Je profite de l'actuelle
rétrospective William Castle à la Cinémathèque pour ouvrir ce sujet sur un de mes films préférés, considéré par ses fans comme le meilleur film de Joe Dante, en tout cas celui où son univers se développe le mieux (mais j'ai toujours une préférence, Madeleine de Proust oblige, pour les deux Gremlins). Il s'agit de Matinee (in french Panic Sur Florida Beach).
En 1962, pendant la crise des missiles à Cuba, Gene un jeune fan des serials et des Matinées du samedi, arrive avec sa famille à Key West, une petite ville de Floride. Son père, militaire, ayant quitté sa base pour une mission, il se retrouve seul à la maison avec sa mère morte d'inquiétude et son jeune frère. Le cinéma est presque sa seule façon d'oublier l'angoisse (disparition de son père, guerre nucléaire...). C'est alors qu'arrive en ville le cinéaste producteur Lawrence Woolsey, spécialiste du cinéma d'exploitation et de la série B horrifique qui compense le manque d'originalité du scénario de ses film par une série de trucs divers, coups de pubs ou gadgets disséminés dans la salle pour attirer le public.
Entre deux exercices d'entraînements d'alerte nucléaire (on s'accroupit dans le couloir, mains croisées sur la nuque), une relation d'amitié va s'établir entre Gene et Lawrence, qui prépare activement la séance d'avant première de son nouveau film "Mant", l'histoire d'un homme victime de radiations se transformant petit à petit en fourmi géante...
C'est tout Joe Dante que l'on retrouve dans ce film : son irrévérence, tournant en dérision le péril atomique et les réactions disproportionnées qu'il engendra (à l'image de ce directeur de cinéma qui se ruine en gadgets et autres abri anti-atomiques), la façon qu'il a de mettre en scène l'enfance comme un âge heureux mais non idyllique, son goût pour le cinéma de série B des années 50 (il avoue même avoir une tendresse particulière pour Robot Monster...)
Enfin, en voyant ce film, on se rend compte qu'ici, Joe Dante s'est fait très plaisir en alternant autobiographie (en plus de son statut de fan de série B, il était lui-même fils de militaire, changeant constamment de maison et n'ayant donc que très peu d'amis), film historique (l'ambiance de l'époque "péril nucléaire", qu'il a lui-même vécue, est parfaitement restitué), comédie burlesque, hommage aux séries B (le film dans le film, Mant, tourné pour l'occasion reprend fidèlement le schéma de tous les films d'exploitation de l'époque, leurs punchlines miteuses, la façon de filmer [égalant la réussite du dernier segment de
Cheeseburger Film Sandwich ] et les bandes annonces) et surtout, un coup de chapeau au travail de William Castle, dont l'ersatz est interprété par un John Goodman au sommet de sa forme.
Ainsi, le film est un condensé de tout ce qui fait de Castle un cinéaste à redécouvrir : bandes annonces où il s'adresse directement au public, coups de pub (examen médical avant l'entrée en salle pour être sûr qu'on ne mourra pas de frayeur...), attractions durant la séance (les sièges qui vibrent, l'acteur déguisé en monstre du film qui surgit dans la salle...), sans oublier sa roublardise (dans un film, un magicien est sensé hypnotiser la salle entière, qui ne gardera bien sûr aucun souvenir de l'événement), acteurs payés pour faire la promo du film (Dick Miller, dans un rôle presque autobiographique d'acteur de série B puisqu'il commença ainsi chez Corman et JohN Sayles, dans un rôle d'artiste "blacklisté") ainsi que sa tendance à loucher vers le cinéma de Hitchcock.
Mais on sent une vraie sympathie/admiration du cinéaste pour l'homme, qui en fait un personnage attachant, figure paternelle pour le jeune Gene, un individu hors du commun, amoureux du cinéma (voir le monologue sur "le premier film d'épouvante) et de ses spectateurs qui amène de la magie dans le réel et fait oublier (dans un premier temps) l'angoisse qui ronge la population entière.
Enfin bref, je n'en dis pas plus pour que ceux qui ne le connaissent pas encore découvrent ce film dans les meilleures conditions mais pour moi, en plus d'un grand divertissement aux dialogues irrésistibles ("Putain ! -Gene, c'est toi qui lui a appris ce mot-là? - Non, maman, c'est L'ONU), d'un film sur l'enfance (avec ses jeunes qui écoutent en cachette les disques de Lenny Bruce pour entendre des gros mots), les premières amours et d'un film à intérêt historique, c'est une des meilleures déclarations d'amour du septième art que j'ai pu voir...
A tous ceux qui s'intéressent à Joe Dante, aux séries B des années 50-60 ou à l'ère Corman, je recommande vivement le livre Joe Dante et Les Gremlins De Hollywood, recueil d'entretiens et d'analyse d'oeuvres du cinéastes particulièrement riche en anecdotes...
