Quand y'en a plus, y'en a encore. Joseph Lai a écoulé tellement de ses miteuses productions à travers le monde qu'envisager un recensement total devient un rêve inaccessible, véritable mythe de l'archéologie Ninja nanarlandaise. Ainsi, certains pays comme l'Allemagne recèlent des filons de films invisibles en nos contrées, avec une appétence pour l'œuvre hong-kongaise d'une telle avidité que la sauvegarde de ce patrimoine extrême-oriental est devenue mission d'état. Les éditeurs n'hésitent pas à consacrer des anthologies DVD au massacre de l'animation coréenne ("Masters of the Future") ou à aligner dans leur catalogue les plus infâmes Ninja flicks. C'est ainsi que Mike Abbott bénéficie d'une filmographie teutonne bien plus accessible, avec des « Bionic Ninja, die Formel des Todes », la série des « War City » et autres « American Force 3 - Highsky Mission ».
Lo Gio, le grand réalisateur inconnu.
"Commando the Ninja" (AKA "Das Todesschwert Der Ninja") fait ainsi partie de ces mystérieux films dont on ne retrouve trace qu'avec difficulté. Inexistant selon imdb, réalisateurs et acteurs inconnus au bataillon (pourtant, des noms comme "Patrick L'Argent", ça marque), et bardé de plusieurs titres, dont un "American Commando Ninja" qui condense à lui seul trois bonnes tentatives de pigeonner le client potentiel. IFD n'est même pas créditée à la production. Seules preuves de son existence, la VHS et le DVD allemands. Rien d'autre, malgré la présence sur youtube d'un trailer, et la disponibilité d'une version anglaise sur le fameux DVD. Le film ne serait-il sorti qu'au cinéma, sans jamais connaitre les honneurs de l'édition vidéo anglophone ? Existe-t-il sous un autre titre encore non-identifié ? Mystère.
Cela dit, quand on a vu le produit, on comprend un peu mieux les raisons pour lesquelles il a sombré dans l'oubli. Explications.
Bazardons d'emblée le scénario, miséreux au possible : Tanaka, un scientifique nippon ayant effectué des recherches sur des armes bactériologiques pendant la seconde guerre mondiale, se retrouve au centre d'un conflit opposant plusieurs factions qui se battent pour récupérer ses travaux. L'affrontement Russes VS Chinois VS Ninja va se maintenir durablement pendant 90 minutes.
David, Ninja du Bien, son katana de samurai et son adoration pour une armure de Kendo.
Son vieux maitre qui l'envoie en mission à Taïwan.
Une fois de plus, si le résumé est simple, les détails sont assez fumeux, les enjeux respectifs n'étant pas particulièrement bien définis. On comprend vaguement que les Russes veulent monnayer la fameuse formule afin de dominer le monde, que les Chinois veulent se venger des expérimentations effectuées sur leurs aïeux, et que le Ninja est gentil et souhaite éviter qu'on ne tue des enfants avec des bactéries.
Le pauvre Tanaka passe ainsi de main en main, se faisant tabasser et torturer à tour de rôle, tandis que les Cornes d'Or, confus sésames de la cachette de ses travaux, sont régulièrement volées sans qu'on ne sache jamais vraiment à quoi elles servent. Entre deux violents affrontements, les adversaires se rencontrent comme si de rien n'était pour papoter un peu, sur cette affaire et sur la vie en générale. Et parfois, ils couchent même ensemble.
Ce chaos relationnel existant entre les personnages est renforcé par un montage approximatif très confusionnant. Exemple.
David le Ninja se bat farouchement contre Larry le Magicien Hokus Pokus (je n'invente rien). Il retire son masque pour faire signaler à son adversaire son respect pour un tel talent guerrier. Ils reprennent donc leur combat à mort. Ils prennent un verre ensemble à l'appartement de l'un d'entre eux en discutant sur les méfaits possibles de la guerre bactériologique. Ils dinent au restaurant, et finalement, ils se présentent en se nommant respectivement !
Voici de la magie Hokus Pokus. En fait, c'est le seul moment où on y a droit.
- Tu comprends, moi, la guerre bactériologique, ça me les remonte tellement je flippe.
- Non, si tu veux mon avis, je crois que c'est plutôt ton micro-short slip.
Les incohérences scénaristiques ne se font pas prier et les spectateurs les plus attentifs tiqueront rapidement sur ces deux jeunes filles chinoises qui répètent ad vitam nauseam que leurs parents ont été tués pendant la guerre, alors qu'elles n'ont toutes deux qu'une vingtaine d'années. Et il faudra qu'un personnage leur signale cette incohérence temporelle pour qu'elles comprennent soudain qu'on leur a menti. Bouleversant.
