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ULTIME MISSION
La bêtise est parfois quelque chose de fascinant. Les cons, ça ose tout, et c’est même à ça qu’on les reconnaît, disait Michel Audiard, et c’est bien ce qui vient à l’esprit à la vision de cette «Ultime mission». Expérience limite du nanar (ou du navet, si l'on est mal disposé), cette «œuvre» du Z-man philippin Jun Gallardo (alias John Gale pour l’export) donne l’impression de toucher du doigt l’extrême limite de la stupidité humaine, une sorte de néant poisseux aussi étranger au talent et à la grâce que l’anti-matière à la matière. Le film, sorte de sous-sous-sous-resucée amorphe de «Portés disparus » et de « Retour vers l’enfer », nous fait regretter le talent de Chuck Norris tant le spectacle est laid, lent, pauvre, dénué de toute espèce de qualité cinématographique, humaine, intellectuelle ou gustative.
Ce sinistre avatar de la série Z philippine essayant de plagier le bis ricain le plus décérébré échappe pourtant à la qualification de navet total, par son statut d’expérience limite. Défi à l’intelligence au même titre qu’une comédie de Max Pécas ou de Philippe Clair, «Ultime mission » est si stupide et misérable qu’il en devient une sorte d’œuvre d’art dadaïste, une apothéose du non-cinéma. Une non-mise en scène, un non-scénario, du non-jeu d’acteur : l’inversion des valeurs est si totale que l’on se prend à être frappé de respect et à trouver de l’intérêt à ce qui mettrait en fuite tout spectateur normalement constitué. Ca ne peut pas être si bête ? Ha, si, ça l’est ! Essayons de voir jusqu’où ils vont aller…
Bon, c’est pas tout ça, passons à l’histoire. Vous allez voir, c’est du brutal…Nous sommes quelques années après la fin de la guerre du Vietnam, et des otages américains sont encore retenus dans un camp vietnamien (particulièrement misérable, le camp) à la frontière cambodgienne. Parmi eux, un certain Coleman (Mike Monty, habitué du bis philippin), hâve et moustachu. Un prisonnier réussit à s’évader, à regagner le monde libre, et livre avant de succomber l’emplacement secret du camp.
Mike Monty.
Que les indications soient suffisamment précises pour faire agir la CIA me paraît assez douteux puisque le type n’a pu livrer que trois borborygmes incompréhensibles avant de clamser, mais baste ! L’Axe du Bien va agir ! Ou plutôt il va se déplacer par l’intermédiaire d’un officier ventripotent, joué par Mike Cohen, bien connu de nanarland pour son rôle du Parrain dans «Laser Force, l’arme absolue». Notre ami Cohen, suintant de mauvaise foi derrière ses bajoues, va rendre visite à Robert Burton, ancien de l’armée américaine, joué par Richard Harrison, et lui demander de récupérer Coleman pour le compte de la CIA, qui ne peut agir officiellement. Burton étant réticent, l’agent lui sort des arguments de chantage vaseux qui le convainquent cependant. Ulcéré, Burton s’enfile dès le départ du ponte de la CIA une solide rasade de gnôle.
Mike Cohen à Richard Harrison : "c'est une proposition que vous ne pouvez pas refuser..."
Et c’est là qu’intervient l'élément nanar absolu, qui empêche le film d’être un navet sans intérêt : Richard Harrison ! Notre vieil ami RH a en effet l’air de s’en foutre totalement, et va tout au long du film en rajouter dans les grimaces comme un vieux sapajou ravagé par l’alzheimer. Burton est en effet un baroudeur fort porté sur la boisson (« Je bois car quand je suis né…j’avais très soif ! Hips ! »), qui va passer un bon quart du film avec un verre dans le nez. Richard n’est déjà pas un acteur particulièrement sobre quand il quitte son registre de vengeur taciturne, mais là c’est un véritable festival, que les images accompagnant cette chronique peinent à restituer ! Le cabotinage Harrisonien atteint de tels niveaux que notre homme, emporté par l’enthousiasme, en arrive à faire des grimaces d’ivrogne dans des scènes où son personnage est censé être sobre !
The Richard Harrison show.
Mais le pompon est encore à venir avec la reconstitution de l’équipe de mercenaires censés accompagner Burton dans sa mission. Outre que la team inclut le beau ténébreux Romano Kristoff (dit Ron Kristoff) et le noir James (Jim) Gaines, deux habitués du Z philippin des années 80 (avec Mike Monty et Mike Cohen, le film fait quasiment who’s who ! Il ne manque plus que Max Thayer et Bruce Baron…), l’ensemble des personnages de l’équipe bénéficie de l’écriture la plus époustouflante jamais vue depuis des lustres. On ne s’attend certes pas à des dialogues d’une rare finesse (ce sont quand même des mercenaires), mais à ce point ! L’équipe de Burton est composée de la pire bande de beaufs jamais vue sur un écran, et la VF particulièrement franchouillarde et désinvolte n’arrange rien :
« -Alors la p’tite brune, elle baise comment ?
