Et on recommence autant de fois qu’on veut.
Mais la question est alors : dans quel but ?
C’est là que vont s’affirmer les différences entre Schwarzenegger et Tom Platz, où l’on verra pourquoi l’un est devenu gouverneur quand l’autre est devenu docteur en diététique. On va voir que pour Platz, la musculation est une fin en soi. C’est une approche introcentrée. Pour Schwarzie au contraire, le body-building n’est qu’une étape dans sa soif de conquête. Il a une approche exocentrée du culturisme.
Pour Platz comme pour Schwarzenegger, le bodybuilding est une histoire de conquête et de philosophie : « Je crois fermement dans la philosophie occidentale qui consiste à conquérir, à réussir, à être toujours plus haut dans les disciplines qu'on a choisies. » (Arnold), et « J'ai toujours senti le besoin d'un plus. » (Tom Platz). Mais si on verra que la conquête de Schwarzenegger est une suite d’objectifs de plus en plus ambitieux à atteindre, la quête est pour Platz, intérieure. Ce dernier « lit de la philosophie tout les soirs », parce « que c’est intéressant, ça éclaircit l’esprit ». Mais Platz ne suit pas pour autant les chemins tout tracés de la dialectique, mais creuse son propre sillon : « Je considère le culturisme comme une véritable philosophie. » En claquettes sur la plage, répétant et méditant ses poses, il se pose les questions essentielles : "pourquoi j'existe, où vais-je..." Il vise à "s’écarter des banalités quotidiennes".
On pourrait plaquer un schème Heideggerien sur cette réflexion : se détournant de ce que Heidegger appelle le « bavardage », cette langue du commun qui ne permet de parler que du vulgaire, Platz cherche à résoudre les questions aussi essentielles que celles de l’être de l’étant. Bien sûr Heidegger avait posé cette dernière question comme étant la plus essentielle de toute, tout en étant celle qu’on ne peut poser. Le philosophe Allemand avait essayer de contourner cette difficulté par la contrition de la grammaire. Il faut un langage inouï pour dire des choses inouïes. Mais Platz a instinctivement compris que cette tentative ne devait déboucher que sur un échec, et que ce que l’on ne peut exprimer par les mots, on le pourra par le muscle.
Tom Platz n’a sans doute en vérité jamais lu Heidegger (mais n’est-ce pas remarquable de dépasser un maître sans le savoir), et se réfère plus volontiers à Jonathan Livingstone le goëland :
« J'ai toujours senti le besoin d'un plus. Je compare ça à la recherche qui anime un goéland. Ce goéland, Jonathan, voulait faire quelque chose de différent, s'écarter des banalités quotidiennes de la vie et ça le poussait très loin. Il n'avait qu'une idée, c'était de faire quelque chose d'exceptionnel d'artistique. Et pas seulement dans le but de donner libre cours à ses capacités artistiques, mais surtout dans le but d'élargir sa connaissance du monde. Pour moi c'est la même quête qui me pousse vers la culture physique d'où mon goût si développé pour le sport. »
Tom prend son envol
Platz assigne deux rôles essentiels au culturisme : l’expression artistique et la connaissance du monde. Les deux sont liés par le qualificatif de « quelque chose d’exceptionnel ». En effet, la plupart d’entre nous cherchons à réaliser ces buts par la création d’objets. Le scientifique va produire des dispositifs expérimentaux qu’il pourra manipuler. L’artiste créera des objets (peinture, sculpture…) Mais le bodybuilder, lui, crée une autre interaction. C’est par le travail sur son corps qu’il atteint au rang d’artiste et de savant. Sa recherche porte sur lui-même. Ce que dit Platz est en un sens gonflé : connaître le monde = connaître son corps. Mais poussons la comparaison avec le goéland : Jonathan, par ses voyages, voit, réfléchit et par là, apprend. Sa vie est son œuvre d’art. Platz, lui, essaie toutes choses sur son corps (notamment, vraisemblablement des anabolisants ou du Jim Beam, comme Schwarzy) : il en fait son objet d’études, et devient ainsi le monde à connaître. C’est là qu’on voit toute l’introspection (étymologiquement : le regard tourné vers l’intérieur), et pour oser le néologisme, l’introcentrisme de Tom Platz : en se concentrant sur lui-même, il devient un monde entier à découvrir. L’individu devient cosmos. Pour parachever cette recherche, il faut se parachever, raison pour laquelle il faut aller au-delà de ce qu’on peut donner : « Je donnerai tout ce que j'ai dans un engagement total pour y parvenir parce que je veux faire ça au mieux de mes capacités. Peut-être au delà, j'espère. Et... c'est de ça qu'il s'agit demain soir sur scène. Le jour J est là et je veux montrer ce que j'ai fait. »
Tom, en pleine introspection
D’ailleurs, Platz se fiche un peu de ce que les autres peuvent penser de lui, car il n’agit que pour lui-même : « C'est très dur. Ca ne se fait pas comme ça. Vous savez, Faut se battre. C'est clair, faut s'engager, mettre tout son corps,.... et toute sa personnalité dans l'entraînement et ce soir, même si on ne gagne pas, c'est suffisant. Je suis au mieux de ma forme . »
"Du pain, du vin et du fromage, tout de suite !"