On assiste aussi à de grandes scènes de n'importe quoi, comme lorsqu'une de ces mêmes jeunes filles s'aperçoit que son otage porte un émetteur sur sa veste. Sa réaction ne se fait pas attendre : elle jette violemment la veste 10 mètres plus loin, et reste au même endroit. Ouf, sauvée !
Le meilleur reste cette imaginative technique de torture du passif Tanaka. Le malheureux est placé dans un bidon rempli d'eau, alimenté par un tuyau d'arrosage. On lui remet sadiquement une casserole en plastique pour qu'il puisse tenter de vider son récipient, dans une sorte de jeu de miroir du tonneau des Danaïdes, et ce, sous l'œil peu amène d'un garde qui s'assure que le prisonnier ne sorte pas tranquillement s'essuyer après son bain. Je ne sais pas trop quel est le résultat attendu d'une telle atrocité ; le personnage fait vaguement semblant de se fatiguer et de se noyer, ponctuant toutes ses phrases par des "peuh" démotivés, mais gardant toutefois en permanence la tête hors de l'eau. Si cela fait bien rigoler son tortionnaire (c'est ça la vengeance des camps d'expérimentation nippons ?), le spectateur, quant à lui, est plutôt pantois devant une telle bêtise.
Des bains forcés insoutenables.
Mark savoure joyeusement son machiavélique souci de la propreté.
Je parle de l'imbécilité du propos du film, mais attendez de voir l'écrin. Je crois que "Commando the Ninja" est le Ninja movie de Lai le plus moche que j'ai vu. Tourné au camescope avec une image dégueulasse digne de "Souvenirs de vacances en Loir et Cher - 1992", le film réussit à paraitre plus vieux qu'il ne l'est. Impossible de croire qu'un tel étron cinématographique ait pu être réalisé en 1988 tellement sa laideur évoque les pires expériences de cinéma domestique, certains passages rappelant les premiers épisodes des Bitoman. Les effets de transitions pillent allègrement les premiers logiciel de montage, en dépit de tout le ridicule que des petits losanges ou des grillages mauve peuvent apporter à un métrage déjà au plus bas de la poubelle.
Une véritable vidéo d'entreprise.
La réalisation à base de scènes coupées en pleine action, et de ralentis flou et saccadés est d'une laideur innommable, qu'on en vient à se demander pourquoi personne n'a réagi en brulant les bobines (ou les cassettes camescope). Surtout quand on constate que ces horribles ralentis sont utilisés pour mieux montrer un inepte tabassage de fauteuil ou un ridicule saut sur matelas en mousse dont on aperçoit malencontreusement un coin à l'écran. Le réalisateur semble parfois tellement fier de son œuvre qu'il fait carrément des arrêts sur image, lors par exemple d'impressionnante cascade telle cette chaise fracassée sur le dos du Ninja. John Woo n'a qu'à bien se tenir.
Voilà le genre de gros plan pour lequel on a le droit à de judicieux ralentis.
A côté d'une telle infamie, la période US de Godfrey Ho est composée de chef d'œuvre du 7ème art, et prouve bien qu'on lui a sans doute un peu trop facilement fait porter la responsabilité des catastrophes nanarifiantes qu'étaient les Ninja flick tournés pour IFD. Surtout qu'ici, Lai n'a même pas l'excuse des contorsions que nécessite le raboutage des 2/1, étant donné que "Commando the Ninja" est un pur 1/1.
Cette excessive médiocrité sans appel provoque ainsi une scission dans l'esprit de son spectateur, partagé entre l'aterrement le plus total et le plaisir de savourer un tel nanar.
Car oui, il y a tout de même des éléments qui satisfairont l'amateur de débilités rigolotes.
Outre les stupidités scénaristiques évoquées plus haut, les acteurs principaux cabotinent suffisamment dans leur rôle respectif pour profiter de la plus-value vestimentaire indéniable que leur confère une esthétique pré-90's des plus colorées. Entre Larry qui se promène tout le film avec des mini-shorts (au point qu'il semble parfois nu sous sa chemise hawaïenne), David et son jogging vert pomme fluo, Brenda et sa tenue sudiste, ou bien encore les nombreuses tenues aux motifs fantaisistes, couleur mélange de pâte à modeler, y'a de quoi faire dans le relooking dément, le plus voyant si possible. Et pour une fois, ce sont les gweilos qui apportent une certaine sobriété.