-Heu, j’sais pas, j’m’en souviens pas !
-La vache, il baise une beauté et il ne se souvient de rien ?
-Heu…J’me suis endormi …
-Mou ha ha ha ha arf ! ».
Ce n’est visiblement pas Michel Audiard qui a écrit les dialogues français…et le pire est que ça va continuer comme ça pendant TOUT LE FILM !
Nos héros prennent langue avec la mignonne Kara, leur contact sur place (que Richard Harrison, malgré sa cuite permanente, va s’empresser de culbuter), et partent enfin pour leur mission.
Richard Harrison séduit Kara. Je vous jure, il est en train de draguer dans cette scène!!
Ce qui va suivre est une aventure guerrière d’une pauvreté indescriptible, nos héros parcourant la jungle, en treillis, avec la discrétion d’un troupeau d’éléphants en rut. Un petit soupçon naît alors chez le spectateur qui n’aurait pas encore sombré dans le coma : le film est-il une parodie, ou bien Burton et ses hommes sont-ils les pires mercenaires jamais vus dans l’histoire des guerres sales ? Nos héros ne perdent en effet pas une seule occasion de se faire repérer par les troupes viet qui traîneraient dans le coin : ils gueulent sans arrêt, traversent le fleuve en canot avec un camouflage si pauvre qu’il laisse apercevoir leur arsenal à trois kilomètres, ignorent toutes les lois de la discrétion la plus élémentaire ! On se croirait presque devant «les bronzés jouent à Rambo» ou «les branquignols dans la jungle»!
L’intrigue progresse ensuite trèèèès tranquillement, au rythme d’escarmouches régulières avec des troupes viet que les beuglements permanents de la bande de débiles attire bien évidemment comme des mouches. Car j’ai oublié d’insister sur une caractéristique essentielle du film : non content d’être totalement fauché, et tout aussi pauvre en imagination, il est également assez lent ! Non, non, il ne s’agit pas d’une tentative de créer une ambiance envoûtante pour un film d’aventures de jungle ! Le pauvre Jun Gallardo en serait bien incapable. Il s’agit simplement d’étirer le métrage jusqu’à faire l’heure et demie réglementaire, et ce malgré un scénario qui tient sur deux feuillets maximum.
Le bô Romano Kristoff : un peu de glamour chez les baroudeurs.
Ajoutons à cela que la misère formelle du film rejoint sa dèche scénaristique. Rarement a-t-on vu en effet photo si minable, tantôt surexposée, tantôt trop sombre ! Les figurants sont démotivés, l’action est merdique, la musique misérable (deux morceaux pour toute bande-son), les clichés miteux abondent (les voitures explosent à la moindre collision, pour garantir le quota «spectaculaire»), les acteurs tentent de compenser l’inexistence de leurs personnages par un surjeu généralisé. La palme revient à James Gaines, le noir (donc le blagueur) de service, qui dit tout son dialogue en grimaçant comme un débile et en montrant les dents, à croire qu’il postulait pour être la doublure d’Eddie Murphy ! Romano Kristoff, quant à lui, joue principalement avec ses sourcils, plus expressifs que le reste de son visage (il est pourtant l’un des moins mauvais du lot).
Jim Gaines joue tout en finesse.
Une perle supplémentaire du film : visiblement destiné à l’export, il est particulièrement raciste, les philippins espérant peut-être flatter les acheteurs américains en en rajoutant dans la xénophobie anti-jaunes. Ainsi, nos héros font marcher devant eux dans la jungle un officier viet capturé. Evidemment, il est empalé par un piège : «Bordel, qu’est-ce qu’on va faire maintenant que ce macaque est mort ?!» Ni une ni deux, c’est James Gaines, le noir de la troupe, qui va marcher devant…Sans commentaires.
De l'action haletante.
Le dialogue continue par ailleurs dans le raffinement :
«Tu fais c’que tu veux, mais j’ai pas envie d’rentrer avec mes boules en sautoir ! »
Et cet échange de haute volée :
« - Ah !, tu sais, j’ai pas peur de mourir mais j’ai pas envie de crever dans ce piège à cons.
