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Un groupe d’amis part une journée à bord d’un voilier. Après avoir essuyé une tempête titanesque, le bateau est à la dérive. Ils trouvent alors refuge sur un navire où ils ne découvrent pas âme qui vive et où le temps s’est arrêté. Pourtant, ils réalisent très vite que quelque chose d’hostile les guette…
Je suis décidément de plus en plus fan de Christopher Smith, ce sympathique anglais qui, mine de rien, fait sa route pépère dans l'univers du cinéma de genre, proposant des films solidement structurés et à la mise en scène bien carrée comme il faut sans tomber dans des excès tapageurs ou outrancier. Pour moi, c'est le gars dont les réalisateurs français devraient en priorité s'inspirer dans leurs tentatives d'imposer un nouveau cinéma de genre dans l'hexagone (J'aurais sans doute pu écrire "dans le cercle du cinéma de genre" histoire de filer la métaphore). Parce qu'on a affaire à un gars qui se fait avant tout plaisir et prend soin de bien raconter son histoire avec juste ce qu'il faut de renouvellement pour pas que l'on en ressorte avec l'impression de s'être fait labourer les côtes à longueur de film en mode "wink-wink-nudge-nudge t'as vu comment je me moque trop des clichés...".
Parce que si les films de Christopher Smith fonctionnent, c'est avant tout par son mélange de respect et de contournement des règles des genres qu'il aborde. Qu'il s'agisse de cinéma d'horreur (Creep), de survival (Severance), de films de zombies (Black Death, pas encore vu) ou ici de surnaturel, l'originalité se loge dans l'élaboration de son script qui, s'il passe par les passages obligés de la narration-type de chaque genre, est relevé d'un bon cran avant tout par son travail sur les personnages. Certes, ils sont archétypiques (archétypaux?) mais plus creusés que les simples "étudiants délurés", "couple en crise" ou "perso associal vaguement schizo". Ils ne sont pas vraiment sympathiques mais suffisamment ancrés dans la réalité du monde d'aujourd'hui pour qu'on s'identifie ou qu'on ait envie de suivre leur périple/calvaire jusqu'au bout. Et ça permet au passage à Smith de placer ça et là une petite dose d'humour noir pas déplaisante et suffisamment subtile pour éviter une quelconque prostitution à la satisfaction de l'ego d'un spectateur prompt à rire de ce qui le fait sourire dans l'unique but de montrer aux autres personnes présentes qu'il a saisi un soit-disant détail qu'eux, misérables spectateurs de bas étage au cerveau mort-né, n'ont pas su déceler. Ca ne vire jamais au grand-guignol mais le grotesque est toujours là.
Ainsi, l'héroïne de Creep est une starfuckeuse partie pour finir la nuit dans les bras de George Clooney mais qui se retrouve poursuivie par
Gollum dans les tunnels sombres et glauques du métro londonien. Les héros de Severance se trouvent en plein séminaire d'entreprise type Team-building quand ils sont pris en chasse par d'inquiétants tueurs, ne sachant donc pas si ça fait partie d'un jeu ou non (jolie satire au passage du monde de l'entreprise...). Et dans Triangle, notre héroïne est une mère célibataire au bord de la crise de nerf, perdue entre son boulot de serveuse et les besoins de son fils autiste, la structure
en circuit fermé de son calvaire se mettant en parallèle avec l'éternel recommencement de ses galères quotidiennes, avec ce fils qui a besoin chaque jour qu'elle refasse les mêmes actions, les mêmes gestes de la même façon...Aussi, si l'on commence un film de Christopher Smith avec le sentiment de regarder un petit film d'horreur de plus, on s'aperçoit d'abord de façon diffuse puis de plus en plus clairement qu'il y a vraiment quelque chose de plus, un côté plus creusé, plus travaillé. Il ne cherche jamais à en mettre plein la vue, à impressionner, à choquer, à renouveler le genre à l'image d'un REC ou d'un Saw. Chaque chose arrive en son temps et sert parfaitement le propos du film. Je pense notamment à ce moment de Triangle où un personnage féminin, pourchassée par le tueur, se retrouve
dans un coin du bateau face à toutes les autres versions d'elle-même déjà mortes au même endroit. Une beauté macabre qui m'est apparu comme le penchant gore d'un film à la Franju, qui marque suffisamment l'esprit pour que, une fois le film fini, on ne laisse aucun espoir à notre héroïne. Car si le cycle de renouvellement du passage sur le bateau est de trois résurrections, une scène comme celle-ci (et celle du médaillon et du bout de papier) démontre que le cycle se perpétue à l'infini. Ainsi, si le titre renvoie au fameux Triangle des Bermudes (jamais nommé ni évoqué ni quoi que ce soit), il renvoie aussi à la structure en trois temps du périple du group ainsi qu'à son perpétuel recommencement.Vous l'aurez compris, Christopher Smith est à mon sens le réalisateur de film de genre le plus intéressant du moment, traçant sa route au gré de coproductions internationales mais avec un sens du rythme et de la mise en scène qui pallie bien des galères budgétaires. Je vais me mater Black Death dans les jours qui viennent, j'essaierai de me trouver une copie de sa minisérie en deux épisodes Labyrinth et j'attends de pied ferme son Get Santa, même s'il semble assez éloigné de ce qu'il a fait jusque là. En attendant, Triangle est sans doute ce qu'il a fait de plus abouti en matière de scénario (il a mis deux ans à l'écrire), se sortant parfaitement des pièges de la structure cyclique et composant ainsi un film qu'on a envie de revoir dès la fin de la séance, pour en saisir et en apprécier tous les rouages tout en espérant saisir une faille dans la machination laissant espérer un semblant de happy-end, faille scénaristique, volontaire ou non, qui ne vient jamais.
Pour une fois, je ne met pas la bande-annonce, parce que c'est quand même mieux de découvrir le film sans trop savoir ce dont il s'agit.