Tendre PapaTitre alternatif : les singes font la grimace.
Catégorie : Crimes et Délits
Genre : Les tontons blagueurs.
Pays : France (Belgique ?)
Année : 1972
Durée : 1h05
Réalisateur : Jean Louis Van Belle (sous le pseudo d’Henri Boyer)
Avec : Pierre Bonnet, Michèle Delacroix, Gerard Chevalier, Masuko… .
On mesure l’importance d’un auteur à son travail, mais aussi à l’influence qu’il a pu avoir sur ses semblables. Si de Michel Audiard on retient facilement la prose, on oublie parfois qu’il a laissé dans son sillage quelques dialoguistes tentant de copier son sens de la formule si caractéristique. Parmi eux, Jean Louis Van Belle, coupable d’œuvres comme « Le Sadique aux dents rouges », avait décidé de se lancer dans la bataille avec « Tendre Papa », également connu sous le titre de « Les singes font la grimace » lors de sa sortie en salles. Autant dire que l’entreprise semble aussi suicidaire que jouer à la roulette russe avec une mitraillette.

Mis en scène en dépit de toute cohérence narrative, « Tendre Papa » est un film à l’intrigue à la fois élémentaire et insondable. On décrypte juste que suite à un braquage, des mafieux décident de se partager un butin. Mais brusquement, ces derniers se font assassiner par une bande de truands cherchant également le magot. Sans doute se sont ils dit qu’il serait bon de tuer leurs sources pour pouvoir mieux les faire parler ensuite. Seul survivant du massacre, Pierrot prévient sa fille Hélène, laquelle abandonne les préparatifs de son mariage et appelle sa bande de casse-cous pour assurer la protection de son père. Rien de compliqué de prime abord, mais c’était compter sans la patte de l’ami Jean Louis qui grâce à un montage au cimeterre, va nous offrir une importation française du cinéma turc. C’est simple, on pourrait voir débarquer Cuneyt Arkin en gros bonnet d’Istanbul cela ne choquerait personne. Scènes coupées en leurs milieux, faux raccords délirants, transitions à l’arrache, personnages disparaissant sans prévenir, Van Belle nous montre ici l’une des mises en scènes les plus abominables du cinéma francophone, enfilant les incohérences et les passages nonsensiques avec une frénésie incontrôlée. Un spectacle qui, si on y ajoute des fondus colorés bizarroïdes et quelques effets sonores ronge neurones à force d’être en décalage avec l’action, aura tout pour déstabiliser jusqu’au cinéphile le plus blasé.


Pierrot le fourbe et son fauteuil roulant truffé d’armes. Remarquez avec quelle habileté il s’allume un cigare tout en gardant en joue ses assaillants.

Un motard dont le véhicule explose en pleine rue… .

… mais qui prend le temps d’arriver en forêt pour agoniser.
Les scènes d’actions sont tout aussi bordéliques. De fusillades absurdes en bastons farfelues, rien ne semble un tant soit peu cohérent. Balles perdues sorties de nulle part, Tirs dans les murs arrivant à toucher leurs cibles, la réalisation épouvantable est pour beaucoup dans l’incompréhension de ces passages. Si les empoignades sont amusantes, que dire des cascades ahurissantes que Jean Louis fait subir à son équipe. Homme torche, poursuite automobile visiblement tournée sans autorisation, les comédiens nous livrent des performances qu’on aurait cru voir que dans le cinéma philippin mais avec une petite touche de n’importe quoi. Il faut effectivement voir un policier tenter de siphonner une voiture en marche ou la jeune Michèle Delacroix sauter d’un pont pour tenter d’attraper un hors bord en marche pour comprendre qu’outre un grand sens du risque, le délire était de rigueur sur le plateau de tournage.


Des cascades dignes des plus grands (internés psychiatriques) de Hong Kong.

De l’action à gogo ! (L’homme en arrière plan est mon idole).
Si la mise en scène est à la rue, on peut dire que les interprètes dorment dans le caniveau. Dans le rôle de Pierrot, on retrouve Pierre Bonnet, ici caché sous le vain pseudo de Russ Norman, aussi présent dans « la guerre des espions ». Assureur de métier, monsieur Bonnet arrive sans se forcer à être l’un des acteurs les plus convaincants du film, ce qui en dit long sur la prestation de ses camarades, dont certains marquent les esprits par leurs ressemblances avec des personnalités plus connus. Comblant leurs manques d’expériences par un enthousiasme communicatif, nos zouaves incarnent leurs rôles avec l’énergie de bons potes venant aider un camarade à boucler son métrage de fin d’étude en l’échange d’une petite mousse. D’ailleurs tout ici à un parfum d’amateurisme, avec notamment ses figurants hilares ou surpris par la caméra, laissant penser que Van Belle a non seulement tourné ses scènes en une prise, mais un peu à la sauvette pendant un banquet ou une fête de village. Vous me direz qu’il est difficile de faire dans le sensationnel avec 200000 Francs mais pour autant, rien n’excuse les décors du film. Tourné quelque part entre Nevers et Bourges, l’endroit où se trouve nos mafieux n’a rien de la mégalopole, un peu comme si on faisait de Bolbiquette ou Promizoulin les Oies la plaque tournante de la pègre nationale. Quant aux intérieurs des maisons, ils renvoient aux pires névroses d’un décorateur fatigué avec ces papiers peints aussi délavés que la photographie. « Tendre Papa » c’est le Parrain dans la cuisine de grand-mère Ginette, où une poignée d’ahuris continue à jouer aux gendarmes et aux voleurs, alors qu’ils ont passé l’age depuis longtemps.


