Dans la filmographie de Peckinpah, « Convoy » a toujours été considéré comme un film mineur, même chez les habituels thuriféraires de Bloody Sam. C'est assez dommage, l'œuvre valant mieux que cette réputation. Certes, on ne trouvera pas là les fulgurances apocalyptiques de « La Horde Sauvage » ni les méditations crépusculaires de « Pat Garrett & Billy The Kid », les deux plus évidents chefs d'œuvres du réalisateur, mais rejeter « Convoy» dans l'ombre relève de l'injustice. D'ailleurs la fresque picaresque des camionneurs en fuite est elle si éloignée que ça des sommets de l'art peckinpien ? Une révision récente du film permet d'en douter
Comme dans les deux films précités, « Convoy » raconte l'affrontement de personnages déphasés dans un monde qui a vieilli trop vite pour eux*. Le Duck (Kris Kristofferson) n'est rien d'autre que le descendant direct du Kid (Kristofferson, déjà) vivant en homme libre au sein d'une société où il n'a plus vraiment sa place. Dirty Lyle Wallace (Ernest Borgnine) est, lui, le prolongement, poussé jusqu'à l'absurde, de Deke Thornton (Robert Ryan), l'ex prisonnier donnant avec acharnement la chasse à la Horde de Pike Bishop (William Holden). Là où Thornton poursuivait sa traque, lié par un code d'honneur n'ayant plus lieu d'être, Lyle s'obstine, piégé par la vision jusqu'au-boutiste qu'il a de son rôle. Aux rapports ambigus qu'entretient Billy avec ses camarades fait écho la phrase emblématique de Duck : « Je ne suis pas à leur tête, je roule en tête, c'est différent ». Et la colère, incompréhensible par son excès, de Lyle contre Duck, lorsque celui vient de libérer Spider Mike de sa prison, ne se justifie que par une haine autodestructrice, semblable à celle qui pousse Garrett (James Coburn) à détruire son reflet dans le miroir après avoir éliminé le Kid. Dans le même ordre d'idée, les gesticulations démagogues du Gouverneur Haskins (Seymour Cassel) sont le pendant du jeu sinueux joué par son prédécesseur Lew Wallace (Jason Robards) entre Garrett, les éleveurs et le Kid. Par ailleurs, comme dans « La Horde » ou « Pat Garrett... », Peckinpah a l'intelligence de savoir humaniser ses personnages, fussent-ils les pires : la réprobation muette (quoique bridée par son obsession d'arrêter le Convoi ) de Dirty Lyle découvrant les sévices que le sheriff a fait subir à Spider Mike renvoie à celle de Dutch Engstrom (et c'était Borgnine, là aussi) ulcéré d'être comparé au boucher Mapache par ses complices de la Horde. Enfin, et bien sur, l'exécution finale de Duck, mitraillé par les forces de l'ordre et par Dirty Lyle, cramponné à sa mitrailleuse comme jadis Pike ou les frères Gorch à la leur est bien sur l'évocation sans fard du mythique carnage qui clôt « La Horde Sauvage »., explosion et ralentis compris.
Sauf que « Convoy » est, je l'ai déjà dit, une épopée picaresque, pas une tragédie. Là où, pour Deke Thornton et le vieux Sykes (Edmond O'Brien), ne restait après le massacre qu'un avenir incertain fait d'amertume et de faux semblants, là où Garrett fuyait sous les pierres d'un enfant avant de mourir assassiné par ses propres employeurs, des années plus tard, le Duck garde et sa liberté et l'amour de Melissa (Ali McGraw) se payant le luxe d'un pied de nez hilare aux politiciens avides de récupérer une image à laquelle ils n'ont rien compris. Et devant le rire homérique de Lyle, découvrant, heureux, qu'il a été berné, on pense immanquablement à celui secouant Bishop et les siens, trompés eux aussi, après le hold up sanglant qui a failli leur coûter la vie et ne leur a rapporté que des rondelles de métal sans valeur**.
Et l'on se dit, finalement, que « Convoy » est loin d'être un film mineur dans la filmographie de Sam Peckinpah.
*Il en allait de même pour « Cable Hogue » (Jason Robards), tué par la première automobile qu'il ait jamais vue.
**On n'est pas très loin, non plus, de celui, plus sarcastique, de James Coburn, à la fin de « Croix de Fer »
Dernière édition par sandokan le 27 Jan 2008 20:05, édité 2 fois au total.
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