Schwarzenegger, lui n’est pas dans cette optique. Il ne fait pas de musculation pour lui mais pour les autres. Le regard de l’autre est une thématique forte puisqu’elle revient par deux fois, de façon apparemment contradictoire :
Premièrement, Arnold se plaint de la première phase de la compétition : « Cette fois-ci je n'étais vraiment pas décontracté. J'ai l'impression d'être une bête rare, peut-être à cause du cinéma. Des gens me regardaient en maillot de bain et la véritable nature ne me prédispose pas à l'exhibitionnisme. C'est le moins que je puisse dire. Et en fait sur ces planches, c'est vous-même qu'on voit. C'est votre personne qu'on juge. Vous savez que vous allez être comparé à tout ces mecs si différents, et c'est ce que je n'aime plus du tout. »
Deuxièmement Arnold se réjouit du regard du public : « « J'ai toujours aimé me montrer à un grand public. C'est un grand plaisir et ça m'électrise de voir que les gens apprécient ce que vous faites. »
Arnold met le paquet pour impressioner le juge
Mais la contradiction n’est qu’apparente. Contrairement à Platz qui se donne tout entier, Arnold est quelqu’un qui prend. Se montrer en moule burne, d’accord, mais n’allez pas le comparer aux autres. Arnold se pose directement face au public et dit aime-moi mais ne me juge pas.
Car Arnold est avant tout un conquérant comme on l’a vu plus haut : « Je crois fermement dans la philosophie occidentale qui consiste à conquérir, à réussir, à être toujours plus haut dans les disciplines qu'on a choisies. Parce que pour moi nous sommes sur terre dans ce but, c'est ça une vie riche plutôt que de survivre et de laisser passer la vie qui est en fait très courte. »
Son motto n’est pas « connais-toi toi-même », mais « plus vite, plus haut, plus fort ». Arnold est différent des spectateurs, qui le cul sur leur chaise, n’auront jamais une vie riche, ne seront jamais admiré, mais resteront toujours de la merde.
miroir, mon beau miroir, dis-moi qui est le mieux bâti !
Il y a deux citations capitales pour comprendre Arnold : voici la première :
« Tout le monde aime être désiré et recherché et tout et tout. La plupart on ça de manière très limitée, ils sont aimé par leur famille, par leurs amis, leurs enfants ou leurs frères, leur femme. Certaines personnes en veulent bien plus, et je suis de ceux-là. » Contrairement à Franck Zane et Samir Bannout qui se définissent dans le film comme des « lovers libanais », ce qui en fait des concurrents sérieux, car l’important c’est d’aimer, Schwarzenegger cherche à être aimé et non à aimer. Dans le documentaire diffusé il y a peu sur Arte, Franck Zane, dit que si Arnold a fait de la musculation, c’était pour gagner l’appréciation de son père. Celui-ci étant mort durant son adolescence, il n’a pas pu le voir entièrement développé. Privé du regard qu’il recherchait le plus, Arnold serait devenu une machine à séduire qui tournerait dans le vide, et du coup se serait emballé, visant encore et toujours plus de monde à qui plaire.