C'est la famille du colonel Sanders ?
Attention les dégâts rétiniens.

L'horrible pantalon vert fluo de David existe même en version short.
Avec des femmes tout aussi coquettes que les hommes.
Les quelques scènes de Ninja réutilisent les bonnes vieilles ficelles habituelles, dont le caractère déjà ringard est manifestement aggravé par la patine bouillie visuelle crument réaliste. Le monteur ajoute sa touche en répétant à foison certains plans de shoots, sans qu'on sache trop s'il veut dynamiser son effet ou nous faire croire que le personnage tire plusieurs fois.
Une attaque de bar (par ailleurs incompréhensible) en est une parfaite illustration.
David en tenue de travail immaculée, plutôt sobre en ce qui concerne la signalétique Ninja sur le front.
Un shotgun rikiki tout minable, mais qui tire en chaine.
Les regards de bovins peu inspirés de nombre de personnages sont renforcés par un doublage anglais calamiteux, parfois en complet désaccord avec la gestuelle, ce qui rappelle bien que l'incompétence professionnelle de ce milieu est loin d'être réservé à notre beau pays. Incessants ricanements à bout de souffle, voix monocordes, absence de profondeur, tout y passe. On peut d'ailleurs fantasmer d'entendre dans le cast la voix de Stuart Smith, l'homme ayant longtemps participé aux doublage de l'écurie ADDA.
D'ailleurs, en parlant de Stuart Smith, voici un gweilo qui semble particulièrement inspiré par le jeu facial de son ainé.

Mais bon, dans le genre tronche cinégénique, les deux sœurs Kelly et Brenda ne sont pas mal non plus.
Mais l'audio ringard ne se résume pas à ces seules voix plaquées ; la bande-son est elle-même composée d'un mélange de tout et n'importe quoi, du moment que cela se joue au synthétiseur, dont une sorte de musique d'ascenseur érotique, logiquement diffusée dans une banque. Ajoutez à cela des bruitages de baston fait à la console de jeux, ou le son d'une mitraillette utilisée sur un shotgun, pour avoir une vague idée du rendu atroce de l'ensemble.

Un peu de gweilos trademark Joseph Lai.
"Commando the Ninja" se termine sur une baston généralisée qui n'en finit plus de confirmer la réalisation vomito-gloubigoulbesque du métrage, avec un montage de rushs probablement différents liés par un chaos auditif qui superpose diverses musiques. Tout le monde frappe tout le monde jusqu'à une conclusion totalement incompréhensible, dont je préfère laisser la surprise aux quelques malheureux qui auraient malgré tout décidé de s'exposer à une telle horreur multimédia.
Voici donc un Ninja flick fin de période qui constitue une bizarrerie tellement déviante que je ne la conseillerai qu'aux exégètes de l'œuvre de Lai, tant la médiocrité ambiante est d'une agressivité à faire fuir même le nanardeur le plus serein.
C'est gagné ! We dit it, yeaaah !
Note : 2,25/5
Titre : Commando The Ninja
Titres Alternatifs : American Commando Ninja,Das Todesschwert Der Ninja ("La condamnation à mort de l'épée Ninja" selon Google translate)
Année : 1988
Durée : 1H25
Pays : HK
Catégorie : Ninja
Genre : La condamnation à mort du réalisateur / Format Camé Scope / La Lédeur des Ninjas
Réalisateur : Lo Gio
Acteurs : Man Fei, Patrick L'Argent, Simon Kwan, Daniel Garfield...
Cote de rareté - 4/Exotique
"Commando the Ninja" est disponible sous son titre allemand sur de nombreux sites de vente sur internet, pour une somme misérable probablement équivalente à son budget d'époque. Les pistes audio offrent le choix entre les versions germanique et anglaise.
Le DVD allemand.
Une édition très classieuse pour un tel produit.
Une VHS allemande, au visuel proche de la VHS française de Ninja Dragon Tiger qui elle, ne contient aucun Ninja.
Images bonus
J'ai oublié de dire que le métrage contenait de l'humour très fin, à base de roubignoles abimées.
Brenda et Kelly, les deux orphelines de la mode.
Des gweilos à la recherche d'un émetteur de veste.
Un bad Russe terrorisé à l'idée de tirer sur le doigt du Ninja.
Un chouette endroit avec sa statue géante qui attire irrésistiblement la caméra.