si c’est volontaire ou non. Ensuite, c’est un détail mais lors du passage de la douane, le chef du poste se plante dans sa réplique et la recommence, le tout intégralement gardé au montage !
Enfin, tant qu’on est dans les douaniers, il faut mentionner leurs techniques de Sioux pour alpaguer les fraudeurs :
"
Ohé du bateau ! Vous avez des marchandises de contrebande ?
-Non
-C’est bon, vous pouvez passer !"
Ne laissant rien au hasard, ils demanderont aussi à un type «
Et ça, ce sont des caisses ? » en désignant des cubes de bois à base de planches et de clous qui auraient pu tout à fait, il est vrai, être des cornets à piston.
Droit-devant préparerait un coup tordu que ça m'étonnerait pas...
Le clou du film toutefois demeure la poursuite finale entre le Lili et des stockshots de bateaux des douanes. Tandis que Mario discute dans sa cabine avec la Comtesse Hachisch qui est restée au port (cherchez pas), sa femme intercepte un message radio ordonnant à tous les douaniers d'arraisonner le Lili. En apprenant ça, Mario pète un câble et hisse... le pavillon noir des pirates !
La Comtesse Hachisch prend tous les risques pour recruter le Capitaine Droit-Devant.
Alors qu'on s'attend presque à voir Mario s'emparer d'un sabre d'abordage pour aller montrer aux douaniers qui c'est qu'on surnomme "Droit-Devant", l'équipage se mutine et demande à ce que le Capitaine arrête ses conneries et accepte de se rendre aux douaniers. La suite est assez confuse (d'autant que la post-synchronisation elle-aussi se mutine), on ne comprend pas bien si Mario se jette à la mer ou si c'est l'équipage qui le pousse. Dans tous les cas, Le Capitaine Droit-Devant connaît une fin tragique dans les eaux de la Méditerranée.
Un marin désigne un stockshot au Capitaine Mario.
La fin d'un titan.
Même inachevé (le film a bien un début, un milieu et une fin, mais il est clair qu’il manque plusieurs scènes de raccord),
La Comtesse Hachisch demeure un exemple rare de « vieux » nanar, datant des années 1930 mais affichant tous les raffinements modernes. Contemporain de
Reefer Madness (peut-être même s'en est-il inspiré ?) et précurseur de
Blood Freak par sa thématique (et sa nanardise), il nous permet surtout de découvrir l’incroyable Capitaine Mario, sa manie de ne jamais regarder en face les gens à qui il parle et ses répliques proprement inoubliables. Un grand coup de chapeau à la Cinémathèque Française pour avoir exhumé ce trésor, et pour avoir osé le projeter à une heure de grande écoute.
Note : 3,5
Cote de rareté : 7 (jamais sorti)
La Cinémathèque est détentrice de la seule copie connue du film. Si vous avez loupé la Nuit Excentrique, il ne reste plus qu'à espérer qu'ils la rediffuse.
Annexe 1 : Présentation du film par la Cinémathèque
Citer:
Comtesse Hachisch . Réalisateur inconnu. France/circa 1935/61’/35mm. Avec des comédiens inconnus.
Le capitaine Mario, dit « droit devant », tombe sous l’emprise de la Comtesse Hachisch qui le convainc de transporter de la drogue dans son bateau.
« Il est possible de supposer que (ce film) est l’œuvre d’un Ed Wood français, avec la même sensation de bricolage désespéré dans la facture, et de sottise abyssale dans les contenus. » (Philippe Arnaud).
Copie sauvegardée par la Cinémathèque française en 1993.
Annexe 2 : spéculations diverses, ce qu’on sait du film.
-Certains lieux ont pu être identifiés. Outre ceux déjà cités dans la chronique, une scène du film pourrait avoir été tournée à Théoule sur Mer et on aperçoit la rade de Villefranche.
-Les acteurs semblent tous professionnels, à l’exception du Capitaine Mario qui joue vraiment plus mal que les autres. Il n'est pas impossible que le type qui le joue ait décroché le rôle pour d'autres raisons que son seul talent (financier du film ?).
-Le film a été tourné en décors naturels, chose rare dans les années 1930 car les équipements d’alors avaient beaucoup de mal avec la lumière naturelle. Cela suggère une production dotée de faibles moyen, mais aussi une incontestable maîtrise technique, la photographie demeurant irréprochable tout au long du film. Par ailleurs aucun studio de Nice n’a servi à un film qui pourrait être La Comtesse Hachisch entre 1931 et 1939.
-Lors d’une scène où on aperçoit furtivement un clap sur lequel il y aurait écrit « Algeria » (?).[/i]
Annexe 3 : Jaquettes alternatives
By Jeanjean

By Niko13

By Rick Zaratustra

By Zord
By Al1

By John Matrix
By ROTOR