Daniel Prevost is watching you !

Roman Polanski bientôt terrassé par l’explosion d’un réfrigérateur.

Même les morts jouent mal.
Parmi tous ces hurluberlus ce sont les dames qui tirent leurs épingles du jeu et surtout Masuko, laquelle incarne une nièce d’un des gangsters. Plan nichon ambulant, la jeune chinoise passera la quasi intégralité de ses scènes à moitié à poils, Van Belle étant sans doute conscient que c’était la seule chose que son « actrice » pouvait faire à peu près correctement. D’une absence de justesse foudroyante, Masuko est l’antimatière du jeu d’acteur, une arme redoutable capable de faire imploser les notions les plus élémentaires de la Comédie. Le plus stupide, c’est qu’on ne saura jamais quel était son rôle dans toute cette histoire, son personnage disparaissant sans prévenir. Tellement innommable que ça en devient salutaire pour ses collègues masculins, sa prestation arrive également à éclipser la vedette féminine, Michèle Delacroix. Meilleure comédienne, le contraire aurait été critique pour tout le monde, miss Delacroix n’est pour autant pas exempt de reproches, la façon dont elle récite ses répliques sentant bon l’absence d’expérience, ce film s’avérant en effet l'un de ses premières apparitions devant la caméra. Néanmoins, tirons une nouvelle fois notre chapeau à cette demoiselle qui réalise ici plusieurs cascades dont sans doute la plus frappée du film. Et oui c’est ça aussi la méthode Van Belle : recruter des cascadeurs pour jouer la comédie, et inversement. Il n’y a pas de petites économies.


Masuko dans « Parles à mes seins, ma tête est malade ».

Michèle Delacroix (Hélène) qui retrouvera Jean-Louis Van Belle sur « La Guerre des espions » avant d’apparaître plus tard aux côtés des Charlots dans « Le grand bazar ».
Mais comme nous l’avons dit, la petite originalité de ce film c’est surtout sa recopie abusive du style Audiard. Même que, attendez voir… . Des vieux gangsters, un gang rival, un mariage, bon sang mais c’est bien sur ! Jean Louis ne s’est pas seulement inspiré de son modèle, il a allégrement pompé son œuvre référence, « Les tontons flingueurs ». En guise de preuve, on pense à cette scène de dîner stupéfiante où Pierrot et sa fille reçoivent des invités pendant que dehors, une fusillade fait rage. Cette séquence renvoie bien sûr à ce passage des tontons où Lino Ventura reçoit la visite du père de son futur gendre, un homme absolument sourd. Si dans le film d’origine, le ressort comique vient des subterfuges employés pour cacher à son visiteur le règlement de compte qui se déroule, ici rien n’est fait pour camoufler les bruits suspects, très audibles, mais qui n’empêcheront pas les convives de faire comme si de rien n’était. A croire que Pierrot et sa fille ont pour loisir d’organiser des dîners de cons. Qu’a voulu tenter Jean Louis avec cette scène ? On en sait rien mais le résultat est atterrant.


Un dîner presque parfait, si on excepte les tueries dans le jardin.
Plus généralement, Van Belle a aussi voulu imiter son maître et ses tournures de phrases particulières. Seulement, faire un film dans un langage imagé est une chose, trouver des citations qui ont un sens en est une autre. Ramassis d’inepties sans aucun fondement, les répliques veulent toutes se donner un genre sans jamais attendre leurs buts. Il faut dire que l’interprétation des comédiens n’aide pas, mais pour vous faire une idée, imaginez des auteurs qui se seraient mis en tête de copier bêtement le phrasé du père des « Barbouzes » sans en comprendre le sens. « Tendre Papa », c’est un peu ça, on y entend des expressions fleuries, des mots peu communs, datés, mais qui n’ont absolument aucun sens dans le contexte où ils sont cités, faisant tomber à plat le moindre trait d’humour.

«Avant d’être taxi, vous vendiez des saucisses ?»

«Pause café, deux sucres et un nuage de lait». Non, je n’ai pas disjoncté ce sont bien les dialogues qu’on entend lorsqu’on voit ces images… .
Fruit de la rencontre de deux trains lancés à pleine vitesse, « Tendre Papa » est un accident abominable qui risque d’en laisser plus d’un hagard. Moins barré que « La guerre des espions », il souffre aussi sûrement de la comparaison des autres chefs-d’œuvre de monsieur Van Belle mais ravit sans peine grâce à son style hors norme et ses acteurs à la masse. « Les cons ça osent tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît » disait Audiard. A croire qu’il en est de même pour les génies.

Y’en a qui ont essayé de faire du Audiard, ils ont eu des problèmes.
Wolfwood 3,25/5
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Cote de rareté
Pièce de collection
Une VHS en tout et pour tout, c’est peu. Mais on s’y attendait vu la rareté des autres films de Jean Louis Van Belle. Attendez vous à batailler pour mettre la main sur cet objet édité par les « productions du tigre », des pointures à qui l’on doit entre autres la distribution de « La guerre des espions », « Yeti, le géant d’un autre monde » ou bien encore « Virus Cannibale ».