Petite chronique de mon cru en passant :
Bien qu'âgé de seulement 26 ans, Orson Welles n'était pas un inconnu lorsqu'il débuta la production de ce qui resterait dans l'histoire comme le plus grand film de tous les temps. En fait il était même sacrément attendu au tournant. Metteur en scène de théâtre surdoué ( il était considéré comme un spécialiste de Shakespeare, et avait mis sur pieds une version ' vaudou' de Macbeth à Harlem, avec une distribution entièrement composée d'acteurs noirs), animateur de radio visionnaire ( son adaptation de " La Guerre Des Mondes " de H.G Wells avait terrifié une bonne partie de côte Est en 1938), il fut engagé par la RKO qui lui proposa un contrat tel qu' on n'en avait jamais vu jusqu'alors, et qu'on ne reverrait jamais, surtout pour un premier film. Lui furent accordés carte blanche ( le fameux 'final cut' après lequel courent tous les réalisateurs bossant aux States), une avance d'un million de dollars ( le budget d'une super production de l'époque, ce qui correspondrait à quelque chose comme 100 millions actuellement) le tout pour trois films.
Pour son premier long-métrage Welles envisageat tout d'abord une adaptation de
Heart Of Darkness de Joseph Conrad ( le roman dont s'inspirera plus tard Francis Ford Coppola pour son
Apocalypse Now), mais ses parti-pris artistiques, notamment son intention de filmer tout le métrage en caméra subjective pour coller à la narration à la première personne du roman, effraya les responsables du studio, d'autant que la guerre venait d'éclater en Europe, privant le film d'une carrière internationale, du moins sur le court terme. Les temps n'étaient guère favorables à des expérimentations aussi dispendieuses qu'incertaines. Après avoir tenté de mettre sur pied un thriller plus classique, Welles décida d'écrire, en collaboration avec Herman Mankiewicz ( le frère du futur réalisateur du
Cléopâtre avec Liz Taylor) l'histoire d'un magnat de la presse, Charles Foster Kane, qui , bien qu'il ait tout ce qu'une fortune colossale permet d'obtenir , est en fait pathétiquement seul , et meurt d'ailleurs dans la scène d'ouverture après un mystérieux dernier mot " Rosebud".
Le film suit l'enquête d'un reporter chargé de déchiffrer " l'énigme Rosebud" , ce qui l'aménera à rencontrer toutes les personnes qui ont compté dans la vie de Kane.
Si le synopsis n 'est pas vraiment révolutionaire, la mise en scène, elle, impressionne par son aspect novateur: construction en flash-backs, éclairages impressionistes, contre-plongées étourdissantes, jeux de miroir, profondeur de champs s'étendant à l'infini, sans oublier toute une nouvelle génération d'acteurs issus du Mercury Theatre de Welles ( Joseph Cotten et Agnes Morehead en tête) tout concourt à faire de Citizen Kane une date dans l'histoire du cinéma.
Mais c'était sans compter sur un certain William Randolph Hearst.
Hearst était un magnat de la presse ( tiens donc?) qui prit ombrage du scénario que lui avait communiqué une taupe chez RKO, arguant qu'il s'agissait d'une critique personnelle, alors que Welles avait bien précisé qu'il avait bâti son personnage à partir de nombreux éléments pris chez de nombreux entrepreneurs. Homme influent ( sans doute presque autant que le fictif Kane), Hurst entreprit de ruiner la réputation du film avant même sa sortie, et attaqua la RKO en justice, demandant que le négatif du film soit brûlé!
Il n'obtint pas gain de cause, mais le mal était fait: le film ne rentra pas dans ses frais et discrédita durablement Orson Welles à Hollywood.