Bon, comme le coup du "film de merde qui s'offre 300 salles" me fait tout de même un peu tiquer, sans chercher à créer une polémique, je vais essayer d'expliquer les raisons pour lesquelles je pense que ce nombre de salles est justifié.
A la base, on a deux comédiens, Jean-Pierre Bacri et Agnès Jaoui. Bacri a déjà un peu écrit, mais sans vraiment s'y investir totalement. Ensemble, ils décident d'écrire une pièce de théâtre, s'offrant ainsi des rôles plus fouillés et intéressants que ceux qu'on leur propose à l'époque. le résultat sera "Cuisine et Dépendances", qu'ils interpréteront accompagnés de certains de leurs amis : Jean-Pierre Darroussin, Sam Karmann et Zabou Breitmann (non, pas de plan nichon ici non plus). Personne n'est une tête d'affiche à même de remplir les salles, juste de très bons comédiens. Quelques défauts par-ci par là (le refus de dire le nom de l'invité du dîner, dans le but de laisser imaginer qu'il s'agit d'une vraie personne publique de la vraie vie donne lieu à de trop nombreux "ton mari") mais l'ensemble est vraiment très bon, voire excellent pour une première pièce qui sera un tel succès qu'un film sera fait, réalisé par Philippe Muyl (qui apporte notamment la bonne idée de la musique Flamenco, qui rend bien). Nouveau succès.
Arrive Alain Resnais, actuel doyen du cinéma français qui a le mérite de chercher à faire des films se démarquant de la production hexagonale classique en se permettant des libertés avec le réalisme presque inhérent aux films français des vingt dernières années. Il commence par leur proposer une adaptation de pièce de théâtre : SMOKING/NO SMOKING, deux films portés par deux comédiens, Arditi et Azéma interprétant différents rôles. Le concept est aussi simple que génial : huits pièces écrites par Alan Ayckbourn partant du même point de départ mais proposant des fins différentes suivant les décisions que prennent les personnages. Par exemple : au début de SMOKING, Sabine Azéma choisit de fumer une cigarette et au début de NO SMOKING, elle choisit de ne pas.
Bande annonce :
http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=18805257&cfilm=8962.html
Le duo s'attelle alors à un nouveau projet qui est pour moi leur chef d'oeuvre : UN AIR DE FAMILLE. Excellent portrait de la famille française avec ses préjugés, ses rancoeurs, ses injustices, servi par des comédiens au top (PUTAIN, CATHERINE FROT ! ! ! ! ! ! ! !), avec des dialogues à hurler de rire et des scènes cultes qui s'enchaînent les unes après les autres. Nouveau succès, nouvelle adaptation, cette fois par Cédric Klapisch (le seul de ses films que j'ai regardé plus d'une fois avec plaisir).
Après le succès du film, ils abandonnent le théâtre pour se consacrer exclusivement au cinéma. le résultat sera ON CONNAIT LA CHANSON, réalisé encore une fois par Resnais. Pour un premier scénario original, c'est un coup de maître dont l'astuce, les passages chantés, ne sont que la cerise au sommet du gâteau et non pas l'unique argument d'un film traitant des relations entre les gens, des mensonges ordinaires ainsi que du refus des gens à admettre qu'ils ont des soucis ou qu'ils ne sont pas bien. Les passages de Bacri chez des médecins, son amitié naissante avec un André Dussollier que je n'ai jamais vu si touchant, la connerie ordinaire de Lambert Wilson sans parler du couple Azéma (je sais même pas ce que c'est qu'un mal de tête) Arditi/droopy font de ce film un chef d'oeuvre de comédie douce amère corrosive. La bande annonce est signée Agnès Jaoui qui commence à manifester alors son intérêt pur la réalisation.
Cet intérêt sera concrétisé dans Le Goût des Autres, signant le retour au cinéma de Gérard Lanvin. Le film est plus sombre, assez épuré mais comporte de vrais grands moments de comédies (hier je me suis marré tout seul rien qu'en pensant au trip de Bacri sur Juanita Banana). L'opposition entre les gens cultivés qui passent leur temps à faire les langues de putes et le gros beauf qui raconte des blagues de cul au repas et à qui on refuse le droit d'être touché par quelque chose, est pour moi la meilleure idée du film. Gros succès au cinéma (entre 3 et 5 millions d'entrées) assez inattendu pour un film sur des gens qui passent le film à parler de tout et de rien. Et Chabat est très très très bien.
Quelques temps plus tard arrive "Comme Une Image", prix du scénario à Cannes. Beaucoup aimé aussi, son seul problème à mon sens (on peut ne pas l'avoir aimé) est d'être arrivé au moment où le premier auteur venu désireux de s'imposer comme un gars "à qui on ne la fait pas, qui dit tout haut... blablabla" tapait sur la dictature du paraitre. Pourtant ici, le concept est développé comme nulle part ailleurs, ne s'appuyant pas sur un seul personnage et l'idée de beauté intérieure. Il y a bien sûr Marylou Berri qui souffre d'être enveloppé à l'heure où la taille mannequin etc. mais elle aussi envoie chier la femme de son père en qui elle ne voit qu'une pouffe alors qu'elle essaye de sympathiser avec elle. de même, le public est au début du côté de Bacri parce qu'il engueule le chauffeur de taxi malpoli (ah quel mec formidable, moi j'aurai fait pareil) pour se rendre compte que finalement c'est juste un gros connard qui détruit tout autour de lui. J'en passe. Pour moi, c'est le film sur la dictature du paraître qui se démarquera clairement d'ici quelques années. En attendant, nouveau succès critique et public.
Voilà. je ne sais pas combien de salles on donnera au film ni combien d'entrées il fera, je sais que des gens n'aimeront pas leur nouveau film et j'en serai peut-être, mais il y a une telle cohérence dans l'évolution de leur carrière et dans la qualité de leurs films qu'une chose est sûre : ils n'ont pas volé leur succès.