'Calvaire', j'aime plutôt bien... mais il est évident que son ton ne va pas plaire à tout le monde! (je me demande en particulier si une soirée Monthy Python était le bon endroit pour passer ce film...). Il est bourré de multiples références à Psychose, Freaks (ah, le bal des monstres!), et également à des oeuvres plus récentes (Le projet Blair Witch, Shining...)
Je rappelle à ce pervers de Gerry que Brigitte Lahaie a eu également une carrière hors cinéma porno, notamment dans de multiples films de série B d'épouvante, je pense que son caméo est un clin d'oeil à cette double carrière.
Je vous sort une interview de Fabrice Du Welz, paru dans le Petit Buletin de cette semaine. Perso, je le trouve un peu prétentieux, même s'il tape juste en disant que la provocation vaut mieux que l'indifférence...
Le petit Bulletin a écrit:
"Les films déviants sont salutaires"
Fabrice du Welz, cinéaste, frappe un grand coup avec Calvaire, premier film drôle et cruel aux audaces formelles soufflantes et à la radicalité exemplaire. Propos recueillis par Christophe Chabert
PB: En quoi votre film découle-t-il d'un cinéma qui provoque des réactions extrêmes chez le spectateur, comme Délivrance ou Les Chiens de Paille ?
Fabrice du Welz : J'ai grandi en regardant beaucoup de films d'horreur, italiens ou américains, et j'ai toujours nourri l'envie d'en faire. Le financement du film, la rencontre avec les acteurs, le fait d'avoir fait un court-métrage avant avec Jackie Berroyer, mes goûts, tout ça a mûri ce projet ; j'avais envie de faire un film d'horreur, mais d'essayer de le transcender.
Je ne voulais provoquer aucune empathie pour le personnage principal, que la sympathie aille au bourreau, pour confronter le spectateur à sa propre conception du bien et du mal, sa propre morale. J'ai en effet cherché à le provoquer. Pourquoi j'ai ce désir de provoquer ? D'abord parce que ça me paraît sain, parce que j'aime, en tant que cinéphile, cette provocation-là. Tout le monde s'accommode du grand ventre mou de la production littéraire et cinématographique, mais je trouve que les petits films déviants sont salutaires.
PB: La particularité de Calvaire, c'est son réalisme. Il n'y a pas de dérives vers l'imaginaire...
FdW: Ce n'est pas Saw, où quand on quitte la salle, tout va bien, on va voir ce film comme on emmène sa petite amie aux montagnes russes. J'ai essayé de laisser une empreinte avec Calvaire, de travailler comme un peintre impressionniste, pour que le spectateur en garde un souvenir. Les gens ont en général besoin de temps pour digérer le film, mais il est important qu'il y ait une trace, comme pour les films qui m'ont marqué en tant que spectateur. Mais je fais la différence entre la réalité et la fiction.
PB: Le réalisme, c'est aussi poser la caméra là où on ne la pose pas souvent : une maison de retraite, une auberge abandonnée...
FdW: J'essaie de gratter là où ça fait mal, ça me paraît sain. Il y a une phrase de Clouzot que j'aime répéter : "Pour moi, le cinéma c'est un spectacle et une agression". J'essaye de m'inscrire là-dedans : je ne veux pas emmerder les gens, j'ai un souci d'action, de fluidité, de dramaturgie et de personnages ; en même temps, je veux aller là où ça peut faire mal. Cependant, Calvaire est une comédie, très macabre certes, mais c'est un film drôle aussi.
PB: Il y a aussi un côté sentimental : la chanson de Mark Stevens ou la prestation de Jackie Berroyer...
FdW: Jackie était venu me dépanner sur mon court-métrage et nous avons noué des relations amicales. Quand je lui ai envoyé le scénario de Calvaire, il m'a dit qu'il aimerait bien interpréter le personnage de Bartel. Très vite, je me suis rendu compte que c'était une évidence : Bartel est un bourreau, mais il a une part de fragilité, c'est ce qui dérange. Le spectateur peut se reconnaître dans sa quête complètement absurde. Berroyer était parfait pour incarner cette absurdité avec ce que je cherchais comme finesse.
PB: Sur un canevas très codifié, vous laissez la place aux acteurs et aux personnages, d'habitude plutôt négligés dans ce genre de films...
FdW: De manière très arbitraire car le seul personnage qui m'intéresse vraiment, c'est celui de Bartel. Je ne voulais pas d'empathie avec Mark Stevens, et Laurent Lucas l'a très bien compris, il est allé très loin dans le côté bestial, primaire. Après, le personnage de Bartel est omniprésent : la petite vieille au début, c'est Bartel, Philippe Nahon, c'est Bartel, les villageois, c'est Bartel... Le film fonctionne comme une farce : Laurent Lucas est un dépotoir à fantasmes, c'est proche de la religion. Dans le film, les personnages disent "Ce type est ma femme" avec la même logique absurde qui pousse à dire "Cet homme est le fils de Dieu".
PB: Les références à la religion, du titre à la scène de crucifixion, sont donc très calculées...
FdW: Complètement. Comme la scène avec le veau, on dirait la crèche...
PB: Comment avez-vous orchestré la fin du film, notamment la scène de l'assaut contre l'auberge filmée du point de vue de Laurent Lucas ?
FdW: On n'avait pas d'argent pour faire autrement. On me l'avait dit, mais avoir des contraintes très strictes permet d'être créatif. On a donc décidé de tout faire du point de vue de Laurent, en attachant la caméra sur ressort, en tapant dedans à chaque impact de balle, et elle revenait toujours en son centre. J'ai ce souci de mettre le spectateur au centre des hostilités, de le faire participer physiquement à ce qui se passe. Il fallait trouver des concepts visuels très forts, avec une gradation vers cette fin abstraite, où on s'enfonce dans un espace-temps cauchemardesque. La scène du viol, par exemple, je voulais la montrer différemment des autres scènes de viol au cinéma : la donner à voir comme dans un tableau de Bosch ou Brüegel, avec cette humanité qui se bat au milieu des porcs et des veaux.