- Bof !, crever pour crever…
- J’ai vu tellement de braves types crever dans ce merdier… ça m’fout les boules, Rodgers !
- Ouais, n’empêche que l’autre jour, tu chiais dans ton froc !
- Va te faire mettre ! »
Des acteurs motivés et charismatiques.
Des explosions de huttes dignes d'une superproduction.
Tout le film est à cette image, une sorte de trou noir intellectuel qui anéantit toute velléité de réflexion et d’analyse et plonge le spectateur courageux, au choix dans la torpeur (le rythme est quand même mou, rappelons-le) ou dans l’hilarité navrée devant tant de bêtise et de beauferie, qui feraient passer le pire des Chuck Norris pour un modèle de finesse et de qualité. On est vraiment dans une sorte de tiers-monde, on pourrait même dire de quart-monde du cinéma, dont on n’ose imaginer en quelle piètre estime il tient ses spectateurs potentiels pour leur servir des produits aussi frelatés !
Le jeu de sourcils inimitable de Romano Kristoff.
ATTENTION, SPOILERS!
Le film se traîne avec la légèreté d’un morse échoué jusqu’à son dénouement : ayant récupéré l’otage, les mercenaires, qui échappaient jusque-là à toutes les balles, vont se faire dessouder un à un dans leur fuite, le scénariste ayant manifestement vu «Les Douze salopards ». La plus belle scène survient lorsque l’un de nos héros meurt empalé par un piège et agonise en disant «Aaaargh…attention aux pièges… ». Merci, ils avaient deviné ! La surprise finale est encore à venir : Richard Harrison, Kara et Mike Monty ayant finalement rejoint les troupes amies, ils sont mitraillés sans autre forme de procès !
Richard Harrison se réveille sur son lit d’hôpital, pour recevoir la visite de Mike Cohen, qui va lui révéler le pot-aux-roses : la CIA voulait en effet récupérer Coleman (Mike Monty), mais uniquement dans le but de le tuer. L’homme avait en effet subi un lavage de cerveau et aurait critiqué la politique américaine dès son retour aux USA. Examinons de plus près la connerie de ce postulat : POURQUOI la CIA s’est-elle emmerdée à monter une mission pour récupérer Coleman, sachant qu’il croupissait dans sa prison viet, et ne l’a-t-elle pas laissé tout simplement à ses geôliers, qui n’avaient pas l’air pressés de l’utiliser comme arme de propagande ???? Ben non, vous êtes bêtes, y’aurait plus eu de film… Oui, et au fait, sachant que la CIA voulait éliminer les mercenaires, pourquoi n’ont-ils pas achevé Richard Harrison sur place, au lieu de le ramener à l’hôpital ??!!?
Ayant suffisamment spoilé comme ça, je ne vous révèlerai pas le coup de théâtre final : sachez simplement que Richard Harrison, qui pour être pochetron n’en est pas moins malin, va bien feinter Mike Cohen, qui était venu pour le tuer (ce qui rejoint une nouvelle fois ma question du paragraphe précédent…).
Série Z pitoyablissime, d’un ahurissante bêtise, «Ultime mission » fascine par sa capacité à égrener les clichés, enfiler les perles, et les pires bassesses du cinéma d’exploitation, notamment une scène dans une boîte de strip-tease où nos héros vont traîner avant la mission, et qui dure dix bonnes minutes sans aucune utilité que de nous montrer un peu de fesse. Précisons que le spectacle est particulièrement hardcore, et propre à dégoûter les nanardeurs débutants tant il flirte souvent avec le navet, y échappant par les profondeurs mêmes de sa connerie. Il est à réserver aux cinéphiles courageux, curieux de voir à quoi peuvent ressembler les bas-fonds du pire cinéma Z, et qui pourront trouver dans cette escapade philippine une expérience nanarde «no limits». Au fond, «Ultime mission» est un peu au nanar ce qu’un film de Jean-Marie Straub est au cinéma d’art et essai : c’est lent, austère, laid, rebutant même, mais si on s’y laisse prendre, c’est carrément hypnotique !
Allez, encore un petit coup de Richard Harrison bourré!
(Cet homme est le plus grand mercenaire du monde, il faut le savoir...)
ULTIME MISSION
Année : 1985
Pays : Philippines
Genre : Mercenaires d'un con
Catégorie : Guerre
Réalisation : Jun Gallardo (alias John Gale)
Avec : Richard Harrison, Romano “Ron” Kristoff, Tetchie Abgayani (alias Carol Roberts), Mike Monty, Mike Cohen, James “Jim” Gaines
Nikita : 1,5
PS : un très grand merci au Rôdeur pour les images!