Si cette interprétation psychologique est séduisante, il est clair, d’après les mots d’Arnold lui-même, que l’amour familial ne lui suffit de toute façon pas. Pour gagner toujours plus les faveurs des autres, Arnold ne pouvait voir le bodybuilding que comme un objectif transitoire.
« L'important, c'est de se remettre tout le temps en question. Je crois vraiment qu'il faut savoir préserver ces appétits, j'ai toujours cherché plus, et surtout plus grand, il faut avoir des appétits constants pour de nouvelles victoires. Le but atteint je pense immédiatement au prochain défi, à la prochaine étape, c'est ce que j'appelle sauvegarder ses appétits. »
Cette phrase est la clé de la pensée d’Arnold. Une pensée libérale, véritable achèvement de la pensée positive et de la pensée par objectifs. Dans le documentaire d’Arte, son ex de l’époque nous explique que tous les ans, Arnold se fixait cinq énormes objectifs, qu’il réalisait à chaque fois. Après avoir gagné 6 fois Mr. Olympia, Arnold avait fait le tour du culturisme, milieu de plus dont la majorité des gens se fout éperdument. Il fallait donc passer au cinéma, qui lui a apporté encore plus d’argent (Schwarzie était déjà millionaire avant de faire du cinéma grâce à l’immobilier, la vente de produits de musculation et des investissements boursiers) et surtout une célébrité incroyable. Il s’est à présent lancé dans la politique avec le succès que l’on connaît, et s’il réussit à se présenter aux présidentielles américaines, qui sait s’il ne pourrait pas devenir l’homme le plus puissant du monde !!! On voit d’ailleurs actuellement que l’action de Schwarzie sur l’écologie va dans ce sens : devenir un modèle pour le monde, c’est montrer comment moi, Schwarzenegger, qui a une vie riche, vais vous montrer comment on vit en respectant la terre. Et sauver la terre, y-a-t-il un plus grand objectif ?
Ainsi, alors que Tom Platz creuse inlassablement son sillon, qui est son corps, jusqu’à la folie (qui a vu ses jambes à la grande époque savent de quoi je parle) et adopte ainsi une pensée verticale, Arnold Schwarzenegger, lui, a une pensée qui voit de plus en plus gros, une pensée horizontale.
Résumons ce que nous avons atteint au terme de cette étude concernant le court mais fascinant pumping iron 2. Le bodybuilding est ce mouvement réciproque entre le corps et l’esprit, qui fait de l’édification du corps le sommet de la vie bonne. Mais ce corps idéal peut être l’objet de pensées radicalement différentes. Pour Tom Platz, c’est l’objet de toute une vie, une quête métaphysique où l’on se prive de tout, sauf « [de] pain, [de] vin et [de] fromage » pour atteindre la sagesse du goéland. Arnold rejette cette philosophie du corps, qui échoue par trop de sérieux (Platz ne gagnera jamais Mr. Olympia, son meilleur rang sera troisième) :
« La plupart des gens sont trop absorbés par ce qu'ils font, ils n'arrivent plus à se voir objectivement, moi je prends souvent du recul, et je ris de moi-même parce que c'est évident, on ne peut pas prendre au sérieux tous ces trucs, je veux dire, c'est quelque chose, je crois que nous pouvons faire... Certaines choses pour continuer notre route et nous motiver par des petits objectifs, nous offrir des petites victoires comme ça. » (Arnold Schwarzenegger).
Mr Olympia n’est « qu’un petit objectif, une petite victoire » dont il faut savoir se satisfaire, tout en admettant que c’est « rigolo d’être le gars le mieux bâti du monde, très rigolo ». La séduction s’exerce sur des publics de plus en plus grands, construisant ainsi un destin planétaire.
En conclusion, quand Tom Platz choisit Ride Like The Wind de Christopher Cross (“ It’s the night. My body’s weak. I’m on the run. No time to sleep. I’ve got to ride, ride like the wind, to be free again”) chanson invitant au dépassement de soi, pour la compétition, Schwarzie préfère le thème plus conquérant de Conan. Que demander de plus pour les distinguer ?
Maintenant, à vous de choisir la voie que voudrez suivre, mais une chose est sûre, si vous voulez du changement (sans même rencontrer de catholique), et sortir du quotidien, une seule direction, la salle de fitness.
Un petit rappel pour la route
N'oubliez pas les lovers libanais !