Tu poses une vraie question avec ce topic. La question de la violence au cinéma, et de l'influence étrange qu'elle peut avoir sur certains esprits qui n'ont pas encore les facultés critiques pour distinguer les codes et les repères de la représentation cinématographique, est essentielle. C'est même un problème public, qui avait donné lieu à un rapport affligeant dirigé par Blandine Kriegel, et régulièrement la question de la violence à la télé (le lieu où les représentations cinématographiques de la violence sont les plus accessibles, surtout aux plus jeunes) fait les une des journaux. À mon avis, tant qu'il y a réflexion —et remise en question— au sein de la mise en scène même du film— du problème de la représentation de la violence, le film non seulement fait réflechir le spectateur sur son rapport voyeuriste à la violence, mais lui permet de comprendre la distance entre représentation et réalité. C'est évident que cette remise en question ne fait pas partie de la mise en scène de Tarantino (ce qui ne lui enlève aucune once de talent), puisqu'au contraire, c'est une réappropriation des codes "classiques" de la violence qui constitue, entre autres, son cinéma.
Je n'ai pas revu Funny Games depuis sa sortie. Cela dit, même si mon souvenir est plus éloigné que la vision que tu en as faite sans doute plus récemment (et j'admets donc les éventuels reproches que l'on pourra faire à la critique qui va suivre), je ne suis pas d'accord entièrement avec les conclusions que tu en tires. Non que tu aies tort, mais disons que tu mets de côté la part à mon sens un peu trop démonstrative de la mise en scène. En effet, les personnages de Funny Games sont plus des archétypes théoriques que de véritables personnalités/incarnations physiques: les bourreaux restent des bourreaux, les victimes des victimes et, comble de la démonstration, le bourreau maîtrise le temps, le scénario et la mise en scène du film (la télécommande...). En dénonçant la mise en scène habituelle de la violence au cinéma, il utilise d'une certaine façon les mêmes arguments à l'envers: tandis que dans une approche hollywoodienne classique, la victime finit par l'emporter, dans la mise en scène de Funny Games, c'est l'inverse; mais dans les deux cas, la réalisation impose et suggère qui va gagner, dès le départ. Selon moi, les arguments gardent le même simplisme. Tout en voulant que le spectateur s'interroge à son rapport à la représentation de la violence, Haneke impose les réponses: il n'y a pas de place au doute, à l'ambiguïté mais il a tendance à nous "imposer" sa vision, sans au contraire nous faire douter sur le sens de la violence; or, à mon avis, le fait d'instiller le questionnement, le doute, chez le spectateur, est bien plus fort et intéressant d'un simple point de vue de mise en scène. Certes Haneke interroge le rapport voyeuriste à la violence cinématgraphique, mais ne va pas assez loin en ne rmettant pas en cause les codes de la représentation de la violence (ce qu'il fait ailleurs, cf
infra)
Cela dit, je ne considère pas Funny Games comme un mauvais film, et j'en garde un bon souvenir.. Pas parce que le film m'a réjoui (je ne suis pas pervers
), mais parce que j'ai apprécié la maîtrise et le talent du cinéaste, tout en conservant des critiques sur ses choix esthétiques. Donc, je ne proposerais donc pas Funny Gapmes comme un film pour interroger le spectateur sur la représentation de la violence. À l'inverse, je considère Benny's video du même Haneke autrement plus glaçant sur ledit sujet: le film est centré sur un plan de dix minutes sur une télévision filmant un cadre vide; il ne se passe rien dans l'image, mais tout se joue dans la bande son, où l'on entend les cris de douleur de la victime et les paroles du "bourreau" qui cherche à l'achever: ce qui permet de comprendre que l'image ment, mais que le son dit la vérité. Le scénario raconte l'histoire d'un ado (Arno Frisch, qui jouera aussi dans Funny Games) fasciné par la représentation de la violence et qui finira inconsciemment par passer à l'acte (je ne raconte pas la suite mais je fais un léger spoil:il aura ensuite des "complices" qui l'aideront à faire disparaître les traces de son crime).
Dans les deux cas, cependant, il y a un côté "intello" dans la mise en scène qui risque de rebuter des adolescents put-être plus habitués à des divertissements faciles qu'à des approches plus réflexives du cinéma... Je suis de ce point de vue d'accord avec Drélium, ça pourrait les faire chier plus que les faire réfléchir.
Or, si j'ai bien compris, ton but est de les faire réfléchir sur la représentation de la violence au cinéma: étant donné que, sans doute, ils ont une plus grande habitude des représentations hollywoodiennes de la violence, je me permets de te proposer de commencer par "Impitoyable", qui conserve un abord très accessible, pour tenter ensuite un débat, ou même juste un embryon de discussion, avec le public, sur le sens du mythe de la violence de l'Ouest, et des Etats Unis en général (mythe glorifié par le cinéma), que Eastwood remet en question: la violence est aussi l'outil de la loi, mais n'a jamais le côté héroïque et romanesque que le "mythe" lui a attribué. Ensuite tu pourrais alors enchaîner avec une autre remise en question du "mythe" américano hollywoodien de la violence qu'est le récent "History of Violence' de Cronenberg. Cela devrait pousser les spectateurs à une remise en question des codes "culturels" de la violence, codes dominants dans le cinéma américain, que tes élèves connaissent sans doute plus que d'autres cinémas. Et cela permettrait d'enchaîner avec des remises en cause européennes de la représentation de la violence, que sont entre autres les films de Haneke. Ou des représentations américaines tout aussi "intello": je pense alors à elephant de Gus Van Sant. Et si tu veux vraiment les dégoûter: conclure en horreur avec le Salò de Pasolini (qui est le film le plus vomitif et le plus intelligent que j'aie jamais eu l'occasion de voir).
Enfin, je voudrais avouer que je suis très dubitatif sur le rapport entre la violence représentée et ses éventuelles influences sur les spectateurs. Quand j'ai vu Orange mécanique pour la première fois, j'avais seize ans et pourtant j'avais compris le sens du film, sans complaisance vis-à-vis de la violence, et qui affirmait: il est préférable de laisser à un être humain tenté par le mal son libre arbitre que de l'inciter à faire le bien contre sa volonté. Or, il a pourtant incité lors de sa sortie quelques déséquilibrés à imiter les actes de violence représentés: preuve que la fascination pour la représentation de la violence est suffisamment forte pour que le sens profond de ladite représentation puisse être évacué par certains.
Pour que mon post soit bien clair: je te donne un point de vue, en aucun cas des conseils. Je ne fais que donner mon avis, sans doute critiquable, et certainement influencé par ma brève expérience d'animateur de ciné club dans mon lycée (d'où ma suggestion du débat). J'ai mis "intello" entre parenthèse pour désigner certaines oeuvres parce que, même si j'apprécie beaucoup les films cités, ils sont à mon humble avis bien moins accessibles que les films hollywoodiens, tout aussi intelligents-intellectuels mais bien moins exigeants dans leur rapport au spectateur...